Vers un peu plus de sobriété

| mar, 09. fév. 2016

Chef du service fribourgeois de l’environnement, Marc Chardonnens deviendra directeur de l’Office fédéral de l’environnement le 11 avril. L’occasion de lui demander quel est son regard sur son futur poste et sur la mission qu’il termine.

PAR SOPHIE ROULIN

Marc Chardonnens est ingénieur agronome. Parce que, dans les années 1980, c’était l’une des seules voies qui s’offraient à ceux qui «avaient la fibre», alors que la conscience environnementale en était à ses débuts. En avril, il deviendra le nouveau directeur de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), après un premier passage de dix-sept ans à Berne et après avoir dirigé pendant près de douze ans le service fribourgeois.

Ce poste de directeur de l’OFEV, c’était un objectif de carrière?
Non, ce n’était pas quelque chose qui me trottait dans la tête. Mais quand j’ai vu l’annonce du départ de Bruno Oberle, inévitablement, je me suis posé la question. J’ai présidé pendant quatre ans la Conférence des chefs des services et offices de protection de l’environnement de Suisse. J’ai eu beaucoup de contacts à l’échelle de la Confédération, avec des groupes de travail, avec des chefs d’autres services cantonaux… Et, du point de vue familial, ça rentrait dans le domaine du possible. Donc je me suis dit que cela aurait été une erreur de ne pas postuler. La suite n’était pas de mon ressort.

Comment voyez-vous le rôle du directeur de l’OFEV?
Seul on ne fait rien. Le premier rôle est donc de gérer l’office pour que ses 580 collaborateurs (485 postes) puissent travailler dans un climat de confiance et dans des conditions favorables. La marge de manœuvre, c’est d’abord une responsabilité pour que tout fonctionne.

Des impulsions peuvent-elles néanmoins être données?
Il s’agit de faire des propositions pour que la Suisse puisse développer une politique de protection de l’environnement et des ressources naturelles qui soit porteuse d’avenir. Même s’il y a des déconvenues, on a réussi à relativement bien préserver notre environnement. Mais des pressions très importantes s’exercent actuellement par la démographie, par le développement économique et urbain. Il faut trouver les bons chemins pour concilier des intérêts qui peuvent être divergents. Les politiques s’affrontent pour les infrastructures, l’utilisation du territoire, l’agriculture ou encore l’énergie.


Votre rôle tiendra donc plus de la gestion que de l’impulsion…
Quand j’ai commencé à travailler à l’OFEV en 1987, on partait pratiquement de zéro pour créer une politique de gestion des déchets. Aujourd’hui, dans la plupart des domaines, les bases ont été posées. On doit travailler à les concrétiser. Je m’inscris donc dans cette continuité. Mais on n’est pas au bout de nos peines: en finalité, il faudrait que les flux occasionnés par les sociétés humaines puissent s’intégrer dans les flux naturels. Ce qui n’est pas le cas. Or, si on ne fait pas le job à un moment ou à un autre, on le payera. On le voit avec la gestion des déchets: ce qui a été mal fait à un moment nous coûte aujourd’hui très cher en réparation.

Vous pensez à la décharge de la Pila?
La Pila en est un exemple emblématique oui. C’est l’un des cas les plus complexes en Suisse compte tenu de la proximité de la Sarine. Mais le cadastre des sites pollués a recensé plus de 1000 sites dans le canton. Tous ne nécessitent pas d’être assainis, mais les investigations se poursuivent. Notamment pour savoir quels sites nécessitent une surveillance. Ça occupera le Service cantonal encore durant les quinze à vingt ans à venir.

L’environnement est-il, comme on l’entend parfois, une préoccupation de périodes où tout va bien?
C’est vrai que, dans les baromètres des préoccupations, l’environnement n’est plus au même niveau que ce qu’il a pu être dans les années 1990 et 2000. Aujourd’hui, le franc fort et la situation économique occupent l’agenda immédiat. Mais la prise de conscience est là. Je n’ai jamais entendu que les gens contestent cette préoccupation pour nos ressources. A nous de présenter des chiffres et des enjeux clairs pour être convaincants.

Mais la politique ne manque-t-elle pas de cohérence en imposant des exigences très élevées aux producteurs suisses – agricoles et industriels – alors qu’on est nettement moins regardant avec les importations?
Le premier pas consiste à montrer clairement ce que signifie d’importer tel ou tel produit. Et à ensuite en parler. On a eu ce genre de discussions lors des débats autour de l’initiative des Verts pour une économie verte. Avec passablement de tensions.
Mais les incohérences nous touchent aussi dans notre quotidien. Nous pouvons nous montrer très sensibles aux questions écologiques sans adapter nos comportements. Est-ce qu’on a besoin de se déplacer autant que ça? Tout le temps? Il faut aller vers un peu plus de sobriété, comme dirait l’essayiste Pierre Rabhi. Mais, aujourd’hui, les gens et les politiques ne peuvent pas faire comme s’ils ne savaient pas.

Le changement viendra-t-il forcément de la politique?
Le changement doit venir de tous les côtés! Des boucles de réflexion se mettent en place en réponse à des comportements de consommateurs ou à des incitations politiques. Par exemple, la taxe au sac a eu pour effet de réduire les emballages. Les industriels se sont adaptés.
Mais on se rend compte aussi que la prévisibilité est importante. Les acteurs économiques ne peuvent pas changer leur fusil d’épaule tous les six mois. Un investissement doit pouvoir être amorti sur environ dix ans. L’important est de fixer les bonnes mesures qui vont dans le bon sens.

La Suisse peut-elle à nouveau jouer un rôle de pionnier dans le domaine du renouvelable?
Il y a des occasions à saisir. A l’abri de l’opulence et de la misère, les Suisses ont développé des solutions pour améliorer leur quotidien, dans le domaine de la chimie, de la finance, de l’horlogerie, du bâtiment… Il existe aujourd’hui une nouvelle génération de chimistes et de nouveaux domaines, comme la nanotechnologie où Fribourg est aussi actif. C’est quelque chose en gestation, avec des risques, mais aussi des possibilités. Essayons de prévenir, de ne pas créer des problèmes qui nous accompagneront pour des années. Mais ne mettons pas un couvercle sur ces nouvelles technologies!

 

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Berne-Fribourg, aller et retour


Son nom est d’origine fribourgeoise, mais Marc Chardonnens a grandi à Monthey, en Valais. S’il s’est tourné vers l’agronomie au moment de ses études, c’est par sensibilité pour la cause environnementale, mais aussi en raison de ses attaches familiales: son grand-père paternel a été directeur de Grangeneuve. Avant d’occuper le poste de chef du Service fribourgeois de l’environnement, Marc Chardonnens a déjà travaillé dix-sept ans à Berne.

Qu’est-ce qui vous avait fait quitter l’OFEV pour Fribourg en 2004?
A Berne, on travaille à la conception d’une politique publique. On est dans le pilotage, alors que, dans un service cantonal, on est dans le concret. Et puis, pendant dix-sept ans, j’ai travaillé dans la gestion des déchets. C’était passionnant, parce qu’en 1987, quand j’ai commencé, il existait une loi sur l’environnement depuis 1985, mais aucune ordonnance pour les déchets. Tout était à faire. En venant à Fribourg, je m’ouvrais aux autres domaines de l’environnement: l’air, le sol, l’eau, le bruit, les substances polluantes…

Quelle est la situation actuelle de notre canton dans le domaine de l’environnement?
Du travail a été fait, mais il en reste à faire. Du point de vue législatif, on a pu faire approuver la nouvelle Loi sur les eaux en 2009. Elle est entrée en vigueur au début 2011 et doit maintenant être mise en œuvre. Il faudra probablement une à deux générations pour qu’on en voie tous les effets.
Une autre loi importante a été édictée, celle sur les sites pollués. Et bientôt, la Loi sur les déchets devrait être modifiée par rapport au littering. Du point de vue de la planification, on a réalisé le cadastre des sites pollués. On a actualisé le plan de mesures sur la pollution de l’air. On travaille actuellement sur différents plans sectoriels pour la gestion globale des eaux. L’assainissement du bruit routier va nous occuper encore ces prochaines années, nous avons un délai fédéral fixé à 2018.

C’est ce qui occupe le quotidien du service de l’environnement?
Pas seulement! Un gros travail de nos différentes sections concerne les permis de construire, jusqu’à 4000 certaines années (environ 3800 en 2015). C’est aussi ça, l’application au quotidien, la prévention, pour que le système fonctionne. Les communes se chargent ensuite de la plupart des contrôles. On essaie de les appuyer, mais il y aurait probablement des choses à mettre en place, notamment au niveau intercommunal.

En retournant à l’OFEV, vous quittez ces aspects concrets…
Oui, mais en tant que directeur, je retrouverai l’entier de toutes ces problématiques, à une autre échelle. Et à Berne, il y aura aussi tous les échanges et les discussions qui sont menés au niveau international. SR

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