En marge du procès de Claude D., le psychanalyste Thémélis Diamantis décrit la manière de penser du tueur récidiviste. Son rapport avec les femmes, la raison de la présence d’un ours en peluche géant dans sa voiture ou son addiction aux réseaux sociaux: le docteur en psychologie revient sur les principaux mystères du personnage.
PAR VALENTIN CASTELLA
Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un tueur et pourquoi réagit-il d’une telle manière face à certaines situations qui paraissent totalement banales pour la plupart des gens? Docteur en psychologie, psychanalyste et enseignant à l’Université de Lausanne, Thémélis Diamantis, qui s’intéresse de près à cette affaire, revient sur le cas de Claude D., jugé dès lundi pour le meurtre de Marie S., survenu en mai 2013.
On décrit souvent Claude D. comme un pervers narcissique. Qu’est-ce que cela signifie?
Le terme pose problème, car l’auteur auquel on l’associe généralement parlait en fait de perversion narcissique et non de pervers. La nuance est importante, car elle pointe davantage une disposition découlant du narcissisme pathologique de certains pervers, plutôt qu’une catégorie définie d’individus. D’une manière plus générale, on peut dire que ce qui est perverti est le lien, car il est détourné de son but naturel.
Prenons l’exemple du lien amoureux chez Claude D. Lorsqu’on lit certains contenus de ses blogs, on pourrait le penser sincèrement épris de Marie S. Il ne ment pas forcément. Sa manière de l’aimer se résume à sa volonté d’exercer une emprise totale sur elle. Et, quand elle entend lui échapper, il ne le supporte pas et passe à l’acte.
Mais, à la base, je ne pense pas qu’il part avec l’intention de tuer. Sa victime est à ses yeux fautive et son principal crime consiste à ne plus l’aimer ou l’admirer. Cette blessure narcissique lui est insupportable. Pour ne pas subir la rupture, il va agir. Si quelqu’un doit être anéanti, c’est l’autre et pas lui. En un même mouvement criminel, il parvient ainsi à trouver une justification à son acte et à échapper au conflit interne lié au sentiment de perte de l’autre et à une image dégradée de soi.
La contradiction lui est donc insupportable…
Il ne supporte pas la frustration. On met le doigt ici sur la question centrale en ce qui concerne la perversion narcissique. J’aime à croire qu’on s’est tous pris des râteaux. On n’a pas tué pour autant. La plupart des gens ont une capacité à surmonter ou à tolérer de telles situations. Mais pas Claude D. La toute-puissance se transforme alors en frustration insupportable. Il ne comprend pas qu’un autre puisse ne pas partager ses désirs ou sa volonté.
Comment expliquer ce comportement?
C’est la structure psychique du sujet qui est ainsi faite. Il ne peut pas imaginer que l’autre existe autrement qu’en fonction de lui.
Selon les récits des meurtres, on s’aperçoit qu’il ne prend aucune précaution à camoufler ses actes. En 1998, il appelle son père pour lui avouer ce qu’il a fait. En 2013, il dévoile également l’adresse de son blog à l’un de ses collègues et il étale son amour sur internet…
Claude D. se croit tout-puissant, au-dessus des lois. Il n’est pas un tueur en série qui va préméditer ses crimes en se demandant comment il pourra échapper à la police. C’est quelqu’un qui, voyant que l’autre lui échappe, le tue dans l’impulsion du moment.
Ce genre de personnage redoute-t-il un procès d’une telle ampleur?
Il faudra voir le moment venu. Je pense, comme beaucoup, qu’il s’apprête à faire le procès de sa victime. Il va chercher à salir sa mémoire et dire qu’il a été abusé.
Que symbolise l’ours en peluche qui trônait sur le siège passager de sa voiture?
Claude D. est un criminel. Il ne nie d’ailleurs pas ses crimes. Il est aussi possible de penser que c’est également un gosse qui a déraillé à un moment de sa vie. J’adopte ici le point de vue classiquement freudien qui stipule que l’adulte est toujours un enfant qui a grandi. Claude D. a emporté avec lui un morceau de cette enfance. Le nounours est un objet qui rassure, un compagnon domestique, intime, qui l’accompagne aussi dans le monde extérieur quand il tente d’y trouver progressivement sa place.
Cette partie de l’enfance, Claude D. l’a pervertie en faisant de cet ours l’acolyte de ses crimes. Sa structure perverse se reconnaît ainsi également dans l’utilisation du nounours. Ce dernier est à la fois le vestige d’une enfance vécue comme douloureuse au sein de laquelle il cherche du réconfort et le témoin d’une force et d’une sexualité d’adulte, brutale ou animale, qui recherche sa satisfaction immédiate sans se soucier d’autrui.
Quel est son rapport avec les femmes?
Elles ne sont pas considérées comme des partenaires, mais comme les outils de sa propre jouissance. Claude D. les «aime» dans la mesure où elles lui renvoient une image valorisante.
Le fait d’étaler ses sentiments sur les réseaux sociaux est également un moyen de s’inventer une vie plus glorieuse?
C’est surtout l’occasion de ne pas être contredit. Les réseaux sociaux lui permettaient de contrôler son image: «Je suis tel que je me décris.» Par contre, au moment où la réalité est venue contredire cette illusion, la bulle virtuelle ne l’a plus protégé. Il a été confronté de manière brutale à une image de lui-même beaucoup moins agréable. Et, comme il ne supporte pas d’être contrarié, c’est la réalité qui doit avoir tort. Il se le prouve en tuant.
Selon vous, Claude D. est-il conscient du mal qu’il a fait?
Je pense sincèrement qu’il s’en fout. Il ne connaît pas l’empathie. Le monde commence et se termine avec lui.
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La question de l’internement à vie
Claude D. a avoué le crime de Marie S. La question de savoir s’il sera jugé coupable ou non ne fait aucun doute. L’interrogation principale de ce procès se résume donc à l’épineuse question de l’internement à vie. S’il n’avait pas écopé de cette peine en 2000 lors de son premier jugement (cet article figure dans le Code pénal depuis 2008), le tueur récidiviste pourrait, cette fois-ci, être sanctionné de la sorte. A moins qu’il ne soit capable de changer.
Thémélis Diamantis développe: «Sa mise en liberté éventuelle ne doit, en aucune façon, être un objectif. Mais je souhaite qu’elle reste une possibilité. Car on peut toujours envisager une réhumanisation. Il est un prédateur, sans aucun doute. Ce qui n’empêche pas de poser sur lui un regard humain. Ce débat est compliqué. D’un côté, il faut se donner la possibilité de se dire qu’au fond de ce tueur vit un gamin blessé et qu’il existe peut-être un moyen de le ramener vers des choses meilleures. Mais, en même temps, aucune décision ne doit jamais être prise au détriment de la sécurité de l’espace social.»
Pour le psychanalyste, le chemin de la réhumanisation passe par un retour en enfance: «Il faut libérer une parole vraie en lui, le conduire en amont de sa déshumanisation, donc aussi ne pas le réduire à son identité de criminel.» Il continue: «D’un côté, je plaide pour qu’on garde la possibilité d’une peine qui ne soit pas une réclusion à vie. Mais, d’un autre côté, je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur les chances qu’un tel individu puisse retrouver le chemin de sa propre humanité. Il va plutôt chercher à manipuler le thérapeute, sans entrer dans un travail sincère.» VAC
Commentaires
J.-F. Bersier (non vérifié)
mer, 09 mar. 2016
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