Les canons à neige flingués par le réchauffement climatique?

sam, 02. avr. 2016

Un récent petit livre étudie le défi climatique posé aux domaines skiables. Pour ses auteurs, les stations de basse et moyenne altitude ne doivent pas attendre
leur salut de l’enneigement artificiel. L’un d’eux, Christophe Clivaz, invite aussi les cantons à œuvrer à la réorientation des stations.

PAR JEAN GODEL

Tourisme d’hiver, le défi climatique: ce petit livre paru récemment aux Presses polytechniques et universitaires romandes donne à réfléchir à l’heure où nos stations sortent d’un hiver difficile et s’accrochent à l’idée d’un enneigement artificiel.
Signées Christophe Clivaz, professeur associé à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne (site de Sion), Camille Gonseth, de l’Office fédéral de la statistique, et Cecilia Matasci (doctorat sur ce thème obtenu en 2012 au Laboratoire de recherches en économie et management de l’environnement de l’EPFL), ces 131 pages apportent un éclairage très instructif sur les problèmes que le réchauffement climatique pose aux domaines skiables. Et leur posera toujours plus. Qui plus est, surtout à ceux de moyenne et basse altitude, le cas de toutes les stations fribourgeoises.


Moins de neige, plus haut
Les données du problème sont d’une simplicité implacable. D’abord, la période d’enneigement s’est raccourcie, et continuera à le faire, d’environ 25 jours à l’horizon 2035 par rapport à aujourd’hui. Qui plus est, elle aura tendance à se décaler, de Noël et Nouvel-An, période clé pour la rentabilité des stations, vers la fin de l’hiver, quand l’ambiance en plaine ne pousse pas aux sports d’hiver.
Ensuite, la limite inférieure de la neige prend l’ascenseur. Dans les années 2000, la ligne de sécurité en neige naturelle (les conditions minimales d’exploitation d’un domaine) se situait vers 1200 mètres dans les Préalpes fribourgeoises. Les auteurs estiment qu’à l’horizon 2050, il faudra monter de 270 à
300 mètres plus haut. Or, en dehors du sommet du Moléson, les stations du Sud fribourgeois culminent à… 1600 m.


Canons en ligne de mire
La solution? Aujourd’hui comme hier, les responsables des remontées mécaniques ne jurent que par l’enneigement artificiel. «On est au milieu du gué, il faut passer de l’autre côté en s’équipant de canons à neige partout», affirmait récemment Philippe Menoud, président des Remontées mécaniques fribourgeoises.
Les études sur le sujet, reprises par Christophe Clivaz et consorts ont pourtant de quoi doucher un tel engouement. Car en matière d’enneigement artificiel, nos stations de basse et moyenne altitude cumulent les handicaps. D’abord, elles verront le nombre de jours favorables à la production de neige artificielle baisser fortement. Une étude de 2011 conduite dans les Grisons montre que les possibilités de production de neige pourraient être «sévèrement réduites» sur la partie basse des pistes et même «atteindre des seuils potentiellement problématiques» en début de saison. Dans les Grisons, on pourra toujours produire de la neige et skier en altitude. Pas ici. D’où un impact sur le chiffre d’affaires.


Facteur discriminant
Paradoxalement, cela pourrait pousser les stations à investir encore plus massivement dans les canons pour assurer la neige à tout prix, même brièvement. La sélection se fera alors par l’argent: seuls les domaines disposant des meilleures conditions naturelles d’enneigement, et donc des meilleures ressources financières, pourront investir dans la neige artificielle et assurer leur saison. Or, ces domaines sont ceux d’altitude.
«Les sociétés les plus vulnérables aux impacts des changements climatiques sont aussi celles qui disposent en moyenne des possibilités de financement les plus limitées», résument les auteurs. La spirale est infernale: «La neige artificielle est un facteur discriminant de plus.»
Dernier handicap: le modèle économique désormais discutable des canons à neige. Car un kilomètre de piste enneigée coûte cher: entre 750000 francs et un million pour l’équipement, puis entre 50000 et 75000 francs à l’exploitation (chiffres de 2008). Certes, ces coûts sont souvent en partie pris en charge par les collectivités publiques.


Pas plus de recettes
Comme les températures, ces coûts vont prendre l’ascenseur, car il faudra produire toujours plus de neige. Or, il n’est même pas certain que les recettes soient au rendez-vous. En effet, questionnent les auteurs, quelle sera la réaction des clients, par ailleurs toujours moins nombreux, face à des forfaits toujours plus chers pour des saisons toujours plus courtes, sur des pistes toujours plus artificielles, parfois au milieu de pâturages encore verts?
Au vu de tout cela, le verdict des auteurs est… glaçant: «Les domaines skiables qui présentent déjà aujourd’hui des conditions climatiques limites sinon insuffisantes pour le fonctionnement des installations d’enneigement ne devraient pas ou plus investir dans celles-ci et opter pour d’autres stratégies d’adaptation.»

 

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«Il est difficile de sortir d’un mythe»

Professeur associé à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne (site de Sion), Christophe Clivaz évoque l’avenir des stations de ski.

Vous semblez remettre en question le modèle de l’enneigement artificiel, affirmant que son potentiel a été surestimé?
Christophe Clivaz: Les réponses sont toujours techni-ques, en particulier l’enneigement artificiel, vu comme le sauveur. Or, on ne tient pas assez compte du contexte, à savoir un marché suisse du ski en régression, avec –20% de journées-skieurs entre 2005 et 2015. L’enneigement artificiel a certes encore un potentiel, mais je constate que toutes les stations, même les petites, se livrent à une course aux armements. Or, le gâteau se réduisant, chaque fois qu’on installe des canons, c’est pour prendre des skieurs à la station d’à côté. Il n’y a pas de miracle.


Quelles sont les conditions d’un enneigement artificiel valable?
C’est une question de périmètre. Il faut se concentrer sur les quelques spots qu’il vaut la peine d’équiper parce que les conditions y sont les plus favorables. Mais il y a un enjeu à ce que tout le monde ne s’y mette pas.
La difficulté, c’est d’attendre des stations les moins favorisées d’y renoncer d’elles-mêmes pour adopter d’autres stratégies. C’est si compliqué de sortir du modèle traditionnel! Il manque donc une réflexion à un autre niveau, sur des périmètres plus étendus. Il ne s’agit pas d’abandonner ces stations, mais de les aider à mettre en place d’autres activités touristiques.

D’où doit venir l’impulsion? Du canton?
Oui, le canton a un rôle important à jouer. Pour fixer les règles du jeu et faire ce travail d’explication, qui est délicat pour un élu local. Il s’agit de préparer l’ère de «l’après-ski». Se diversifier, offrir autre chose que le ski ou que le sport: culture et tourisme ne travaillent ainsi pas assez ensemble.


La qualité du site joue-t-elle aussi?
Bien sûr. C’est tout l’enjeu des espaces publics, du mobilier urbain, des aménagements. On fait de moins en moins de dénivelé à skis, mais on veut voir et être vu dans des lieux agréables. Les stations n’ont pas développé d’espaces publics attractifs, se focalisant sur les voies de circulation.

Aller dans une station comme on va à Gruyères ou au château de Chillon?
Exactement. Les stations, surtout en Suisse, ont aussi de la peine à se positionner en termes de clientèle: familles, seniors, jeunes adeptes de la vie nocturne. Elles devraient plus se singulariser et choisir ensuite un équipement adéquat.

Les cantons ont longtemps subventionné les remontées mécaniques. Quel doit être leur rôle désormais?
Le moment charnière sera celui où il s’agira de repartir dans un investissement lourd – remplacer une télécabine ou équiper un domaine en canons. Car cela signifie repartir pour vingt-cinq à trente ans. Vu les perspectives climatiques, il y a de gros doutes quant à la possibilité de retrouver ses billes d’ici à 2040… Les cantons doivent développer une capacité à planifier le développement touristique sur l’ensemble de leur territoire. Vaud l’a fait avec la communauté d’intérêt touristique des Alpes vaudoises, ce qui a notamment permis de financer des postes de coordinateur. De tels postes manquent dans la plupart des cantons.

En dehors des stations de haute altitude, c’est la dernière fois que l’on renouvelle les grandes installations avec l’aide massive des cantons?
Oui, cela me paraît évident. Et la question se pose dès maintenant s’il vaut la peine de réinvestir.

Dès 2002, le Conseil fédéral dénonçait la «fuite en avant» des remontées mécaniques. Dans votre livre, vous montrez aussi que les milieux touristiques se sont peu engagés face au défi climatique. Pourquoi cette léthargie?
Plus beaucoup d’acteurs remettent en question le réchauffement climatique. Mais la pression économique est telle qu’ils réfléchissent juste à la saison d’après. Ils peinent à changer de modèle.

Développer l’été sauvera-t-il les stations les plus fragilisées?
En tout cas, en été, mais aussi en automne, il y a un joli potentiel, encore peu valorisé. En 2003, année de canicule, la fréquentation a clairement augmenté en montagne.

Quelle station créeriez-vous en 2016?
Aucune, car il y en a déjà bien assez (rires). L’enjeu est de proposer une offre exclusive, avec un vrai dépaysement pour une clientèle urbaine; se réorienter vers le bio et le local, vers la gastronomie, les soins du corps, le ressourcement personnel. Le ski a souvent permis de maintenir les populations de montagne et de développer ces régions. Cela fait cinquante ans que ça dure, cinquante ans que l’on vit sur ce mythe des remontées mécaniques. Or, il est difficile de sortir d’un mythe. Mais l’histoire montre que les stations qui ont réussi sur la durée sont celles qui ont toujours su s’adapter aux changements de modes et de pratiques touristiques. JnG

Commentaires

Je souhaite vivement que tous les habitants de Charmey aient la possibilité, avant de prendre des lourdes décisions financières sur l'avenir des télécabines à Charmey, de prendre connaissance de ce très intéressant interview au sujet du livre "Tourisme d’hiver, le défi climatique".
Pour une Gruérienne habitant l'Australie, la question ne me touche pas directement, mais je trouve cette interview très intéressante. Et pour une question personnelle, cela m'a fait très plaisir de vous lire Christophe!

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