L’église qui faillit mourir

mar, 10. mai. 2016

D’une longue vie étalée sur plusieurs siècles à un interminable trépas, l’ancienne église de Bellegarde a bien failli être laissée à l’abandon au tournant des années 1970. Il s’en est fallu de la convocation d’une assemblée communale pour réveiller la Suisse entière.

PAR JEAN-BERNARD REPOND

      
Quand il évoque sa relation intime avec le clocher moribond de son village natal, Walter Buchs, ancien rédacteur en chef des Freiburger Nachrichten aujourd’hui retraité, flirte avec une mémoire teintée d’une légitime satisfaction. Avec d’autres compagnons, il a vécu tant d’émotions jusqu’au sauvetage in extremis et inespéré de la vieille église de Bellegarde.


Le baptême d’Alice
Est-ce son attachement filial qui a valu à Walter de se trouver rapidement aux avant-postes lorsque la question de l’abandon de l’église sise au bas du village s’est réellement posée après qu’ont été explorées plusieurs pistes pour tenter de la sauver?
«J’étais étudiant à Fribourg  durant les années 1960, explique-t-il et comme tous les ressortissants de Bellegarde j’ai toujours gardé une relation privilégiée avec mon village. De plus, pour moi, l’histoire de l’ancienne église me renvoie à celle de ma maman Alice. Cette dernière, en août 1910, y a été le dernier bébé baptisé. Quelques jours plus tard était en effet consacrée la nouvelle église.» Une nouvelle église qui corrigeait deux défauts rédhibitoires de son aïeule: un emplacement qui passait de l’ombre à la lumière et une capacité d’accueil améliorée.
Durant les années qui ont suivi la fermeture de cette église qui date du XIIe siècle, les déprédations ont été nombreuses. Walter Buchs s’en émeut: «La conscience liée à la valeur du patrimoine n’était pas la même qu’aujourd’hui. Certes, un certain nombre de statues et autres objets religieux, comme le retable de Roditzer, ont été récupérés et pour certains ils ont été replacés dans la nouvelle église. Mais des déprédations et autres saccages ont été hélas constatés. En 1931 et 1932, des étudiants en histoire de l’art ont effectué des fouilles et ont permis de découvrir un ossuaire et quelques objets médiévaux.»


Comme salle de gym
L’enfant Walter se souvient n’avoir pas été meilleur que quelques-uns de ses petits camarades: «C’était devenu un terrain de jeu privilégié pour les gamins du village. Durant la guerre, l’église avait rempli une fonction de cantonnement et de boulangerie militaire. Et pour une génération d’écoliers, la nef a fait office de salle de gymnastique.»
Ce n’est qu’en 1953 que le Conseil d’Etat a décrété la protection du monument. Décréter sa protection était une chose, joindre le financement à sa conservation en était une autre... Reste que c’était le début d’une véritable prise de conscience de la valeur d’un joyau à préserver. Les espoirs et la ténacité des plus fervents défenseurs du site ont toutefois été plusieurs fois douchés. Devant le constat de bourses publiques désespérément hermétiques, les initiateurs du renouveau de l’église ont pratiquement jeté l’éponge à la fin des années 1960. On était plus proche d’une agonie sans issue que d’une nouvelle jeunesse. Jusqu’au jour où...


A vendre pour 15000 francs
Le 27 juillet 1971, on pouvait lire ce curieux titre dans La Gruyère: «A Bellegarde, l’ancienne église est à vendre pour 15000 francs». Une information liée à la parution dans la Feuille officielle de la convocation d’une assemblée communale avec, à l’ordre du jour, sous point 3, cette mention: «Verkauf der alten Kirche.»
«Le sujet a fait l’objet d’un traitement par de très nombreux médias, dans toute la Suisse, se souvient le journaliste Buchs. Il n’en a pas fallu davantage pour que se manifestent en quelques jours de nombreux soutiens et marques de sympathie.» Mais comment en était-on arrivé à une telle extrémité, jusqu’à vouloir se débarrasser d’un monument historique pour une bouchée de pain?
«A ce moment-là, Bellegarde, petit village de montagne, construisait sa nouvelle école. Ses finances étaient mises à très forte contribution. Du coup, l’offre spontanée d’un Suisse résidant en France a pu être considérée comme une ultime chance de sauver un joyau de l’art ancien.»
Le rédacteur de La Liberté a pensé déceler, lui, l’habileté des autorités communales de Bellegarde «pour secouer les gens de la capitale et les responsables de la protection des monuments pour qu’on agisse enfin et qu’on sauve cette petite église de la spoliation». Bon flair car c’est bien ce qui est arrivé, comme le précise Walter Buchs: «C’est à contrecœur et en désespoir de cause que les autorités communales avaient donné suite à la proposition d’un marchand d’art dont les intentions étaient restées peu précises. L’intense campagne médiatique a eu pour effet de retourner complètement la situation. Au bulletin secret, deux tiers des citoyens ont refusé la vente. Au dernier moment, même le Conseil communal a penché du côté du non...» C’est donc bien cette décision négative qui a permis de débloquer un dossier devenu serpent de mer et qui a épuisé plus d’un ardent défenseur du patrimoine local. Quelques jours après l’assemblée, vingt mille bulletin de versement étaient imprimés... La campagne de récolte de fonds pouvait démarrer.


Subventions et tombola
Sitôt prise la décision des habitants de Bellegarde de ne pas céder leur église pour quelques copecks, une commission de bâtisse a été constituée. Walter Buchs en est devenu le secrétaire: «C’était une époque formidable. Le financement des travaux urgents a été assez rapidement assuré. Pour le reste, on a eu recours à de nombreuses sollicitations qui ont été généralement bien accueillies.» Ainsi, en 1973, la Direction de l’instruction publique a même donné son accord pour l’organisation d’une tombola par les écoliers du canton de Fribourg. Dans une note, on peut lire: «La tombola sera vendue en dehors des heures de classe. Cinq pour cent du montant de la vente est destiné au vendeur, respectivement à la classe qui a vendu la tombola.»

 

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Vers le Cantorama


Les travaux extérieurs du bâtiment se sont finalement achevés en 1975. Cinq ans plus tard, c’est tout l’intérieur qui reprenait vie. L’affectation de l’ancienne église restaurée de Bellegarde a alors fait l’objet de riches et intenses réflexions. Il a d’abord été question d’un musée... avant que l’idée ne se concrétise à Charmey.
Alors, sous la férule de Werner Schuwey, vénérable instituteur, organiste et directeur à la fois de la fanfare et du chœur mixte, l’option a été prise de faire de l’ancien sanctuaire un lieu de mémoire de l’art choral et musical du canton de Fribourg, avec une part belle dédiée à ses nombreux compositeurs, à commencer par les  abbés Bovet et Kaelin.


Un «sanctuaire» incontournable de l’art choral
En 1991 était créée la Fondation de l’ancienne église. L’année suivante, le premier concert était donné au Cantorama, nom donné à ce lieu de rencontres et d’échanges pour les chœurs fribourgeois. Depuis un quart de siècle, musique populaire, classique, vocale et instrumentale anime ce «sanctuaire» devenu incontournable au rythme d’une douzaine de concerts environ par saison.
Une renaissance inespérée il y a un peu moins d’un demi-siècle. Les yeux de Walter Buchs, fidèle parmi les fidèles, brillent à l’évocation de ces souvenirs: «Je suis aujourd’hui l’heureux président des Amis du Cantorama, une structure qui compte plus de trois cents membres privés et publics.» JBR

 

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