Le TC tacle sèchement le proprio du Moderne

sam, 28. mai. 2016

Le Tribunal cantonal rejette intégralement le recours de Michel Acquaroli, propriétaire du Moderne, dans l’affaire des peintures murales. Un recours auprès du Tribunal fédéral sera effectué. Il charge le préfet de la Gruyère d’ordonner la remise en état de l’œuvre.

PAR JEAN GODEL

C’est clair, net, précis, mais surtout cinglant: le 19 mai, la deuxième Cour administrative du Tribunal cantonal a intégralement – et très sèchement – rejeté le recours du propriétaire du Moderne, à Bulle, contre la décision du préfet de la Gruyère du 16 septembre 2014. Ce dernier lui ordonnait entre autres la remise en état des peintures murales de Jacques Cesa et Massimo Baroncelli. Les deux artistes gruériens les avaient réalisées en 1985, à la demande de l’ancien propriétaire Bernard Vichet, au terme du sauvetage du bâtiment Belle Epoque.
C’est l’épilogue, provisoire, d’une incroyable bataille procédurière qui a vu l’architecte genevois Michel Acquaroli, actuel propriétaire du Moderne, s’opposer obstinément au préfet Patrice Borcard dans le cadre de la rénovation de ce bâtiment protégé, classé en catégorie 1, la valeur maximale. Provisoire en effet, car l’architecte va «contester cette décision auprès du Tribunal fédéral», confirme son avocat Jérôme Magnin.


Cage d’escalier litigieuse
Si la transformation, en 2013-2014, des appartements n’a suscité aucun problème, les atteintes portées à une cage d’escalier en colimaçon donnant sur la rue Victor-Tissot et datant de la construction de l’immeuble, entre 1904 et 1906, sont au centre de ce feuilleton de-puis l’été 2014. A cette date, il avait été cons­taté que les peintures murales s’y trouvant avaient subi de lourdes déprédations (poncées en de multiples endroits), y compris après un arrêt des travaux ordonné par la Préfecture et la pose de scellés.
Michel Acquaroli a toujours prétendu que ces œuvres, qui ne sont visiblement pas de son goût, n’étaient pas protégées, au contraire de l’immeuble. Le Tribunal lui oppose un démenti sévère. Sur le plan formel, «il ne fait pas de doute», affirme-t-il, qu’à titre de décor, les fres­ques bénéficient de la protection reconnue au bâtiment, au titre «d’élément des aménagements intérieurs représentatifs».
Mais sur le plan artistique aussi, la qualité des fresques de Cesa et Baroncelli, bien que postérieures à la construction de l’immeuble, ne fait aucun doute. Pour l’affirmer, les juges se basent, outre plusieurs préavis du Service des biens culturels (SBC), sur le rapport de janvier 2015 établi par Walter Tschopp, ancien conservateur du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel, spécialiste de l’art figuratif du XXe siècle en Suisse.


Œuvres «d’envergure»
En substance, l’expert, mandaté par le SBC, tient ces peintures murales pour des œuvres «d’envergure» à la «qualité artistique forte»: «Elles incarnent un regain de l’art réaliste ainsi que, plus localement, une étape importante de l’histoire du Grand Hôtel Moderne et de la vie culturelle bulloise», citent les juges. Lesquels rappellent au passage qu’il «coule de source qu’il n’appartient pas à un propriétaire de décider si un décor existant bénéficie ou non de la protection en vigueur». Surtout que Michel Acquaroli n’a jamais déposé de demande de permis, encore moins obtenu d’autorisation, pour détruire ces peintures.
Au contraire, l’autorisation du 13 septembre 2013 de rénover le Moderne était assortie d’un préavis du SBC exigeant que la remise en état, notamment de la cage d’escaliers litigieuse, se fasse «avec un soin particulier».
Le TC juge dès lors «totalement fantaisistes» les affirmations de Michel Acquaroli selon lesquelles ces fresques, réalisées prétendument sans droit en 1985 dans un bâtiment Belle Epoque, dénaturaient l’édifice et n’appartenaient pas à la culture gruérienne. Autant d’élucubrations de mauvaise foi qui, aux yeux du TC, «constituent une tentative dérisoire de justifier a posteriori un fait accompli inadmissible». Qui plus est de la part d’un architecte parfaitement au clair des règles en la matière.


Rétablir l’Etat de droit
Pour éviter tout précédent, il s’agira de rétablir l’Etat de droit. En d’autres termes, les œuvres vandalisées devront retrouver au plus près leur état original, ainsi que l’avait ordonné le préfet de la Gruyè­re dans sa décision contestée. Ne pas le faire, estiment les juges, serait «particulièrement choquant», car cela légiti­merait la politique du fait accompli.
Le problème, c’est que, «vu l’absence crasse de coopération» de Michel Acquaroli, mais aussi son mépris exprimé à de réitérées reprises tant des autorités que des auteurs de l’œuvre litigieuse, les juges ne croient plus qu’il exécutera de son plein gré la recréation des fresques. Car il devrait pour cela mandater les artistes «qu’il a honnis pendant toute la procédure». C’est «inutile», se convainquent-ils.
Le TC passe donc outre l’étape de la sommation et s’adresse directement au préfet, lui enjoignant d’ordonner sans délai l’exécution par substitution des travaux, aux frais du propriétaire. Cela tombe bien puisque les créateurs sont encore en vie et que, depuis le début, ils se sont dits prêts à se mettre au chevet de leur œuvre – pour l’heure recouverte d’une feutrine de protection. Jacques Cesa et Massimo Baroncelli ont même estimé le coût de leur intervention artistique: moins de 22000 francs. Voilà une solution «pragmatique», apprécie le TC, qui échappe à toute critique. Les frais de procédure sont, eux aussi, mis à la charge de Michel Acquaroli.

 

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«Un cas extrêmement rare»


Le préfet de la Gruyère n’a pas l’habitude de commenter les jugements rendus au sujet des recours déposés contre ses décisions. Toutefois Patrice Borcard se dit content de voir sanctionnée l’attitude «parfaitement intolérable» du propriétaire du Moderne.
Quant à l’exécution par substitution de la remise en état des peintures murales, en lieu et place du propriétaire normalement tenu de s’y soumettre, il fait remarquer que cet outil est contenu dans la loi et est régulièrement agité afin de faire revenir les récalcitrants à la raison. «Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais dû y recourir concrètement. C’est donc un cas extrêmement rare. Mais j’ai reçu une mission du Tribunal cantonal: je l’accomplirai.»
Avocat de Jacques Cesa et Massimo Baroncelli, Pierre Mauron savoure cette décision qui soulage des artistes «totalement sous le choc» après de tels comportements: «Dans cette affaire, on se moque des actes des autorités.» Quant au recours de Michel Acquaroli au Tribunal fédéral, l’avocat bullois ne lui donne, en l’état, «guère de chances». JnG

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