«La seule solution? Un nouveau vote sur les bilatérales»

sam, 25. juin. 2016

Les Britanniques ont décidé jeudi de quitter l’Union européenne, à 51,9%. Professeur à l’Uni de Fribourg, Gilbert Casasus analyse les causes et les conséquences, en particulier pour la Suisse, du Brexit.

PAR JEAN GODEL AVEC L'ATS

Les Britanniques ont voté. Ils quittent l’Union européenne (UE): 51,9% des électeurs ont voté jeudi pour le Brexit lors d’un référendum marqué par une participation importante (72,2%). Entré dans le bloc européen en 1973, le Royau­me-Uni est le premier pays à le quitter en soixante ans de construction européenne.
Après quatre mois de campagne, marquée par de fortes divisions et le meurtre d’une députée pro-UE, le camp du remain aura été impuissant à empêcher la vague antisystème, et à contrer les désillusions à l’égard d’une Europe jugée distante, bureaucratique et engluée dans les crises.
Les résultats montrent aussi un pays divisé, avec Londres, l’Ecosse et l’Irlande du Nord partisans du maintien tandis que le nord de l’Angleterre ou le Pays de Galles ont largement voté contre. Le Premier ministre écossais, Nicola Sturgeon, a déjà fait savoir qu’un second référendum d’indépendance de sa région était désormais «sur la table».
Partisan du maintien dans l’UE, le Premier ministre conservateur David Cameron, à l’origine du référendum, a tiré les conclusions du vote en annonçant sa démission. Le chef de file conservateur de la campagne proBrexit et ancien maire de Londres, Boris Johnson, est pressenti pour le remplacer et lancer la négociation sur le processus de sortie.
L’issue du scrutin a déclenché sur les marchés financiers mondiaux un mouvement de panique sans précédent depuis la crise de 2008. Pour l’économie suisse, la pression sur la valeur refuge que représente le franc va s’accentuer à court terme. De l’avis de Sergio Rossi, professeur d’économie à l’Université de Fribourg, la place financière suisse pourrait pourtant aussi profiter d’afflux d’argent. Les grands groupes financiers très présents dans la City ne devraient pas forcément souffrir d’un Brexit, la sortie de l’UE pouvant aussi s’accompagner d’un assouplissement du cadre réglementaire.
Professeur en études européennes à l’Université de Fribourg, Gilbert Casasus analyse pour La Gruyère les causes de ce tremblement de terre politique.

Quelle est la cause principale de ce Brexit?
L’Europe n’arrive plus à montrer sa pertinence dans le quotidien des citoyens. Elle est un acquis que l’on ne remarque plus. Quand j’étais enfant, je passais quatre heures sous un soleil de plomb pour traverser la frontière franco-espagnole. Aujourd’hui, on remet Schengen en cause. Les endroits où vivent les gagnants de la globalisation ont voté le maintien. Le Brexit, lui, provient des régions où les gens sont persuadés d’être les victimes de cette globalisation, dont ils rendent l’Europe responsable.

De solution, l’Europe est devenue la cause des problèmes?
Non. L’Europe n’est pas la cause des problèmes, mais on lui a donné cette image. Cela dit, l’UE a sa part de responsabilité. Sa principale erreur est de ne pas avoir compris que l’intégration européenne est aussi un processus de construction politique qui, dans un espace démocratique, passe par le respect de la légitimité populaire.
Après l’échec, en France et aux Pays-Bas, du référendum sur le projet de Constitution européenne en 2005, il fallait se donner le temps de rédiger un nouveau traité à présenter à l’ensemble des citoyens communautaires, le même jour que les élections au Parlement européen, afin qu’il gagne en légitimité. Or, qu’a-t-on fait? On a rédigé le traité de Lisbonne qui, pour moi, est une énorme erreur que l’on paie aujourd’hui très cher. Un traité sans consistance politique et qui ne fait pas envie.

Quelle était l’idée fondatrice de l’Europe?
D’abord la paix et le dépassement des nationalismes, puis la libre circulation des personnes et des marchandises. Mais la paix, devenue normale, n’intéresse plus personne.

Malgré les conflits aux frontières de l’Europe?
Ils ont fait venir des réfugiés et des travailleurs émigrés. Pour l’ouvrier européen, ce n’est plus le patron, l’adversaire de classe, mais le migrant. Un grand déficit existe donc sur cette notion de paix. Il est très important qu’un travail historique se fasse à son sujet, afin de comprendre qu’elle peut être aussi fragile.

La construction européenne est-elle en danger?
C’est la plus grande crise politique qu’elle a connue. C’est donc le moment ou jamais de prendre des mesures pour éviter un Brexit 2. La réforme des institutions européennes est désormais sur la table.

Quelle réforme?
D’abord, il s’agira de savoir quelle attitude on adoptera à l’égard de la Grand-Bretagne. Va-t-on faire traîner les choses pour trouver des compromis, attitude que je trouverais personnellement fausse, ou l’Europe va-t-elle dire à la Grande-Bretagne: «Dehors!» En football, quand vous recevez un carton rouge, vous quittez le terrain. Il faut arrêter les politiques bisounours du type «ce n’est pas si grave». Non, pour une fois, il faut que les Britanniques sachent à quoi ils se sont exposés. L’UE a tout loisir de mener une politique de rapports de force avec Londres.

En aura-t-elle le courage?
C’est toute la question. Si oui, comment et avec quels dirigeants? Beaucoup repose de nouveau sur les épaules d’Angela Merkel. Je plaide pour la relance d’un noyau dur avec les pays fondateurs. L’Europe à plusieurs vitesses n’est pas un sujet tabou, loin de là. Mais il faut une volonté politique.

L’Europe pourrait donc sortir renforcée de cet échec?
A condition que les personnalités européennes aient du courage. Il faut rapidement un Jacques Delors, pas un Donald Tusk (n.d.l.r.: président du Conseil européen).

Quel est l’avenir du Royaume-Uni? Peut-on imaginer sa dislocation?
C’est son affaire, plus celle des Européens.

Ce Brexit ne clarifie-t-il pas la situation de la Suisse? Notre dossier est retombé sous la pile…
C’est une mauvaise nouvelle pour la Suisse. Si nos négociateurs veulent aller taper à la porte de l’UE, on leur dira: «Excusez-nous, on a autre chose à faire.» Ce Brexit est aussi une très mauvaise nouvelle pour l’industrie suisse, au moins à court terme.

Le Conseil fédéral peut-il maintenant proposer un vote sur les accords bilatéraux, l’application de l’initiative sur l’immigration de masse n’étant plus possible dans les temps?
La seule façon de s’en sortir est en effet un nouveau vote, cette fois sur les bilatérales. Ce serait une excellente solution. Peut-être que le Brexit permettra, en Suisse comme en Europe, un débat sur la responsabilité des citoyens. Les votations, ce n’est pas une cour de récréation. Au citoyen râleur, le politique a donné des responsabilités, celles de décider de l’avenir d’un pays.

A qui le tour? Marine le Pen réclame un tel référendum…
En 2005, après le refus de la Constitution européenne par son pays, Marine Le Pen affirmait déjà que la France retrouverait une place dominante en Europe. Onze ans après, je n’ai pas l’impression que la France est sortie renforcée de ce refus… Là aussi, arrêtons les balivernes! Que les responsables politiques soient placés face à leurs actes. En Grande-Bretagne, on a vu un David Cameron très faible. Les Cameron en Europe, ça suffit!

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