Disséquer le jeu pour mieux vibrer devant le match

| sam, 04. juin. 2016

Parmi les nombreux livres parus à l’occasion de l’Euro, "Comment regarder un match de foot?" a l’avantage de vraiment parler de sport. Des spécialistes français ont interrogé des entraîneurs pour évoquer les aspects tactiques.

Par Eric Bulliard

Le titre peut tromper: "Comment regarder un match de foot?" ne contient ni leçons condescendantes ni conseils sur les bières à déguster avec les copains. Le sous-titre, lui, se révèle plus explicite: «Les clés du jeu décryptées». Ce sera donc du sérieux.

Les auteurs (les Français Raphaël Cosmidis, Gilles Juan, Christophe Kuchly et Julien Momont, soit l’équipe des Dé-Managers) animent un blog d’analyse tactique sur le site des Cahiers du football (www.cahiersdu football.net). Avec cet ouvrage, riche de témoignages et d’analyses d’entraîneurs réputés, ils livrent «une boîte à outils» pour mieux comprendre le foot, «tel qu’il se pratique réellement». Et tenter d’élever les discussions de bistrot.

En Suisse, comme en France, la tactique n’a pas toujours bonne presse. Chez nos chers commentateurs télévisés, qui jugent la qualité d’un match au nombre de buts marqués, «très tactique» est synonyme d’ennuyeux. Ailleurs, en Italie, par exemple, les schémas sont volontiers décortiqués jusqu’à plus soif. En réalité, écrivent les auteurs dans l’introduction, «trouver un système dans lequel Lionel Messi court là où il veut (ou ne court pas) n’est pas moins “tactique” que le catenaccio».

Certes, la télévision, avec ses gros plans et ses ralentis, n’aide pas à l’analyse. Et la plupart des médias oublient que les coaches partagent souvent volontiers leurs connaissances, comme le raconte dans l’introduction Stéphane Moulin, entraîneur d’Angers: «Ça ne me gêne pas d’expliquer, y compris quand cela ne marche pas. (...) [Mais] on nous demande si on est content d’avoir gagné. Ben oui, je suis content d’avoir gagné…»

Comment regarder un match de foot? fourmille d’anecdotes et d’exemples tirés de matches récents. Son approche débute par les systèmes de jeu, leur évolution, les vices et vertus du 4-4-2 à plat ou en losange, du 4-3-3 du Barça, du 3-5-2 de l’Argentine 1986 ou du 4-2-3-1 de l’Espagne de Del Bosque.

Beauté de la défense
Suit un chapitre sur l’évolution de chaque poste, du gardien devenu joueur de champ (avec Neuer pour emblème) au centre-avant transformé en faux 9. De nos jours, les deux plus grands buteurs (Messi et Ronaldo) ne sont en effet «pas de purs attaquants, mais des ailiers reconvertis». D’autres postes ont carrément disparu comme le libero (et avec lui le catenaccio) et les ailiers «mangeurs de craie».

«Ne pas avoir le ballon» et «Avoir le ballon» constituent les parties centrales du livre. L’occasion de rappeler les vertus de la défense: «Il ne va pas de soi que le jeu doive n’être jugé “beau” que s’il est offensif. La rigueur tactique, l’énergie déployée à défendre ardemment, la rapidité d’un contre, l’efficacité, voire l’opportunisme d’un attaquant ont aussi droit à une valorisation d’ordre esthétique.»

Encore faut-il défendre efficacement. Et donc en équipe. Ici, l’apport du «révolutionnaire» Arrigo Sacchi, à la tête du Milan de 1987 à 1991, se révèle essentiel. Comme le souligne Claudio Ranieri: «Soudainement, on a vu une équipe au niveau international évoluant en zone capable de presser haut, d’imposer son jeu et de maîtriser le match plutôt que d’attendre et de contrer, d’être dans l’action plutôt que dans la réaction. Rien n’a plus jamais été tout à fait pareil depuis.»

Au passage, petite poussée de chauvinisme, signalons qu’un entraîneur suisse a été un des pionniers du marquage en zone: en 1983, Daniel Jeandupeux, alors à la tête de Toulouse, a été le premier en France à faire évoluer son équipe en zone intégrale. Soit quelques années avant Milan.

Pressing et «conducción»
Au bloc compact de Sacchi (qui a pris le relais du football total de l’Ajax et du Barcelone de Rinus Michels), s’est ajoutée une nouvelle forme de pressing, devenue essentielle aujour-d’hui: le gegenpressing. Le terme vient d’Allemagne et sa mise en pratique se trouve au cœur du jeu pratiqué par les équipes de Jürgen Klopp, qui «défendent comme des roquets attaquant un os dans la gueule d’un autre chien: avec des yeux de fou et une sacrée débauche d’énergie».

Le gegenpressing, c’est «s’atteler à la récupération du ballon dès la perte de celui-ci, pour sauter l’étape du replacement». Guardiola a établi la règle des six secondes: «Dans les six secondes suivant la perte de balle, ses joueurs devaient l’avoir regagnée».

Omniprésent tout au long du livre, Guardiola occupe évidemment une place centrale dans la partie «Avoir le ballon». Où il est question de possession (même si Raynald Denoueix préfère parler de «préparation»), de synchronisation des déplacements, de recherche des intervalles, de jeu entre les lignes, d’appuis et d’appels… Ou encore, de conducción (l’utilisation du ballon comme leurre), de l’homme libre et du troisième homme.

Au final, le livre permet de prendre du recul, en dépassant la face médiatique du foot. De distinguer deux approches majeures, «pouvoir battre tout le monde en évoluant comme on l’a décidé» ou s’adapter pour «résoudre n’importe quel problème posé». Et se souvenir que cette «dualité incarnée par le match Guardiola-Mourinho» constitue «la vraie opposition d’une époque qui en aura créé une autre totalement absurde entre Lionel Messi et Cristiano Ronaldo».

Alors, finalement, comment regarder un match de foot? «En continuant à gueuler et à s’engueuler, à encourager ou à se décourager, à vibrer ou à s’ennuyer – mais en le faisant aussi pour des raisons qui appartiennent à la tactique.»

Raphaël Cosmidis, Gilles Juan, Christophe Kuchly, Julien
Momont, "Comment regarder un match de foot?", Editions Solar, 512 pages

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