Loïc Parein: «Ce livre n’est pas une plaidoirie tardive»

sam, 18. juin. 2016

Avocat de Claude D., qui a été condamné en mars dernier pour avoir tué Marie S., Loïc Parein a écrit un livre sur le sujet. Il propose un journal de bord qui commence au lendemain des plaidoiries du procès. Dans cet ouvrage, le sujet principal est bien l’internement à vie et non son client.

PAR VALENTIN CASTELLA

L’affaire Claude D., qui a été condamné à l’internement à vie en mars dernier à la suite du meurtre de Marie S., avait fait grand bruit en Suisse. Avocat du Tourain, Loïc Parein sort lundi un livre intitulé Le premier jour d’un condamné en rapport avec ce procès. Un ouvrage édité par les Editions de l’Hèbe, à Charmey. Sous la forme d’un journal de bord, le Vaudois de 33 ans décrit ses impressions entre les plaidoiries et le verdict. Si l’ombre de Claude D. plane entre les lignes, le sujet principal est bien l’internement à vie.

Quand avez-vous pris la décision d’écrire cet ouvrage?
Au lendemain des plaidoiries, je me suis réveillé la bouche sèche des mots que je n’ai su dire. J’ai continué à penser au procès, à ce que j’avais pu entendre. J’ai ressenti comme un goût d’inachevé. Comme je savais que cette affaire ne s’arrêterait pas là, j’ai commencé à coucher quelques notes sur le papier, qui se sont, au fil des jours, transformées en un journal ne concernant plus une affaire en particulier. Je me suis alors lancé le défi d’écrire jusqu’au verdict. Cet ouvrage, qui n’est pas une plaidoirie tardive, était une manière d’aller au-delà du combat judiciaire et de défendre des valeurs sous une forme plus libre. Il me semblait, en somme, important d’alimenter le débat ailleurs que dans l’enceinte judiciaire.
 
Claude D. est-il au courant de votre initiative?
Oui, je tenais à ce qu’il soit au courant. Le secret professionnel ne m’autorise pas à dévoiler les discussions que j’ai eues avec lui à ce propos.

D’entrée, vous vous désolidarisez de l’acte commis par Claude D. Vous dites préférer être présenté comme son avocat et non son défenseur. Prendre une certaine distance était-il important?
Oui. L’avocat doit être indépendant et entretenir une position permettant une mise en perspective. Un peu comme pour le livre. Le mot «défenseur» peut faire croire que je vais essayer de défendre ce qu’il a fait, trouver des excuses et essayer d’obtenir la peine la moins lourde. Ce qui n’est pas le cas du tout. Ce cliché ne correspond pas à ma vision de la profession d’avocat.

Dans ce livre, Claude D. ne tient, finalement, qu’un second rôle. Votre combat contre l’internement à vie est le sujet principal…
Le Tribunal fédéral le dit: toute incarcération comporte un certain degré d’humiliation. En ce qui concerne le droit suisse, l’internement à vie constitue l’atteinte la plus importante à la dignité humaine. Davantage même que la perpétuité. On a tous, un moment ou à un autre, ressenti un désir de vengeance dans une situation donnée. Pour cette raison, la société a mis en place une structure juridique pour faire en sorte que ce désir ne soit pas actif. Dans cette affaire, l’institution n’a, me semble-t-il, pas résisté à ce sentiment de désir de vengeance. Comme tout le monde, j’éprouve un besoin de sécurité. Je suis favorable aux mesures de protection de la société. Claude D. a commis des infractions graves et il sera sévèrement sanctionné. Je ne suis pas là pour prôner une absence de sanctions, mais pour rappeler que la dignité humaine est une valeur limitant le processus répressif.
Le comité antitorture du Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme ont affirmé que l’internement à vie n’est pas compatible avec la dignité humai-ne. Le comité antitorture a d’ailleurs demandé au Conseil fédéral de modifier la sanction, qui viole les engagements de notre pays.

La pression populaire était immense durant le procès. Les juges avaient-ils le choix?
Tous les ingrédients étaient réunis pour mettre à l’épreuve la justice. Et, la veille du verdict, j’étais encore convain-cu qu’elle allait sortir plus forte.

Vraiment?
Votre question prouve que vous ressentiez aussi que quelque chose d’autre pesait sur ce procès qui n’était de l’ordre du droit. Pour prononcer une telle sanction, deux experts devaient affirmer que l’accusé est incurable à vie. Et, lorsqu’un des deux a publiquement conclu que, au-delà de dix ans, son appréciation ne vaut plus rien, vous ne pouvez qu’être optimiste. La loi n’a, à mon sens, pas été respectée. Ce qui signifie que nous n’étions plus en train de faire du droit, mais autre chose. Quoi? De la politique ou de la démagogie.

Dans l’un des chapitres, vous revenez sur les déclarations faites lors du deuxième jour du procès. Ces dernières sont favorables à Claude D. Par contre, aucune page ne mentionne ses propos peu reluisants envers sa victime notamment…
Il s’agit là de morceaux choisis. Je n’ai pas la prétention de fournir l’exhaustivité des propos tenus. Ces passages sont livrés de manière brute, sans aucune appréciation. Lorsque vous parlez d’extraits favorables, c’est vous qui ajoutez cet adjectif. D’autres parleront peut-être d’une démonstration d’une capacité de manipulation.

Personnellement, comment avez-vous vécu ce procès?
Il s’agit de l’épreuve la plus intense que j’ai pu vivre jusque-là. Cette affaire est exceptionnelle à tous les points de vue. Elle a même eu des répercussions sur les rapports entre les instances politiques du canton, voire au-delà.

Dans votre livre, vous mentionnez quelques insultes à l’égard de Claude D. Vous attendiez-vous à une telle animosité?
La haine est un sentiment profondément humain et personne n’est à l’abri de l’éprouver. Je considère ces insultes comme des signaux d’alarme. Dire, devant sa télévision «mais quelle ordure, il devrait être exécuté sur la place publique» est relativement banal. Mais le fait de manifester publiquement une telle réaction sur internet par exemple, où ces paroles sont à la portée de tous pour une durée infinie constitue un acte supplémentaire qui me préoccupe. C’est une preuve que la valeur humaine est en danger. Il faut toutefois ajouter que j’ai également reçu des manifestations de soutien de la part de personnes qui partagent cette conviction. Sauf que ces dernières éprouvent des réticences à manifester ce soutien en raison d’un discours très clivant, qui se résume à: «Si vous n’êtes pas favorable à l’internement à vie, vous êtes pour la remise en liberté de délinquants dangereux.» Alors que le débat n’est absolument pas de savoir si on doit, oui ou non, remettre en liberté un criminel.

Claude D. a été décrit comme une personne narcissique. Le fait qu’un livre relate son procès doit lui faire plaisir….
Je ne peux pas l’exclure. Mais ce n’est pas le but. Comme je l’ai dit en plaidoirie, j’écris qu’il a enlevé, séquestré et tué Marie S., raison pour laquelle il sera lourdement condamné. Ces propos sont probablement durs à entendre de ma part.

Quelle est la prochaine étape en ce qui concerne cette affaire?
L’appel devant la Cour d’appel pénale du canton de Vaud a été déposé et l’audience est fixée du 1er au 2 septembre prochain.

 

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«La réponse primitive de l’homme»

Ancien ministre de la justice du gouvernement de François Mitterrand, Robert Badinter est connu pour le combat qu’il a mené contre la peine de mort. Ses efforts ont été récompensés le 9 octobre 1981, avec l’abolition de cette dernière en France. L’avocat ne pouvait donc pas se montrer insensible face à l’internement à vie que propose le droit helvétique. Il en parle dans la postface du livre écrit par Loïc Parein. «La peine de mort a disparu de nos sociétés européennes de liberté. Je croyais donc ces temps définitivement révolus. Mais devant le crime de sang ou de sexe, la pulsion de peur et de mort se lève toujours. Face au crime sanglant, le désir inavoué d’élimination ressurgit en l’être humain. Et l’opinion publique indignée réclame à nouveau l’élimination, non plus physique, mais sociale du criminel. C’est le retour, dans nos sociétés modernes, d’une nouvelle forme de loi du Talion, la réponse primitive de l’homme au scandale du crime.»


Principe de précaution sociale
Le socialiste continue en parlant d’une «justice d’élimination»: «Il s’agit au nom d’un principe de précaution sociale, de supprimer tout risque de récidive en mettant à l’écart pour une durée illimitée ceux qui sont considérés comme dangereux (...) Il faut rappeler les fondements de la justice dans une démocratie. Depuis les Lumières et la révolution des droits de l’homme, nous considérons que tout être humain est doué de raison et qu’il est susceptible de changer. L’évidence est là: le criminel ne se résume pas au crime. C’est au nom de ces principes que nos sociétés ont refusé la justice d’élimination et que la peine de mort a été abolie.»
Pour Robert Badinter, l’internement à vie est décrit comme de la «barbarie judiciaire». «Qu’il en soit encore ainsi en Suisse, en 2016, quelle déception! (...) La Cour (n.d.l.r.: la Cour européenne des Droits de l’homme) garantit au condamné un “droit à l’espoir”: tout détenu condamné à la perpétuité réelle doit bénéficier d’une possibilité effective de réexamen et d’aménagement de sa peine et a le droit de connaître le moment où le réexamen de sa peine aura lieu ou pourrait être sollicité. (...) Prenons garde à ne pas substituer à notre justice de responsabilité une justice de sûreté. (...) N’oublions pas que la “barbarie” du châtiment ne doit jamais répondre à la barbarie du crime. Ce serait la négation absolue des valeurs dans lesquelles nous croyons.» VAC

 

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L’éditeur n’a pas hésité


Jean-Philippe Ayer, directeur des Editions de l’Hèbe, à Charmey, n’a pas hésité longtemps avant d’accepter la requête de Loïc Parein, avec qui il avait déjà collaboré en 2008. «Il m’a contacté avec cette phrase: “Je me réveille la bouche sèche des mots que je n’ai su dire.” Je l’ai trouvé magnifique et nous avons pris la décision d’éditer ce livre.»
Bien entendu, le Gruérien s’est posé la question de l’intérêt de cet ouvrage, qui ouvre à nouveau un chapitre délicat, celle de la mort de la jeune Marie S. «Nous partageons l’émotion de l’entourage de la victime et ne participons d’aucune manière à la défense du client de Me Parein. Mais nous estimons indispensable de participer au débat autour de la notion d’internement à vie. Toutes les argumentations doivent être entendues.» VAC

Commentaires

L' étique de l'avocat est sacrée, comme est le droit d'être défendu, quelle ait été la faute. L'internement à vie, tel que voté dans l'émotion, est une condamnation à mort déguisée. C'est une régression. Je souhaite que le TF rejette les recours en cette matière. Strasbourg mettrait sans doute les pendules helvétiques à l'heure!
Vous seriez étonné. "Strasbourg" est bien plus sévère que vous semblez le penser. echr.coe.int/Documents/FS_Life_sentences_FRA.pdf Bien souvent, la CEDH est utilisée comme un épouvantail par des personnes qui n'ont jamais lu un seul arrêt de cette cour. Amicalement.
Il a été défendu (2 avocats !) et condamné après un procès équitable. A quoi cela sert-il d'avoir voté ce genre de peine si le TF ou Strasbourg rejettent systématiquement les décisions des tribunaux cantonaux ? La prochaine fois vous pouvez le libérer directement après le procès, lui donner une indemnité pour tort moral, lui présenter vos excuses et attendre de le revoir après son prochain délit. Ce monsieur (l'accusé) est un danger pour la société et donc il doit payer ses crimes.

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