«L’entraîneur devait toujours convaincre les numéros 4 et 5»

| mar, 05. jui. 2016
Le coup de poker de Schweinsteiger (photo) a réussi pour son équipe, un peu moins pour son duel personnel face à Buffon... Keystone

Le quart de finale entre l’Allemagne et l’Italie, joué au terme d’une incroyable série de tirs au but, a démontré toute la complexité de l’exercice. L’ancien buteur du Borussia Dortmund Stéphane Chapuisat et l’ex-gardien du grand Neuchâtel Xamax Joël Corminboeuf analysent. Michel Pont évoque la série perdue par la Suisse.

PAR KARINE ALLEMANN

«Quand j’ai vu que le quart de finale se jouerait aux tirs au but, je me suis dit que, pour une fois, les Allemands étaient mal. Je pensais que Buffon ferait gagner l’Italie.» Parce que Stéphane Chapuisat se souvient bien d’un penalty qu’il avait manqué en 1997 – ou plutôt que le gardien italien avait arrêté – en Ligue des champions, alors qu’il jouait à Dortmund et Buffon à Parme. «C’était en cours de jeu, je n’avais pas très bien tiré. Du coup, quand nous avons eu un deuxième penalty, je n’y étais pas allé et Buffon avait aussi arrêté le tir de Möller. Cela ne m’avait pas particulièrement hanté, parce que nous avions quand même gagné.»
Samedi, la série de tirs au but entre l’Allemagne et l’Italie restera dans les mémoires pour le nombre de ratés (sept!). «Les gens pensent que tirer un penalty est facile. On a vu à quel point ça ne l’est pas, même pour de grands joueurs habitués à de grands événements», rappelle pour sa part Joël Corminboeuf, ancien gardien du Neuchâtel Xamax de la grande époque (de 1985 à 1999), et aujourd’hui entraîneur des gardiens des équipes nationales M15 à M19. «Ils n’ont pas supporté la pression, notamment face à ces deux monstres que sont Neuer et Buffon. Les joueurs ont quasiment l’impression de tirer dans un but de juniors D.  Ils ont pris plus de risques et ça passait à côté. Finalement, ils restent très humains.»
Une demi-finale à Auxerre
Même le buteur allemand Thomas Müller a totalement manqué son affaire. Fort de ses 102 buts en Bundesliga et ancien attaquant de l’équipe nationale (de 1989 à 2004), Stéphane Chapuisat explique: «Müller regardait le gardien et comme Buffon n’a pas bougé, il était forcé de tirer dans un coin. Mais il n’avait plus assez de force pour le faire. Cette saison, il avait déjà raté un penalty en demi-finale de la Ligue des champions avec Bayern, face à Atlético. Aujourd’hui, de nombreux tireurs choisissent cette tactique: observer le gardien. Personnellement, je me décidais pour un côté et je me concentrais uniquement sur le fait de mettre le ballon où je voulais.»
Le Vaudois se souvient d’une demi-finale de la Coupe de l’UEFA qui s’était jouée aux tirs au but à Auxerre. «Au bout, il y avait une finale. C’est la plus grosse série à laquelle j’ai participé. J’ai tiré et j’ai marqué. Sur le coup, on est juste heureux que ce soit passé et de ne pas avoir fait perdre son équipe. Parce que le moment où on marche vers le but, c’est horriblement long. Il y en a des choses qui passent dans la tête. On n’attend plus que de poser ce ballon, que l’arbitre siffle et qu’on puisse tirer.»
Cette tension peut motiver des joueurs à tenter des coups. Comme l’Allemand Bastian Schweinsteiger, dans ce fameux quart de finale de samedi: «Il a gagné le tirage au sort, rappelle Stéphane Chapuisat. Mais il a choisi de tirer face aux supporters italiens. Pour mettre encore plus de pression sur les joueurs transalpins, qui voyaient leurs fans quand ils marchaient vers le but. Ça a marché.»
Que faire de ces infos?
Chaque joueur étant analysé, les gardiens possèdent des informations très précises. «Dans un stade, il y a plus de gars qui font des statistiques que de joueurs sur le terrain», rigole le Fribourgeois, mandaté par l’Association suisse de foot pour étudier les gardiens de l’Euro. «Après, la question est de savoir quoi faire de ces informations. Un gardien ne peut pas anticiper. Parce que les joueurs sont assez forts pour attendre le dernier moment et mettre le ballon de l’autre côté. De plus, le gardien a intérêt à ne pas bouger pour donner le moins d’infos possibles au tireur. C’est une manière de l’encourager à faire ce qu’il sait faire, pour qu’il choisisse effectivement son côté préféré.»
Reste à désigner les volontaires. «Pour toutes les séries que j’ai vécues, à chaque fois il n’y avait que trois, voire quatre joueurs qui se présentaient spontanément, se souvient Stéphane Chapuisat. L’entraîneur devait toujours aller convaincre les numéros 4 et 5. Pas en les obligeant, mais en leur disant qu’il avait confiance en eux. Alors, quand on arrive aux tireurs 6, 7, ou 8, c’est sûr qu’ils ne voulaient pas tirer à la base!» Une évolution constatée par le Vaudois: «A mon époque, les meilleurs tireurs étaient alignés en 4e et 5e position. Aujourd’hui, ils sont les numéros un et deux.»
Ni le gardien ni l’ancien attaquant ne se souviennent de longues séances d’entraînement spécifique. «Le plus dur, ce n’est pas le geste technique, explique Stéphane Chapuisat. C’est la pression d’un grand événement, les supporters, l’histoire... A quoi s’ajoute la fatigue d’une fin de match et éventuellement le fait d’avoir mal joué. Cela en fait des choses qui trottent dans la tête.»
On parle souvent de «la loterie des penaltys». Mais, au final, l’Angleterre est incapable de s’imposer aux tirs au but, tandis que l’Allemagne a remporté ses six dernières séries. Comme si la victoire dans cet exercice était inscrite dans l’ADN de la Mannschaft. «Evidemment que, plus tu gagnes, plus la confiance s’installe, note l’ex-gardien fribourgeois. Pour les Allemands, cela ressemble à une certaine arrogance.»
Force morale bien connue
«Leur force morale est connue, abonde l’ancien de Dortmund. Même si, samedi face à l’Italie, ils ne sont pas passés loin de l’élimination.» D’ailleurs, jeudi, le Vaudois voit bien la France battre l’Allemagne.
Le tir au but, que l’on pourrait retrouver en demi-finales et/ou en finale de cet Euro 2016, est donc un drôle d’exercice: il s’agit d’un duel un contre un qui conclut un match par équipes, le geste final est impossible à entraîner et, contrairement à ce qu’on croit, il n’a finalement pas grand-chose à voir avec la chance. De quoi offrir des moments d’une rare intensité dramatique, que l’on appelle la «douce incertitude du sport»...

 

Ricardo avait enlevé ses gants
Pour déstabiliser leur vis-à-vis, certains gardiens n’hésitent pas à le provoquer. Ou à l’étonner, ce qui peut s’avérer tout aussi efficace. Comme à l’Euro 2004, quand le gardien portugais Ricardo a enlevé ses gants avant le dernier tir des Anglais, ou en championnat de France, quand le Nantais Landreau est resté sur la droite, ouvrant la cage au Brésilien Ronaldinho, qui avait totalement manqué son tir.
«Le premier à avoir joué ce jeu, c’est Bruce Grobelaar, l’ancien gardien de Liverpool, rappelle Joël Corminboeuf. En 1984, il avait remporté la finale de la Coupe des clubs champions (équivalent Ligue des champions) aux penaltys face à l’AS Rome, en faisant un cirque pas croyable.» Un petit tour sur internet apprend qu’il avait fait mine de manger les filets du but tels des spaghettis en souriant aux photographes, puis il a feint de ne plus tenir sur ses jambes.
Ce genre de provocations pouvaient-elles perturber Stéphane Chapuisat? «Franchement, non. Ce qui me déstabilisait davantage, c’était de devoir affronter un gardien réputé très bon dans cet exercice…» KA

 

Michel Pont: «L’entraîneur gère le stress paralysant»
Une décennie: voilà ce qui a séparé – à six jours près – la série de penaltys historique entre l’Allemagne et l’Italie de samedi et la désillusion de 2006 à Cologne, où l’équipe de Suisse avait été éliminée en huitième de finale de la Coupe du monde face à l’Ukraine... après les tirs au but.  Ces deux fragments d’histoire du ballon rond, Michel Pont les a vécus dans le rôle du «spectateur». Assis dans les tribunes du stade de Bordeaux samedi, debout devant le banc de la Nati en 2006. «Les émotions, indescriptibles par leur intensité, sont comparables entre ces deux séries, confie le Genevois de 62 ans. Comme entraîneur (assistant qu’il était), on les subit complètement et notre âme de gagnant est remise aux mains de la chance.»
Sitôt la sentence des penaltys prononcée, après cent vingt minutes d’une lutte sans vainqueur, le coach comme son assistant n’ont plus qu’une infime influence sur le sort du match. «Notre rôle est de dédramatiser la situation et de “désinhiber” le joueur en quelque sorte. Il s’agit de le rassurer et de lui ôter l’idée qu’il puisse être le héros malheureux. Tout se joue dans la gestion du stress paralysant», développe celui qui fut assistant national de Köbi Kuhn puis d’Ottmar Hitzfeld, de 2001 à 2014.
Dans cet exercice si particulier, le staff dans son ensemble trouve son maigre rayon d’action à la vidéo, tout d’abord. Analyser les tireurs adverses, répertorier leurs essais, leurs choix, pour ensuite transmettre des indices à son portier. Puis, cela se passe sur le terrain, à l’entraînement. Avec un accent spécifique à l’approche d’un match de phases finales.
Cette semaine précédant le 26 juin 2006, l’ex-adjoint s’en souvient comme si c’était hier: «Nous avions tant exercé ces penaltys que, aujourd’hui encore, cette élimination me reste en travers de la gorge, souffle-t-il. A l’entraînement, chaque goal inscrit durant les oppositions devait être confirmé par un tir au but. Et sur la centaine qui avait été tirée, je vous assure que le gardien n’en avait pas sorti un seul. Le matin du match contre l’Ukraine, chacun avait, en plus, tiré deux penaltys. Gygax était alors le seul à avoir raté.» Le moment fatidique venu, Streller, Barnetta et Cabanas ont tour à tour galvaudé leur tentative, à chacun leur manière.
Michel Pont ne croit pas davantage aux coups de poker de l’entraîneur, comme celui de Louis Van Gaal avec les Pays-Bas face au Costa Rica, au Mondial 2014 (n.d.l.r.: le coach avait fait entrer – avec succès – son gardien remplaçant à la 117e du huitième de finale). «Hormis cette intuition de génie, il n’y a pas de surprise. La liste des tireurs est validée et discutée avec les joueurs. Même si ceux-ci refusent parfois de s’élancer au dernier moment, comme ce fut le cas face à l’Ukraine. Au final, cela reste une loterie.» L’équipe de Suisse 2006, comme celle de 2016 face à la Pologne, attend d’ailleurs toujours les bons numéros. QD

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