En Gruyère aussi, le concept Airbnb séduit de plus en plus

| sam, 02. jui. 2016

Le site internet Airbnb permet de réserver une chambre directement chez un particulier. En Gruyère, une septantaine de chambres sont à louer. Un moyen pour les hôtes d'échanger avec des voyageurs et d'assurer un complément de revenu. Trois d'entre eux expliquent leurs motivations. Les hôteliers, eux, dénoncent une concurrence déloyale.

Par François Pharisa


TENDANCE. «Petit bungalow idéalement situé, qui vous enchantera par sa vue imprenable sur les rives du lac de la Gruyère et sur le château de Gruyères: 48 francs la nuit» L’annonce de Patrick Hayoz, à Pont-la-Ville, fonctionne à merveille. Depuis sa mise en ligne sur le site Airbnb il y a trois mois, quinze vacanciers se sont déjà laissé charmer. «Un succès rapide et surprenant», s’étonne cet économiste d’entreprise.
Comme lui, ils sont une septantaine en Gruyère à proposer aux voyageurs une chambre, voire l’entier de leur appartement ou de leur maison via la plateforme communautaire. Bien que dans le district, l’ampleur du phénomène ne soit en rien comparable avec ce qui se passe sur l’arc lémanique ou à Zurich, où les offres Airbnb se comptent par milliers, le concept fait, ici aussi, de plus en plus d’adeptes.
Dans l’ensemble du canton, à la fin 2015, 175 objets (une chambre, un appartement, un chalet, une résidence secondaire, etc.) se trouvaient en location. Un an plus tôt, il y en avait 89 (d’après les chiffres de l’Observatoire valaisan du tourisme, qui a réalisé une étude sur le phénomène en Suisse). Soit une croissance de près de 100% en un an.


Complément de revenu
Pour convaincre, Airbnb sait s’y prendre. «Si vous partagiez votre logement, vous pourriez gagner 295 euros par semaine», peut-on lire sur le site. Perspective alléchante.
L’aspect financier a, notamment, motivé Margarete Klaus Möri. Depuis trois ans, elle loue deux chambres de sa maison individuelle, à Vuadens. Pour le prix de 60 francs la nuit. «Je cherchais de quoi assurer un petit revenu. Mon activité d’artiste peintre ne me rapportait pas suffisamment et je ne trouvais pas de travail. Quand on a 60 ans, on ne vous engage pas… Alors je me suis lancée dans ce business, sans y croire forcément au début.» Et cela a plutôt bien fonctionné. L’année dernière, la Vuadensoise a enregistré 400 nuitées. Elle a même refusé du monde.
Rapidement, Margarete Klaus Möri s’est professionnalisée dans sa nouvelle activité. «Dans les règles», précise-t-elle (lire ci-dessous). Elle possède une patente d’exploitation I d’établissement parahôtelier, permettant d’accueillir chez soi plus de cinq personnes. Et elle s’est annoncée auprès de la Centrale d’encaissements de la taxe de séjour, gérée par l’Union fribourgeoise du tourisme. Pourtant obligatoire, cette taxe n’est pas payée par tous les hébergeurs.
«Ma clientèle est essentiellement constituée d’hommes d’affaires, de représentants, de médecins, etc., sauf pendant la saison estivale, où j’accueille surtout des touristes, beaucoup d’étudiants notamment.» Ces derniers sont attirés par le prix, moindre en comparaison des tarifs affichés par les hôtels de la région. Mais aussi par «la tranquillité et l’authenticité qu’un hôtel pourra plus difficilement offrir», estime Margarete Klaus Möri.


Le partage avant tout
Héberger des touristes dans sa maison: l’idée lui trottait dans la tête depuis quelques années. Patrick Hayoz s’est finalement lancé il y a trois mois. «La faci­lité d’utilisation d’Airbnb m’a convaincu», reconnaît-il, assurant ne pas l’avoir fait pour le profit. Il poursuit: «Si je calculais, en prenant en compte la commission que prend Airbnb lors de chaque réservation (3% du prix), les charges courantes, les temps d’entretien et d’organisation des départs et des arrivées, ainsi que l’amortissement du bungalow et du mobilier, je serais probablement en perte.»
Sympathisant de la première heure «des voyages sac au dos et chez l’habitant», il regrette les loueurs commerciaux que sont devenus certains hôtes, proposant des dizaines, voire des centaines de chambres en location (lire encadré). «Je reste soucieux d’établir un contact personnel avec le client, d’échanger avec lui sur sa culture, de lui transmettre mes connaissances de la région», explique-t-il. Il a reçu à Pont-la-Ville des Suisses romands, mais aussi des Croates, des Américains, des Canadiens… Un réseau qu’il compte bien activer lors de ses prochaines envies de vacances.
A l’instar de la plupart des hôtes, Patrick Hayoz a dressé quelques règles à l’intention de ses invités. Comme l’interdiction de fumer à l’intérieur, le respect du matériel à disposition ou l’interdiction d’organiser des fêtes sur place. «Nous sommes dans un quartier de villas, remarque-t-il. Mais pour l’heure, nous n’avons pas connu de désagréments.» Excepté des salles de bains pas nettoyées ou de la vaisselle non lavée, Margarete Klaus Möri souligne également ne pas avoir rencontré de problèmes. «Je crois que la liberté et la confiance accordées au client l’incitent au respect.»


«Les enfants sont partis»
«J’ai entendu que beaucoup le faisaient, alors pourquoi pas moi?» Il y a deux semaines, Dominique Drompt a fait le pas. En quelques clics, elle s’est créé un profil et a posté son annonce sur Airbnb: un quatre-pièces rénové, au deuxième étage de sa maison fribourgeoise, à Villarvolard. «Je pensais accueillir des gens de passage depuis quelque temps. Mon mari et moi habitons l’appartement du premier et mes enfants ont quitté la maison. Nous avions de la place», raconte-t-elle.
La durée minimale d’un séjour chez la famille Drompt est de sept nuits. «Parce que je ne voulais pas d’un constant va-et-vient chez moi», justifie
Dominique, prévoyante. A peine inscrite qu’elle recevait en effet déjà une réservation. Ses tout premiers vacanciers arrivent dans une semaine.

 

«Tout le monde s’est fait prendre de vitesse»
CONCURRENCE. Auparavant considéré comme un produit de niche, Airbnb connaît une croissance forte et continue en Suisse. En 2015, 300000 personnes ont réservé leur hébergement dans le pays par le biais de la plateforme de location en ligne, soit le double qu’en 2014, d’après les chiffres communiqués ce printemps par l’entreprise américaine.
«En quelques années, le développement d’Airbnb a été spectaculaire. Tous les acteurs du tourisme se sont fait prendre de vitesse», reconnaît Stéphane Schlaeppy, directeur de l’Hôtel Cailler, à Charmey, qui voit en Airbnb «une vraie concurrence». Dans la vallée de la Jogne, ils sont une vingtaine à proposer une chambre en location.
Les hôtels doivent trouver la parade. «Vendre du sommeil ne suffit plus. Il faut donner au client de l’émotionnel, lui faire vivre une expérience, poursuit Stéphane Schlaeppy. Chez nous par exemple, toute réservation donne droit à une entrée à la chocolaterie à Broc et un accès illimité aux Bains de la Gruyère.»
«Se démarquer oui, mais à armes égales, reprend Sophie Rouvenaz, directrice de l’Hôtel Ibis, à Bulle. Il existe une inégalité de traitement entre Airbnb et les hôtels, puisque ceux-ci doivent suivre toute une série de règles.» Parmi celles-ci, le devoir de posséder une patente d’exploitation, le respect des conventions collectives de travail ou encore l’intégration de normes d’hygiène et de sécurité, comme l’installation d’alarme incendie ou l’aménagement de sorties de secours. Et, bien sûr, le paiement des impôts et de la taxe de séjour.


Taxes de séjours impayées
Les hébergeurs Airbnb, aussi sont astreints au paiement de la taxe de séjour. Sa collecte est assurée par la Centrale d’encaissements, gérée par l’Union fribourgeoise du tourisme (UFT). «A cause de l’anonymat des hôtes sur la plateforme, c’est très compliqué d’obtenir de chacun le montant dû», explique Christian Monney, sous-directeur de l’UFT. Afin d’améliorer la situation, il a pris contact avec le bureau d’Airbnb à Berlin, responsable pour la Suisse. «Nous leur avons demandé qu’un texte, qui rappelle les lois à respecter, figure sur les annonces du canton de Fribourg. Nous avons bon espoir que cela soit fait d’ici la fin de l’été.»


Enrichissement illégal
Pascal Charlet, directeur de La Gruyère Tourisme, est, lui, partagé vis-à-vis d’Airbnb: «Nous ne pouvons pas aller contre, la demande existe. Et cela crée de nouvelles offres de nuitées. Toutefois, les inégalités par rapport aux établissements traditionnels devraient être corrigées.»
Autre secteur potentiellement menacé par le succès d’Airbnb: les régies immobilières. Car certains logeurs ne sollicitent pas l’accord de leur régie pour sous-louer leur appartement. Une pratique illégale, qui peut mener à une résiliation anticipée du bail, au reversement des loyers encaissés, voire au paiement de dommages et intérêts. La Gruyère semble pour l’heure épargnée. Jean-Bernard Droux, directeur de Gruyère-Immo, dit en tout cas «ne pas avoir connaissance de tels cas. Nous restons toutefois attentifs au développement d'Airbnb.

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