Le vent, la glisse, l’effort, et un plaisir immaculé

| jeu, 28. jui. 2016

La jeune rameuse gruérienne Emma Kovacs s’entraîne régulièrement sur le lac de Schiffenen en compagnie de son papa entraîneur, Pierre. Discipline complète mais peu connue, l’aviron est ici expliqué avec précision par cet ancien champion du monde. Reportage au fil de l’eau.

PAR JONAS RUFFIEUX

L’embarcation Invictus est mise à l’eau, sur le lac artificiel de Schiffenen, à Fribourg. Le soleil est éclatant, mais tarde à apporter sa chaleur, dans un ciel bleu d’une pureté séduisante. Si plat à son habitude, le plan d’eau fribourgeois frémit au rythme des vagues provoquées par la bise.
Emma Kovacs et ses trois coéquipières du quatre de couple (quatre rameuses avec deux rames chacune) commencent leur entraînement matinal aux environs de 9 h 30, avec l’idée de parcourir 16 kilomètres.


Elles ont battu l’équipe A
Ce samedi matin, La Gruyère a embarqué sur un canot à moteur en compagnie de Pierre Kovacs, le papa. Qui se transforme en entraîneur une fois sur l’eau. Le bateau d’entraînement utilisé par les quatre athlètes, prêté par le CA Vevey et d’une valeur de 18000 fr. (!), s’éloigne rapidement de Barberêche, direction les grot­tes de la Madeleine. Les filles sont âgées de 16 et 17 ans, viennent de Suisse romande, et sont les meilleures de leur âge au niveau national. Elles ont aussi battu l’équipe nationale A aux récents championnats de Suisse.
Toutes les quatre ont le regard décidé, tourné vers l’opposé de leur direction. «L’aviron est un des seuls sports où on est plus rapide en arrière», rigole Pierre Kovacs, champion du monde avec la Suisse en quatre sans barreur en 1978.
Après s’être échauffées, les rameuses se calent sur un rythme d’entraînement. «En course, la vitesse atteinte est d’environ 18 km/h, avec des pointes à 20 km/h pour 34-35 coups de rame par minute. A l’entraînement, elles filent à 14 km/h avec 17 coups/minute», précise Pierre Kovacs, qui a découvert ce sport sur un quiproquo. «A l’école, à Vevey, on nous a encouragés à commencer l’aviron. J’ai cru qu’il y avait un rapport avec des avions, je me suis donc rendu au club. Lorsque j’ai vu qu’on parlait de bateaux, je me suis quand même inscrit et j’ai croché», rigole le volubile serrurier.


Les falaises, gelées l’hiver
La virée se poursuit, le lac se rétrécit et semble englouti par la végétation. Les bosquets imposants donnent un air sauvage à l’endroit, impression accentuée par les imposantes falaises. «L’hiver, elles sont gelées, c’est encore plus beau. Ici, on a l’avantage de pouvoir ramer presque toute l’année», explique l’entraîneur.
Muni d’un cône porte-voix, il distille ses conseils et encourage ses protégées. «Sortez la rame bien verticale de l’eau. Allez les filles, pensez à la sensation quand le bateau glisse.»
Le GPS fixé à l’avant de l’embarcation indique 4,5 km lors­que le coach décide de revenir vers Barberêche. «Ce lac est idéal, mais il est un peu trop sinueux par endroits.» Les filles évitent les bois flottants, qui sont «la mort des bateaux», et reprennent leur course dans un rythme volontairement lent. «C’est lorsqu’on va lentement qu’on apprend le plus à être synchronisé et équilibré. Puis, lorsqu’on va vite, l’écart entre les coups de rame diminue et la facilité augmente. Néanmoins, il suffit d’un décalage d’une demi-seconde entre les rameuses pour faire capoter tout le bateau. C’est le rôle de l’entraîneur de parvenir à trouver une technique commune entre elles, qui ne sont pas forcément habituées à naviguer ensemble.»
Effectivement, la concentration sur le bateau est palpable. La bise, gênante, rend l’entraînement plus éreintant de par les vagues qu’elle génère et la difficulté à ramer face au vent. Pourtant, le bateau fend l’eau avec une simplicité déconcertante.


Les places, pas de hasard
La rameuse placée à l’avant du bateau est responsable de la direction, avec une barre sous le pied. «Elle doit également être explosive, alors que les deux rameuses en position deux et trois (n.d.l.r.: Emma est en deux ) sont les puissances du bateau. En position quatre, la fille doit assurer l’équilibre.»
Les sièges sont amovibles pour favoriser un mouvement fluide. Le poids du bateau est limité à une cinquantaine de kilos, afin de garder une égalité entre les pays qui ne pourraient pas tous s’offrir des embarcations plus lourdes.
L’entraînement est axé sur l’endurance. «C’est la base de l’aviron. Un gamin ne peut pas courir sans savoir marcher. Pour parvenir à accélérer, il faut pouvoir tenir. Le but de la basse cadence, c’est d’être propre à plus haute vitesse», explique l’unique entraîneur du  Club aviron ville Fribourg.
Les filles rament toutes avec le même objectif en tête: la Coupe de la Jeunesse à Poznan en Pologne, où Emma Kovacs se déplacera ce week-end avec l’étiquette de championne de Suisse cadette en skiff, bateau prévu pour un rameur.
«Les courses durent 2000 mètres. L’idéal est de prendre un départ rapide et de tenir la cadence jusqu’aux 1000 m. La course se joue entre 1000 m et 1500 m, moment où il faut placer une accélération. Les 500 derniers mètres se courent au courage», décrit le stratège Pierre Kovacs.
De retour à Barberêche, il réserve une petite surprise à ses athlètes et demande un nouvel aller-retour. Elles parcourront 16 km le matin, puis 12 km l’après-midi.
L’aviron est un des sports qui se prêtent le mieux à la Suisse et ses nombreux lacs. Pourtant, il peine encore à se faire connaître, notamment en Gruyère. «J’envisage de créer une section du Club aviron ville Fribourg dans le sud du canton, mais ça demande beaucoup de temps», exprime l’habitant de Villarvolard.

 

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Coupe de la Jeunesse en Pologne


Emma Kovacs se rendra ce week-end à Poznan, en Pologne, pour participer à la Coupe de la Jeunesse. Cette épreuve, disputée chaque année depuis 1985, regroupe les jeunes talents de moins de 18 ans. La Coupe a déjà eu lieu quatre fois en Suisse, au lac de Schiffenen en 1992 et à Lucerne en 2013 notamment. Forte d’un titre de championne de Suisse cadette acquis en skiff (un seul rameur) à Lucerne à la fin du dernier mois de juin, la Gruérienne fera équipe avec des filles des clubs de Vevey, Lausanne et Genève, en quatre de couple. Cette compétition mettra un terme à sa saison et à sa «carrière» de cadette.
En effet, la jeune fille de Villarvolard luttera chez les juniors dès l’année prochaine. Elle fera équipe avec la Genevoise Eline Rol en double. Pour atteindre ses objectifs, Emma Kovacs devra doubler ses entraînements, annonce déjà son papa entraîneur, qui voit en elle un réel potentiel.
C’est d’ailleurs grâce à lui qu’elle a connu les joies de l’aviron. Les parents Kovacs (Hélène, la maman, est aussi une rameuse) ont emmené leur fille sur un bateau dès l’âge de onze ans. En comparaison d’autres sports, on peut parler de débuts tardifs. «Le corps n’est pas assez développé avant», explique Pierre Kovacs.
Quatre ou cinq fois par semaine, la Gruérienne rejoint le lac de Schiffenen, où elle parcourt entre 12 km et 14 km par séance d’entraînement. Elle consacre tous ses week-ends à l’aviron, sauf en hiver, période durant laquelle elle a congé le dimanche. Elle court régulièrement pour parfaire son entraînement physique.
Elle rame chaque année 1500 kilomètres environ. Sélectionnée en équipe de Suisse A, l’étudiante à l’Ecole de culture générale au Collège du Sud, à Bulle, a l’avenir devant elle. «Mes objectifs à long terme sont les championnats du monde, puis les jeux Olympiques. J’aimerais continuer ce sport encore longtemps. J’aime son aspect complet, l’esprit d’équipe qui y règne, j’adore être en plein air. Après, je me vois bien comme entraîneure», expose timidement la jeune fille de 16 ans. JR

 

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L’aviron, détails et histoire


Pour apprécier l’aviron, il est utile de comprendre ce sport de vitesse, qui peut se pratiquer seul, à deux, à quatre ou à huit, sur des bateaux constitués de fibre de carbone ou de bois. Les courses se disputent en ligne droite sur une distance de 2000 mètres et durent entre 5’20 et 8’ environ. Jusqu'à six bateaux concourent ensemble dans une même course.
Il existe une catégorie de poids léger, dans laquelle la moyenne des rameurs doit se situer en dessous de 70 kg pour les hommes et de 57 kg chez les femmes.
Ramer ne date évidemment pas d’hier, mais l’aviron moderne s’est développé au cours du XIXe siècle. Le très célèbre affrontement annuel entre les Universités britanniques de Cambridge et d’Oxford a ainsi eu lieu pour la première fois en 1829.
Cambridge mène dans cette rivalité fratricide avec 82 victoires contre 79 pour Oxford.
La discipline a été introduite lors du retour des JO en 1896, sans qu’elle puisse toutefois se dérouler en raison d’intempéries. C’est donc en 1900 qu’on a pu voir les premières courses dans le cadre des jeux Olympiques. Puis, bien plus tard, les femmes y ont été admises en 1976, et les rameurs paralympiques dès 2008.
La Suisse pointe au 12e rang des pays les plus médaillés aux jeux Olympiques avec 23 médailles au compteur, dont 6 en or. Le classement est dominé par les Américains, 87 médailles, alors que c’est feu l’Allemagne de l’Est qui a remporté le plus de fois l’or (33). A noter qu’aucune Suissesse n’a remporté de médaille aux JO. De quoi donner des envies de «première» à Emma Kovacs? JR

 

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