«Trump a hacké le système»

mar, 11. oct. 2016

Donald Trump, président des Etats-Unis: l’hypothèse, jugée loufoque il y a peu, est de l’ordre du possible à un mois du jour J. Pour le journaliste gruérien Stéphane Bussard, correspondant du Temps à Washington et coauteur d’un livre sur le sujet, les réseaux sociaux ne sont pas étrangers à son émergence.

PAR JEROME GACHET


Le 8 novembre, le monde va peut-être changer. A 70 ans, le magnat de l’immobilier Donald Trump n’a plus qu’une adversaire, Hillary Clinton, pour annexer la Maison-Blanche. Il a décroché l’investiture républicaine, même s’il n’est pas du sérail et que de nombreux responsables du parti l’ont lâché, à l’image de John McCain. Dimanche soir, dans un climat épouvantable, Donald Trump a été particulièrement violent, estimant qu’Hillary Clinton serait en prison s’il était président.
L’impensable va-t-il se produire? Analyse du journaliste gruérien Stéphane Bussard, correspondant du Temps à Washington. Avec Philippe Mottaz, ancien directeur de l’information à la TSR, il est l’auteur #Trump. De la démagogie en Amérique.

Vous dites que Donald Trump est une aberration. Comment a-t-elle été possible?
La crise politique qui frappe le Parti républicain, au bord de l’implosion, a rendu possible l’émergence de Trump. Dès l’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche, les Républicains ont été pris en otages par l’émergence d’un mouvement protestataire né en son sein, le Tea Party. Ce parti a dès lors adopté une politique un peu suicidaire d’obstructionnisme systématique au Congrès, causant des dysfonctionnements.


Sur le plan économique, en revanche, le pays se porte plutôt bien…
C’est vrai qu’après la récession de 2008-2009, la reprise est là, avec un taux de chômage très bas (5%) contre près de 10% en 2010. Mais tout le monde n’en profite pas. Dans la «ceinture de la rouille» (Michigan, Illinois, Ohio, etc.), toute une frange de la population, le plus souvent blanche et moins éduquée, a souffert de la désindustrialisation. Le Parti républicain, avec sa rhétorique d’allégements fiscaux, a surtout agi pour les plus aisés. Le Parti démocrate a lui aussi quelque peu abandonné une partie de ces déshérités de la globalisation. Cela en fait un électorat quasiment captif pour Trump.

Crise politique, situation économique… quelle autre raison à son ascension?
La technologie. Trump a profité de la puissance des réseaux sociaux comme personne avant lui. Quand il a vu que son message passait, il s’est lancé. A la base, il n’a pas d’électorat partisan. Alors, il s’en est créé un, comme un homme d’affaires qui s’assure qu’il y a un marché.

Barack Obama avait déjà utilisé la technologie, non?
Oui, mais de manière différente. En 2012, ses équipes avaient récolté énormément d’infos, de big data, pour dresser une carte de l’électorat démocrate, afin de cibler les besoins de chaque électeur. Donald Trump, lui, utilise Twitter comme moyen de s’adresser à un public le plus large possible.

Vous dites, avec l’exemple de Trump, que ces instruments servent surtout le populisme.
Absolument. Twitter et ses 140 caractères permettent des formules chocs et brèves. Les phrases de Trump sont souvent à peine finies, à peine cohérentes, mais son message, clair, fait mouche. Les gens s’informent à travers les réseaux sociaux, écoutent ce qu’ils veulent entendre, se confrontent de moins en moins au débat contradictoire.

Cela devient un vrai problème…
Face à la vitesse des réseaux sociaux, les institutions et les partis politiques peinent à suivre. Trump incarne cet impact des technologies sur la démocratie. Il a hacké le système politique américain, l’a mis sans dessus dessous. Ce phénomène peut d’ailleurs très bien intervenir en Europe, par exemple lors de la présidentielle française en 2017. Un vrai débat sur les technologies, sur ses conséquences sur le fonctionnement de la démocratie représentative, me paraît nécessaire.

Donald Trump dit tout et son contraire, il ment, il peut être grossier, insultant. Pourtant, il pourrait être élu le 8 novembre. Vu d’Europe, cela paraît incroyable…
Ça choque, effectivement. Toutes les outrances sont permises et la véracité des faits lui importe peu. Pour ses électeurs, tout cela ne compte d’ailleurs pas vraiment. Ils ont envie d’entendre quelqu’un qui rue dans les brancards de l’establishment de Washington, qui pousse un grand coup de gueule quelles qu’en soient les conséquences. On pensait qu’il y aurait un Trump des primaires et un Trump du reste de la campagne, mais c’est toujours le même. Il sait que pour conserver ses chances de succès, il ne doit pas se fondre dans le moule de ce qu’il dénonce.

Pourtant, en critiquant les Mexicains, les personnes de confession musulmane, en se montrant machiste, etc., il se coupe de nombreux électeurs, non?
Quand il veut interdire les musulmans aux Etats-Unis ou construire un mur avec les Mexicains, il sait capter ce que pense une partie de l’opinion publique. Les Etats-Unis se trouvent à un moment important de leur histoire. En 2050, les Blancs ne seront plus majoritaires. Du coup, Trump peut se permettre un peu n’importe quoi du moment que ça répond à cette inquiétude identitaire des Blancs.

Il s’appuie toujours sur ses talents d’homme d’affaires. Or, sa réussite financière est remise en question. Mais même cela ne le coule pas…
Il veut effectivement établir un contraste avec Washington, montrer qu’il ne fait pas partie du système politique. Ses supporters continuent à le voir comme un homme d’affaires qui a osé prendre des risques. Et peu importe qu’il n’ait pas payé d’impôt fédéral sur le revenu durant dix-huit ans parce qu’il enregistrait une perte de 1 milliard de dollars. Aux yeux de son électorat, ce ne sont que des histoires que racontent des médias traditionnels inféodés au clan Clinton.

Finalement, c’est un grand camouflet pour la politique…
Trump met le doigt sur des soucis qui ont une certaine légitimité, mais le personnage lui-même est détestable. Ce n’est en tout cas pas lui qui pourra régler ces problèmes-là. Il faut lui reconnaître un certain flair. N’oublions pas que 14 millions de personnes ont voté pour lui lors des primaires et qu’il a éliminé 16 autres candidats. Il a réussi à capter cette grande colère.

 

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«Sa vision du monde inquiète»

Si Donald Trump est élu, que se passera-t-il aux Etats-Unis?
L’avenir est d’autant plus difficile à prévoir qu’il dit tout et son contraire. Il n’a d’ailleurs pas de véritable pensée politique. Si l’on s’en tient à ses dires, il veut renégocier les emprunts consentis auprès de l’Etat américain afin de les rembourser à coût réduit, ce qui saperait la crédibilité du dollar. Il a aussi promis qu’il abrogerait l’Obamacare. On peut donc s’attendre à des changements intérieurs considérables.

Et pour le reste du monde?
La vision qu’il se fait du monde est inquiétante, notamment en raison ses accointances avec Vladimir Poutine. Il serait prêt à discuter l’annexion de la Crimée par la Russie. Il déchirerait l’accord nucléaire iranien, ou celui de Paris sur le climat. Il veut aussi remettre en cause le commerce international par souci de protectionnisme.

Il a tout de même un point commun avec Hillary Clinton: tous deux sont largement détestés aux Etats-Unis. Comment se fait-il qu’un pays n’arrive pas à proposer mieux à ses concitoyens?
C’est la grande question. C’est les deux candidats les plus impopulaires à la présidentielle depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les partis ont été incapables de générer une relève politique. Du côté démocrate, Hillary Clinton, qui s’était lancée en 2008, a toujours été perçue comme la candidate naturelle. Son habileté aura été de prendre tout l’oxygène du parti.

Un pronostic?
Sur le papier, Hillary Clinton a un avantage net: la carte des Etats lui est favorable, tout comme la démographie, avec des minorités toujours plus grandes. Elle a aussi l’expérience des rouages de l’Etat, elle qui a été First Lady, sénatrice et secrétaire d’Etat. Ceux qui ont peur de l’avenir peuvent se dire qu’elle connaît le fonctionnement de la politique. A contrario, il est très difficile de savoir où s’arrête l’électorat de Donald Trump. La grogne est telle face à Washington, à l’establishment et aux politiciens en général que je ne peux pas exclure qu’il gagne. JG

 

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