Parle-moi de ton ego et je te dirai quel joueur tu es...

| sam, 26. nov. 2016

L’ego est «la représentation que l’on a de soi dans le monde». En sport, il est perçu comme une forme d’orgueil et de fierté, voire un sentiment de suprématie. Il peut s’avérer une arme à double tranchant pour un athlète, s’il le place au-dessus du bien collectif. Conversations sur le sujet avec les entraîneurs Larry Huras et Yves Débonnaire.

Par Karine Allemann

 A son arrivée dans le vestiaire du Real Madrid, l’entraîneur José Mourinho aurait eu cette phrase: «Je vous préviens messieurs. L’ensemble de tous vos ego n’arrive pas à la cheville du mien.» Cette anecdote rappelle combien cette notion d’ego est importante dans le sport. Elle implique qu’un entraîneur doit en avoir un assez énorme pour manager une équipe de stars. Et que ceux qui réussissent au plus haut niveau sont très souvent dotés du fameux «ego surdimensionné», cher au monde sportif.

Pour supporter la pression du haut niveau, un athlète doit avoir suffisamment confiance en lui. Elément indispensable pour réussir, donc, l’ego dans sa version narcissique peut aussi écraser les coéquipiers ou attirer les foudres d’un entraîneur, si un joueur refuse de se soumettre aux consignes collectives.

La question est donc de savoir quand l’ego est un atout et quand il devient un défaut. Le Canadien Larry Huras, en charge des Dragons de Fribourg-Gottéron et connu pour ses talents de communicateur, ainsi que le Vaudois Yves Débonnaire, entraîneur formateur auprès des jeunes équipes nationales de l’Association suisse de football, y répondent.

La confiance mène à la réussite
Pour Larry Huras, «la ligne est très fine entre l’arrogance et la confiance». Le Canadien s’explique: «On a tous besoin d’un certain niveau d’ego pour se sentir bien dans sa peau, pour avoir le sentiment qu’on contrôle la situation et qu’on se contrôle soi-même. Quand on parle de confiance chez un joueur, l’ego est quelque chose de très positif.»

«La confiance est même primordiale, enchaîne Yves Débonnaire. Elle permet de réussir le geste juste au bon moment, de donner le meilleur de son potentiel.»

Un remède à la peur
Un mal ronge nombre de sportifs: la peur de mal faire. C’est elle qui les tétanise en compétition. Un athlète doté d’un gros ego aimera tellement se confronter aux autres pour démontrer sa suprématie qu’il saura se révéler dans les matches qui comptent. «Je ne sais pas si ce besoin de compétition est inné, ou s’il se développe avec les années, s’interroge Larry Huras. Mais, il est certain que les meilleurs athlètes ont ça en eux. Que ce soit pour jouer aux cartes ou à n’importe quoi. Quand je regarde mes gars jouer au ping-pong dans le vestiaire, je vous assure qu’ils sont là pour gagner!»

Yves Débonnaire abonde, avec une nuance qui concerne plus particulièrement les jeunes: «La peur de l’échec est un manque de confiance en soi. Mais, parfois, au-delà de l’ego, la question du statut du joueur entre aussi en ligne de compte. Un jeune parti dans un club très réputé, dont le nom sur la feuille de match est associé au Real Madrid, aura l’impression de devoir défendre ce statut quand il évolue en équipe de Suisse. Et, souvent, il va vouloir trop en faire.»

Tous les entraîneurs du monde s’accordent sur un point: la force mentale est primordiale pour réussir. Larry Huras confirme: «Quand ça va moins bien, un joueur a toujours sur une épaule un petit diable qui lui dit qu’il est fini. Et, sur l’autre épaule, un ange qui lui affirme qu’il est bon. Les deux se battent constamment dans sa tête, surtout si le gars est dans une mauvaise passe.»

Un joueur timide, introverti et peu sûr de lui dans la vie, peut-il réussir? «Ah! mais le sport change beaucoup de choses! rappelle Yves Débonnaire. Sur un terrain, des gens peuvent complètement se révéler. Parce qu’ils s’expriment à travers autre chose. Le même phénomène existe dans les arts. Quelqu’un de très discret, que l’on n’entend pas forcément tous les jours, se révélera un acteur merveilleux. Au contraire, des gens omniprésents, dont l’ego est surdimensionné, n’apportent finalement pas grand-chose à la communauté. Un peu comme Kim Kardashian...»

La différence entre ego et leadership
Pour être performante, une équipe a besoin de leaders. Quelle est la différence entre un joueur qui a beaucoup d’ego et un joueur qui a du leadership? «Le leadership n’est pas qu’une question d’ego. Il vient tout naturellement, remarque le Vaudois. Dans le vestiaire du PSG, Thiago Motta a beaucoup plus de leadership que ne l’avait Ibrahimovic.»
Et Larry Huras de compléter: «Un bon leader a forcément de l’ego, car il se sent capable de mener une troupe. Mais, si un leader est concerné par le bien de l’équipe, quelqu’un qui a juste de l’ego est avant tout concerné par lui-même.»

De l’art de gérer les ego dans une équipe
A haut niveau, les entraîneurs maîtrisent leur sport. Les meilleurs d’entre eux s’illustrent dans leur manière de manager leurs joueurs. Non seulement il s’agit de les mettre en valeur sur le terrain, mais aussi de gérer leur ego. Et cet art consiste à faire cohabiter les objectifs très personnels de la star avec des objectifs collectifs. Ou comment manipuler les ego.

Pour l’entraîneur de hockey, un coach doit parfaitement connaître ses joueurs: «Ils fonctionnent comme un téléphone: il faut savoir sur quelle touche appuyer pour obtenir ce qu’on veut. Pour cela, on doit bien les connaître et connaître leur motivation. Un bon exemple est ma relation avec Christian Dubé. Quand je l’ai eu sous mes ordres à Berne, il passait pour un joueur égoïste et je le pensais aussi. Car il voulait être sur chaque situation, il voulait toutes les responsabilités. Mais, en parlant avec lui, j’ai compris qu’il pensait sincèrement que, pour lui, c’était la meilleure façon d’aider l’équipe. Connaître ses motivations a changé notre manière de collaborer.»

Pour Yves Débonnaire, une superstar et son ego ont besoin de l’équipe, tout comme l’équipe a besoin de sa star: «Tout est question d’équilibre. Et cet équilibre est menacé si un joueur se pense plus important que l’équipe. A Madrid, Ronaldo a besoin que Ramos gagne ses duels derrière, que Kroos et Modric soient capables de lui amener des ballons et que Bale fasse diversion. Les meilleurs entraîneurs sont ceux qui gèrent le mieux les stars. Ferguson et Guardiola, par exemple.»

Avec une constante dans le sport: tout est toujours plus simple quand l’équipe gagne.

Que faire quand la guerre des ego éclate?
Yves Débonnaire souligne que la question de l’ego devient «visible» à cause des salaires: «Un joueur ne voudra pas gagner moins que l’autre. Cela rend cette problématique difficile à gérer pour l’entraîneur, car il ne maîtrise pas forcément cet aspect-là.»

D’autres éléments extérieurs viennent encore perturber ce fragile équilibre. Larry Huras l’a expérimenté: «Quand il y a un problème entre un joueur et moi, c’est facile à gérer. Ça se complique quand c’est un joueur contre un autre joueur, mais j’arrive toujours à faire en sorte qu’ils règlent leur problème. Où ça devient carrément hors de contrôle, c’est quand il y a un problème d’ego entre des épouses de joueurs. Je l’ai vécu! Avec des joueurs qui n’avaient aucun problème. Je connais des hockeyeurs très bons, mais que je n’engagerai jamais, car leurs épouses sont incapables de créer de l’harmonie dans un groupe.»

Reste une autre constante: on ne gagne pas avec uniquement des gentils soldats. Larry Huras en est persuadé: «Si j’avais viré tous ceux avec qui je me suis pris la tête, je n’aurais plus personne dans mes équipes! Et puis, un joueur qui a une forte personnalité et un immense ego est aussi le genre de joueur sur qui tu peux compter. Tu sais que dans un match important, il va livrer la marchandise.»

Quand Eric Cantona était en pleine gloire avec Manchester United, une publicité dans le journal L’Equipe illustrait parfaitement ce phénomène. En pleine page, une photo d’équipe avec The King dans les rangs, et cet intitulé: «Rêve d’entraîneur». Un peu plus loin dans le journal, une autre photo avec, cette fois, onze Eric Cantona dans l’équipe. Et ce titre: «Cauchemar d’entraîneur».

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Et les entraîneurs dans tout ça?

Yves Débonnaire fêtera ses 60 ans le 12 décembre prochain. Formateur dans l’âme, fin analyste et posé, le Vaudois ne s’emporte que par passion, quand il évoque son amour du jeu. Quel genre de joueur était-il? «Je pense que j’étais plutôt un leader. Mais, comme j’avais une sale tronche, je ne l’étais pas toujours. Car je pouvais me sortir du match à cause de mon caractère un peu chaud.» Pour l’entraîneur de jeunes talents qu’il est aujourd’hui, «apprendre à gagner pour ensuite vouloir gagner fait partie de l’éducation». Et à propos de l’ego des entraîneurs? «José Mourinho dit qu’un entraîneur doit être un peu arrogant... Quelque part je suis d’accord. Se remettre en question est primordial. Mais je pense que l’humilité n’est pas toujours une qualité.»

L’anecdote de José Mourinho dans le vestiaire du Real Madrid fait beaucoup rigoler Larry Huras: «Ça me rappelle quand j’ai signé à Berne. Une journaliste avait écrit que la Postfinance Arena ne serait pas assez grande pour l’ego de Larry Huras et l’ego de Marc Lüthi... Ce n’était pas vrai! Mais, avec ce boulot, il faut un certain ego. Pour être convaincus par ce que je dis, les joueurs doivent sentir la confiance que j’ai en moi. Grâce à mes parents, je suis plutôt grand et relativement pas trop horrible physiquement. La présence physique, le contrôle de la voix, ce que je fais avec mes mains quand je parle: tout cela compte. Comme je l’ai dit, la ligne est très fine entre confiance et arrogance. J’essaie de montrer ma confiance sans passer pour quelqu’un d’arrogant.»

Le Canadien en convient, la relation entraîneur-joueurs s’apparente parfois à une guerre des chefs: «Quand nous sommes tous les deux, entre quatre murs, un joueur peut me dire tout ce qu’il veut. Nous parlons entre hommes. Dans le vestiaire, c’est différent. Un entraîneur ne peut pas trop reculer face à l’équipe, sinon il se fait bouffer. En même temps, il doit avoir l’équipe avec lui.»

Et de raconter: «Quand je suis passé de joueur à entraîneur, lors de mon tout premier meeting avec l’équipe de Rouen, j’ai terminé avec une petite blague en disant: “Attention les gars, n’oubliez pas que je suis encore capable de tous vous mettre sur la figure.” Et là, dans un coin du vestiaire, j’entends un des joueurs qui me répond: “Peut-être, mais pas tous en même temps”. Je venais de prendre ma première leçon
d’entraîneur.»

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