Le vieil homme et la route qui lui prenait ses chats

| mar, 13. déc. 2016

Depuis 2010, René Vallélian a perdu une quinzaine de ses chats, tous écrasés devant sa maison. L’octogénaire pointe la vitesse excessive sur la petite route reliant Avry-devant-Pont à Gumefens. Craignant surtout pour la sécurité des riverains, la commune de Pont-en-Ogoz va relancer les services de l’Etat.

PAR JEAN GODEL

Il y a eu Dolly, Gribouille, Marcello et Ragusa. Mais aussi Sydonie, Raspoutine et Picasso. Entre autres, entre beaucoup d’autres chats. Une vingtaine au total, tous morts écrasés par des voitures devant la maison de René Vallélian, à Gumefens. Sans parler du lapin et d’une chèvre d’un voisin, passés de vie à trépas avant l’arrivée, en 2010, de l’octogénaire et de sa femme à la route d’Avry, juste en dessus du restoroute.
«Des miens, une quinzaine sont morts à coup sûr: je n’aime pas affirmer des choses qui ne sont pas étayées.» Sans parler de cet autre qui s’est fait happer il y a trois ans et qui, depuis, traîne la patte. Gribouille, lui, a eu moins de chance: «Une voiture lui avait aussi écrasé une patte. On l’a alors emmené chez le vétérinaire qui l’a opéré. Mais juste après, il s’est quand même fait écraser.»


Une route toboggan
La faute à qui? A la petite route bucolique qui relie Avry-devant-Pont et Gumefens en frôlant la ferme des Vallélian. Une route étroite, sans trottoir ni barrières de sécurité, qui descend en toboggan à travers champs et donne des ailes aux conducteurs: sur ces 800 mè-tres à peine, on atteint vite les 80 km/h – voire bien plus. La courbe devant chez les Vallélian, au bas de la descente, achève de rendre la sortie dangereuse, même pour les plus attentifs. Alors pour les chats…
René n’en peut plus de voir les siens mourir devant sa porte, parfois sous ses yeux. De ramasser leurs cadavres pour les porter au centre collecteur de déchets animaux. Il y a les chats, mais dans les neuf maisons qui longent ce secteur à 80 km/h, entre les deux villages, vivent une demi-douzaine d’enfants en âge de scolarité.
René Vallélian a lui-même deux petits-enfants et deux arrière-petits-enfants – un troisième doit naître ces jours-ci. «Beaucoup de promeneurs passent aussi par ici, on a une vue merveilleuse sur le lac et les montagnes. Un jour, l’un d’eux m’a dit qu’il a dû se jeter dans le champ pour éviter une voiture arrivant à toute allure.» Une nuit, un véhicule est sorti de la route et a atterri dans le pré, juste en face.
Alors cette route tueuse de chats est devenue une obsession, chez René Vallélian. Tout ça lui pèse sur le moral et on sent le vieil homme triste, mais aussi en colère: «J’ai raconté mes histoires aux chanteurs du 1er Mai. Un jeune m’a alors répondu que je devais me durcir un peu… Mais ce n’est pas ça, le problème: je n’aime pas qu’on tue les bêtes. Elles ne nous ont rien fait.»


Les chats sur le tard
Pourtant, les chats sont apparus tardivement dans la vie de René Vallélian: «Je ne les aimais pas. Pour autant, ils ne me dérangeaient pas et je ne leur faisais pas de mal.» Lui a toujours eu des chiens. Pas des toutous, non, mais des dobermans et des bergers allemands. Aujourd’hui encore, un malinois surveille sa maison. «Je n’aime pas les petits…»
C’est vrai qu’à voir l’octogénaire encore solide, on ne l’imagine guère cajoler des chatons. Visage carré, regard d’acier, des pognes de travailleur, René Vallélian a la dégaine d’un dur à cuire. «On m’appelle Clint Eastwood», avoue-t-il avec la pointe d’un sourire qui trahit une sensibilité discrète, mais pourtant bien réelle.
Né au Pâquier dans une fratrie de 18 enfants, il n’a aucun souvenir de sa mère, morte en couches alors qu’il n’avait pas 6 ans. Après une enfance forcément assez rude, mais heureuse, il travaille dans une scierie de La Tour-de-Trême, puis suit un apprentissage de boucher, à Bulle, durant deux ans.
Il s’en va alors sur la Côte où démarre le chantier de l’autoroute Genève-Lausanne, et devient machiniste à Aubonne. «J’aime les machines. Et le travail.» On le retrouve ensuite chauffeur poids lourds, puis à la tête d’une station-service, à Veytaux, où il installe un atelier de mécanique. Suivront plusieurs années dans l’agence Toyota qu’il a montée à Clarens, enfin une décennie dans un petit garage qu’il reprend à Blonay. Une vie de labeur et d’indépendance.


Le paradis, mais…
Les chats, eux, l’attendaient à Gumefens. «J’ai toujours voulu finir ma vie dans une vieille fer-me, avec deux ânes et un cheval.» C’est en 2010 qu’il trouve l’objet de ses rêves dans le village gruérien. Aujourd’hui, devant la ferme entièrement rénovée, broutent deux ânes et un cheval. «C’est le paradis, ici. Je n’avais juste pas pensé à la route…»
Dans la vieille ferme, il y avait aussi deux chats et des lapins, laissés là par l’ancien propriétaire. «On m’a toujours dit que les chats ne quittaient jamais une propriété. Alors, je les ai gardés. L’année suivante, ils avaient fait huit petits. Depuis, on en a eu 25. Ils sont un peu sauvages, c’est des chats de ferme, mais ils sont si jolis. Je ne peux quand même pas les tuer!»
Les voyant pulluler dans la cour, René Vallélian a bien essayé d’en castrer ou d’en stériliser. «Mais ils deviennent encore plus sauvages et s’en vont. Du coup, on a arrêté.» René s’y est attaché, à ses chats. Il s’occupe désormais de chaque nouvelle portée: «Tout le monde me demande des chatons!» Ceux qui restent, il les emmène à la SPA d’où ils sont placés chez de nouveaux maîtres. Ses chats l’ont conquis: «J’aime leur indépendance et leur liberté, totales.»
Et puis, il y a eu ce 27 novembre 2016, quand Picasso s’est fait écraser. Après avoir ramassé le cadavre de sa chatte, René Vallélian, encore tout remué, s’est fait insulter par un automobiliste à qui il faisait signe de ralentir: «Il m’a dit qu’il roulait à 70 km/h, mais c’est encore trop vite.»
Depuis ce dimanche fatal, le vieil homme grimpe plusieurs fois par jour l’échelle qui monte à la grange, pour donner à manger aux sept petits chatons que Picasso allaitait.

 

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La commune pas insensible

Après la mort de Picasso, son énième chat écrasé, René Vallélian a de nouveau discuté avec le conseiller communal de Pont-en-Ogoz en charge des routes, l’ancien gendarme Jean-Jacques Reynaud, élu en février dernier. «Il est conscient du problème, assure le propriétaire des chats. Tout ce que je demande, c’est qu’on limite la vitesse. Au moins à 60 km/h.»
Avant l’arrivé des Vallélian à Gumefens en 2010, des riverains avaient fait la même demande dans une lettre commune adressée aux autorités. Plus tard, la police avait procédé à des contrôles de vitesse. «C’est bien joli, soupire René Vallélian, mais ils en ont chopé un paquet, ça s’est calmé un moment et puis ça a recommencé. Les amendes n’ont aucun effet.» Accessoirement, lui ne parvient plus à louer l’appartement qu’il a aménagé à l’étage: «Je ne peux rien cacher, alors je raconte ce problème de route à ceux qui viennent le visiter.» Voilà qui mettrait un peu de beurre dans les épinards du couple de retraités. «On doit arriver à un résultat», se convainc le vieil homme.


Zone pas assez dense
Jean-Jacques Reynaud, ancien chef de la Région sud, n’est entré en fonction qu’en avril dernier. Mais il sait que la commune avait demandé, il y a quelques années, une réduction de la vitesse sur ce tronçon où vivent plusieurs enfants qui se rendent à l’école du village. «Le Service des ponts et chaussées avait répondu à mon prédécesseur que la zone en question n’était pas assez dense.» L’ancien gendarme ne comprend pas: «A Sorens, en dessous de la carrière, c’est limité à 60 km/h jusqu’à la route cantonale alors que la zone n’est pas plus dense.»
Pour Jean-Jacques Reynaud – qui précise que la commune n’a aucun pouvoir en la matière, le SPC décidant seul – installer un ralentisseur serait aussi dangereux, les voitures arrivant trop vite. Cela dit, fait-il remarquer, une limitation à 80 km/h n’assure aucune couverture légale aux automobilistes: «La loi reste la loi et l’on doit adapter sa vitesse aux conditions de circulation de manière à pouvoir s’arrêter sur la moitié de la distance visible.»
Jean-Jacques Reynaud ne tergiverse pas: même si l’on n’est pas en pleine zone de village, il faut réduire la vitesse sur ce tronçon. «Je pourrais comprendre que le canton soit réticent sur une route cantonale. Mais pas là…» Il annonce dès lors que la commune relancera le Service des ponts et chaussées en tout début d’année prochaine. JnG

Commentaires

Je suis tout à fait d'accord avec Muriel Bossens ! Je pense que la sécurité des enfants est primordiale ! En ce qui concerne les chats... je les aime beaucoup en ayant un , mais pour eux rien ne changera ! Un de mes chat s'est fait écraser et la personne ne pouvait jamais être meme ne serait-ce à 60km/h... mais faire qqch pour ces enfants est vraiment nécessaire ! Il ne faut pas attendre qu'un de ces petits se fasse écraser ! J'ai déjà perdu une connaissance sur ce tronçon ! Alors je ne veut pas apprendre qu'un petit enfant en fasse les frai encore une fois !
Habitant moi-même sur ce fameux tronçon, je soutiens fortement le passage de cette route à une limitation de maximum 60 km/h. Je tiens a souligner qu'il y a déjà 9 enfants qui fonts le trajet à pieds dont mes 3 filles, et que d'ici 2 ans, ils seront 12.... Il n'y a pas de trottoir et maintenant que l'hiver est là, ma petite dernière part de la maison à 7h20 pour prendre le bus scolaire et qu'il fait nuit. J'ai aussi eu 3 chats qui se sont fait happer sur cette route en 4 ans.Un chat reste un chat pour moi, mais quand réagiront-ils? Peut-être quand ce sera un enfant qui se fera écraser? Je n'ai pas envie d'attendre cela!
A lire cet article qui tient plus de la nécrologie que de la rubrique des chats écrasés, on se demande si le propriétaire des chats n’a pas lui aussi été écrasé ! La Gruyère n'a-t-elle rien d'autre à écrire pour consacrer autant de lignes à un fait divers certes malheureux mais combien banal. Ceci mis à part, une limitation de vitesse serait bienvenue à cet endroit et je suggère à la commune de signifier aux pontes de Fribourg que nous sommes assez grand pour décider sans qu'ils y mettent leur grain de sel.

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