Un paradis pour que s’y baigne le sonneur à ventre jaune

| sam, 31. déc. 2016

Rendue à la nature en 1992, l’ancienne gravière des Auges, à Enney, vient d’être revitalisée. Avec sa prairie inondable, son étang et ses zones pionnières, ce site d’importance nationale retrouve une nouvelle jeunesse. Visite guidée en compagnie de Francesca Cheda, en attendant que le sonneur à ventre jaune sorte de sa dormance.

PAR CHRISTOPHE DUTOIT

Aussi étonnant que cela puisse paraître aux yeux de certains, les trax et les machines de chantier ont parfois des effets salvateurs sur la nature et la faune. Notamment pour les amphibiens des Auges, à Enney, sur la rive gauche de la Sarine, qui ont vu leur biotope entièrement revitalisé cet automne.
Inscrite à l’inventaire des sites d’importance nationale, cette zone protégée a été aménagée en biotope pour amphibiens en 1992 déjà, au terme de l’exploitation de la gravière. Mais, depuis une dizaine d’années, le site s’est peu à peu laissé assombrir par la végétation, notamment par les saules. «En outre, de nombreuses personnes sont venues y relâcher des poissons rouges, grands prédateurs d’œufs et de larves d’amphibiens», explique Francesca Cheda, collaboratrice scientifique auprès du Service de la nature et du paysage et responsable de cette revitalisation. «Ces gens pensent bien faire, mais c’est la pire chose. Bien qu’ils ne soient pas destinés à ce genre de milieu, ces néozoaires prolifèrent et font beaucoup de dégâts sur la faune indigène.»
Achevés ces derniers jours, les travaux laissent apparaître un paradis pour la biodiversité, à commencer par l’espèce cible concernée, le sonneur à ventre jaune (Bombina variegata). Ce batracien de 3 à 5 centimètres, aux yeux en forme de cœur, est menacé en Suisse. «Il n’y a plus énormément de sites de reproduction des sonneurs dans la région.» Afin d’aider à sa survie, la partie basse des Auges a été défrichée et une dizaine de mares peu profondes ont été creusées par les machines. «Les deux anciennes gouilles ont été comblées et une pêche électrique a permis d’en retirer tous les poissons», note Francesca Cheda.


Besoin d’être remodelé
En effet, le sonneur à ventre jaune est une espèce pionnière, qui pond ses œufs par épis dans plusieurs gouilles d’une vingtaine de centimètres de profondeur. Ainsi, les mares peuvent se réchauffer très vite – ce qui accélère le processus de reproduction – et s’assécher, de manière à tuer les éventuels poissons qui s’y trouveraient. Le sonneur fait partie de ces espèces qui apprécient les lieux dynamiques, comme des zones alluviales qui peuvent faire l’objet de grandes crues tous les trois à dix ans. «Il a besoin que le paysage soit remodelé de temps à autre. Si son étang est colonisé par trop de végétation, s’il se ferme, il perd alors son intérêt.»
Avant que la Sarine ne soit endiguée et qu’elle ne soit parcourue par de nombreux barrages, elle offrait ce genre de biotopes. Tout comme les gravières. «Car les pelles mécaniques déplacent sans cesse les tas, explique la collaboratrice scientifique. De mars à fin août, on leur demande de définir quelques gouilles auxquelles les machinistes ne touchent pas. En règle générale, ça marche très bien avec eux, car ça ne change pas beaucoup leur travail.»
Ce premier palier des Auges, aujourd’hui très nu, sera colonisé dès le printemps par une végétation basse et tapissante. «On aimerait bien que des petites herbacées s’y installent. Mais on craint que les solidages, une plante néophyte introduite en Europe il y a environ 250 ans, ne monopolisent le biotope.» En revanche – et c’est là la magie de l’équilibre de la nature – le fait que la zone ait été débroussaillée favorisera la reproduction du petit gravelot, cet oiseau en danger qui a pour habitude de nicher au sol. Mais surtout, libellules, martins-pêcheurs, hérons, couleuvres à collier retrouveront leur habitat naturel.


Etang et prairie inondable
Au-delà de ce biotope pionnier, un deuxième palier a été structuré par les machines à l’arrière de la plus grande gouille. «Cette zone sera plus stagnante, précise Francesca Cheda. La végétation va s’y développer – notamment les joncs – et elle prendra, après quelque temps, les allures d’un étang. Elle sera très propice à la reproduction des crapauds communs et des grenouilles rousses, qui descendent de la forêt pour y pondre.»
Le troisième étage est sans doute celui qui a subi la plus grande intervention. «Ce terrain est rendu à l’agriculture», explique la collaboratrice scientifique. Considérée comme une prairie inondable, selon la définition utilisée pour l’obtention des paiements directs, elle pourra être fauchée, selon que la saison ait été sèche ou humide. En outre, un long terre-plein d’une centaine de mètres a été façonné de manière à structurer la parcelle. Haut de quelques mètres, il fera office de barrière naturelle entre les différentes zones. «Nous avons planté une haie à son sommet, un biotope très prisé par les oiseaux et les amphibiens.»


Inaccessible quelques mois
«Notre idée est que cette zone soit laissée libre d’avril à août. D’entente avec la commune, nous allons voir comment régler l’interdiction d’y pénétrer pour les personnes et les chiens, pendant la période de reproduction du petit gravelot», annonce Francesca Cheda. Les services de l’Etat sont conscients de l’importance de la communication et de la sensibilisation. «La zone ne sera inaccessible que durant quelques mois et pas toute l’année.» Pour que le message passe, une collaboration est envisagée avec le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut, qui a déjà organisé ce printemps la Nuit des amphibiens.
En effet, le Service de la nature et du paysage doit continuer à expliquer inlassablement son travail. «Certaines personnes n’arrivent pas à envisager qu’on fasse du bien à la nature avec des machines de chantier. Sans cette intervention humaine, certaines espèces risquent de disparaître, explique la collaboratrice scientifique. Pareil pour le bois mort sur pied: pour la nature, c’est la vie qui se réinstalle.»
A noter enfin que les coûts de revitalisation des Auges (30000 francs) ont été entièrement financés par le canton et la Confédération, avec l’accord de la commune de Bas-Intyamon.

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