«J’ai appris à partager, c’est mieux que de rester bougon»

| jeu, 26. Jan. 2017

Après deux ans d’arrêt, Steven Girard effectue son retour en Coupe du monde ce week-end. Vainqueur du classement de la Coupe de Suisse l’hiver dernier, le Gruérien ne cache pas un caractère bien trempé.

PAR KARINE ALLEMANN

S’il fallait trouver une personne pour incarner le Gruérien type dans un futur musée d’anthropologie, ce pourrait être Steven Girard. La remarque le fait marrer, mais il s’en accommode volontiers. «J’aime ma région. Je ne peux pas m’en cacher et je n’ai aucune envie d’aller voir ailleurs. Alors oui, ça me va.» Solide gaillard de 1,90 m taillé dans le granit, le jeune homme de 25 ans aime la Gruyère donc, ainsi que la montagne, le sport, la nature et la chasse. Rien ne le rend plus heureux qu’une soirée entre copains en cabane. Et si en plus les amis cuisent sur le feu le foie d’une bête fraîchement chassée, c’est encore mieux. Celui qui a gagné la plupart des courses de ski-alpinisme en Suisse l’hiver dernier est aussi une tronche. Mieux vaut éviter de lui chercher des noises. «C’est vrai. Plus jeune, j’étais même un peu bagarreur. Mais bon, je me suis bien calmé.»
C’est que la vie est bien trop complexe, et dure parfois, pour ne pas évoluer au fil du temps. Alors, si le caractère est franc, le ton enjoué et le discours tranché, le regard se détourne légèrement et la voix porte un peu moins, quand il évoque le décès de son papa. «J’avais trois ans quand c’est arrivé, mais je me souviens de mon père. Il mesurait deux mètres et était large comme cette table. Il a chuté en montagne, au Vanil-Noir. Ça a sans doute forgé quelque chose en moi. Les premières années ont été difficiles.»
Parce qu’il faut composer avec cette rage au ventre. «Bien sûr qu’il y a de la rage. Mais tu ne peux pas rester là-dessus. Moi, ça m’a pris du temps. Pas à accepter, non. Mais à mieux vivre avec. Mon frère et moi avons la chance d’avoir une  maman géniale. Et il y a les amis, mon parrain… Malgré tout, ça a quand même été très difficile. Quand ma maman a eu un copain quelques années après, ça l’a bien aidée. Pourtant, avec mon frère, on a été terribles au début. J’avais pris l’habitude d’être le chef de la famille. Alors c’était la guerre. Et maintenant, on ne pourrait pas vivre sans lui.»
L’être humain est fait de contradictions et Steven Girard n’échappe pas à la règle. L’esprit d’équipe exacerbé et la bonne humeur contagieuse, il se reconnaît pourtant un caractère introverti. «J’ai toujours aimé la nature. Dès l’âge de 6 ans, tous les dimanches matin, je partais avant que ma maman ne se réveille et j’allais me promener seul en forêt. Elle ne me cherchait même plus, elle savait où j’étais. Et je revenais  trois heures plus tard. J’ai toujours été assez autonome. En fait, je n’ai jamais tellement compté sur les autres.»
Pourtant, le jeune homme n’a rien d’un solitaire, lui qui vit en couple à Estavannens (avec Séverine Pharisa, elle aussi skieuse-alpiniste) et qui aime tellement sa famille et ses copains. «C’est vrai. Mais j’ai beaucoup de mal à accorder ma confiance. Par exemple, je n’irais jamais en montagne m’encorder avec quelqu’un que je ne connais pas. Même si c’est Jean Troillet. Je ne juge pas les gens. Mais j’ai de la méfiance. C’est sûrement de la timidité. Mais bon, ma copine m’a beaucoup aidé. J’ai appris à partager des choses. C’est quand même bien, de sortir, rigoler… C’est mieux que de rester bougon dans son coin. Alors oui, je suis plus tranquille. Mais il ne faut pas m’emmerder.»
Cette tronche bien carrée – qu’il assume complètement – est un atout pour le sport. «Quand tu n’en peux plus, en fait, physiquement, tu peux toujours encore un peu. C’est la tête qui dit au corps de s’arrêter. C’est comme quand tu es sur une falaise. Ton cerveau te dit de t’arrêter à 20 centimètres du bord. Tu n’aurais pas l’idée de te tenir sur un pied tout au bout, avec l’autre pied qui balance dans le vide. Alors que, sur une simple marche d’escalier, tu pourrais le faire sans problème. C’est toujours la tête qui fixe des limites. Et, aller chercher les limites, j’ai toujours trouvé ça sympa.»


«Avec une poche à bière»
Reste que ce côté entier peut aussi être lourd à porter. Notamment quand il s’agit de composer avec une hiérarchie comme celle du Swiss Team, qu’il a quitté avec fracas en 2015, après avoir dit le fond de sa pensée aux dirigeants. «La raison officielle de mon éviction, c’était ma non-progression. C’est leur choix, je le respecte. Mais, ils règlent les choses par mail ou par téléphone. Moi, je préfère m’asseoir à une table et discuter. Laisser traîner les choses, ça me rend fou. Alors, peut-être bien que j’ai été écarté parce que j’ai dit ce que je pensais. Mais je ne regrette rien. Et puis, l’hiver dernier, ils m’ont sélectionné pour les championnats d’Europe, et là je vais pouvoir retourner en Coupe du monde.»
Dans dix ans, le skieur affûté qu’il est aujourd’hui se verrait bien «avec une poche à bière posée sur la table du bistrot». Il plaisante – à moitié – avant de répondre plus sérieusement: «Bon, j’espère que j’aurai des enfants. Et j’espère que le monde tournera bien. Parce que ça commence à partir en sucette...»
Une chose est sûre, on ne risque pas de croiser Steven Girard avec une valise à roulettes dans une main, une carte d’embarquement dans l’autre. Il aime tellement «sa» Gruyère qu’il n’a aucune envie de voyager, ou de partir en vacances. «Pour quoi faire? C’est tellement beau ici. En revanche, ce que j’aimerais bien faire un jour, c’est partir en Mongolie ou au Kirghizistan, découvrir ces fratries un peu reculées, apprendre comment ils font du feu, leur thé, et comment ils abordent la nature.»


«Le plus beau cadeau»
La nature... Sans doute le mot qui revient le plus souvent au fil de la conversation. Il faut dire que rien ne rend le Gruérien plus heureux. «Me promener avec la longue-vue et observer des bêtes manger, j’adore. C’est tellement apaisant. La nature, c’est le plus beau cadeau offert à l’homme.»

 

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Et le plaisir de chasser


Steven Girard s’entraîne jusqu’à vingt-cinq heures par semaine hors compétition, et cinq ou six heures les semaines de course. Il travaille à 80% dans un magasin de sport et «aide au ramassage des œufs deux matins par semaine», chez ses beaux-parents. Vainqueur du classement 2016 de la Coupe de Suisse, sixième des récents championnats nationaux à Villars, le Stabadin effectue son retour en Coupe du monde ce week-end. A Cambre d’Aze, dans les Pyrénées françaises, il retrouvera l’élite mondiale pour la course individuelle et le sprint. «Mon objectif serait de terminer devant quelques Suisses, dans le top 25, et de me qualifier pour les championnats du monde de fin février.»
Cet hiver, Steven Girard participera aux épreuves au fil de leur organisation et des conditions météo. Sans objectifs très précis. Inutile de préciser qu’il ne gagne pas d’argent avec le ski-alpinisme. Alors, qu’est-ce qui le motive à s’entraîner autant? «Le plaisir de se faire mal. Plus tu te fais mal, plus tu as envie. Te sentir bien en course, sentir que ton corps est performant, c’est génial. Par exemple, grâce à mon entraînement, à la chasse je peux aller dans des endroits que d’autres ne peuvent pas parcourir. Et je n’ai pas de problème pour porter mon chamois.»


«On a sauvé 34 faons»
Le Gruérien répète qu’il aime la nature et les bêtes. La question est donc de savoir en quoi cela est compatible avec le fait de chasser... «J’ai passé toute mon enfance en montagne, notamment comme garçon de chalet, entre 8 et 12 ans. La chasse, je suis dedans depuis toujours. Il ne faut pas oublier qu’on régule la faune, c’est un travail important. Les gens ont une mauvaise image des chasseurs. Mais on s’occupe par exemple du sauvetage des faons: on demande aux paysans de la région de nous avertir quand ils vont faucher et, la nuit, on parcourt les champs pour mettre les faons sous des caisses. L’année dernière, on en a sauvé 34. On va aussi ramasser les bouteilles de PET autour du lac de la Gruyère et on fait du travail de défrichage. Tout ça, c’est mieux que de polluer la Terre en prenant easyJet pour passer deux jours à Barcelone.» KA

 

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