Quand l’épicier et le fromager doivent s’improviser buralistes

| sam, 21. Jan. 2017

Pour pallier la fermeture de ses offices, La Poste installe des agences postales dans des épiceries, des pharmacies, des fromageries… Censée fortifier l’affaire du commerçant, cette offre n’est pas toujours rentable et comporte son lot de désagréments. Exemples dans trois magasins.

PAR FRANCOIS PHARISA

Les petits commerçants de village ont une nouvelle casquette: celle de postier. A chaque fermeture de l’un de ses offices, La Poste brandit sa solution miracle, l’agence postale. «La Poste chez un partenaire», comme scande son slogan promotionnel. Une stratégie commerciale tout bénef pour l’ex-régie, qui réalise d’importantes économies, tout en maintenant sa présence dans la localité et en s’épargnant ainsi la colère des habitants. Mieux encore, elle peut faire valoir à sa clientèle des horaires d’ouverture élargis. Cet automne, l’entreprise a annoncé son intention de supprimer 500 à 600 offices postaux dans le pays d’ici à 2020 – il n’en restera alors plus que 800 à 900. Corollaire de cette restructuration, le nombre d’agences postales doit, lui, progresser de 800 à 1200 ou 1300.
Dans le sud du canton, on en compte déjà cinq en Gruyère, quatre en Glâne et trois en Veveyse, d’après la carte que l’on trouve sur le site de La Poste. Dans plusieurs communes, autorités et responsables de La Poste recherchent activement la perle rare: le commerçant qui accepterait d’installer un guichet en kit jaune entre le rayon boissons et le coin légumes. Et donc de s’improviser buraliste, pour rendre service aux citoyens de sa commune et aussi dans l’espoir d’attirer de nouveaux clients.
Au terme d’une formation express de trois jours, il pourra fournir les prestations postales de base: expédition et réception de lettres et de colis, retraits d’espèces jusqu’à 500 francs (50 fr. garantis), versements avec carte uniquement, vente de timbres-poste. Mais ces tâches peuvent vite devenir chronophages, au point de prétériter la bonne marche du commerce, comme cela est le cas à la laiterie de Siviriez, qui a décidé début janvier de rompre le contrat passé avec La Poste.
A Vaulruz, l’agence postale est gérée exceptionnellement par les employés du Service des curatelles Sionge et Rive gauche. Sur la demande de la commune, ils ont comptabilisé les heures passées à s’occuper des courriers et des recommandés. Les résultats sont surprenants. «Quarante heures par mois en moyenne. Soit deux heures quotidiennes, alors que nous travaillons huit heures par jour», résume Laurie Pittet, curatrice. Un 25% donc.
Et l’activité n’est pas toujours franchement rémunératrice. Tous les commerçants rencontrés sont unanimes: la présence d’une agence postale dans leur magasin ne booste en aucun cas leur chiffre d’affaires. Les clientèles ne sont pas les mêmes. En revanche, l’indemnité versée par La Poste (une part fixe, une autre variant selon le volume des transactions et des bonus sur la qualité des scanages) leur  offre un complément appréciable. A combien celui-ci s’élève-t-il? «Ce sont des éléments contractuels confidentiels», répond la porte-parole Maryam Ben Ahmed. D’après les informations que nous avons recueillies, le montant varie entre 1400 et 2000 francs mensuels au grand maximum.

 

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«On arrête pour notre clientèle»


Siviriez. Un mois aura suffi à les faire changer d’avis. Début décembre, Christelle et Blaise Sallin s’engageaient pour une durée indéterminée avec La Poste en vue d’héberger une agence postale dans le magasin de leur laiterie à Siviriez – l’office postal de la commune venait de fermer ses portes. Début janvier, le contrat était déjà rompu. Celui-ci ayant un délai de résiliation de six mois, le couple et ses trois employées continueront à jouer au facteur jusqu’au 30 juin.
«Nous n’avons pas eu le choix», se défend Christelle Sallin, consciente que ce retournement ne va pas faire que des heureux dans le village. «Mais nous faisons marche arrière pour notre clientèle», assure-t-elle. Servir du fromage prend du temps. Gérer une agence postale aussi. Deux activités incompatibles. «Tout le mois, ça n’a pas arrêté, c’était infernal. Nous ne savions plus quoi faire des colis tellement nous en recevions», assure la Glânoise, faisant signe avec ses doigts que la pile d’avis de réception atteignait bien dix centimètres. Les cinq heures d’ouverture quotidiennes ne suffisaient pas. Les vendeuses, qui se relaient pour tenir boutique, ont cumulé les heures supplémentaires. Il fallait rattraper le travail qui n’avait pas pu être effectué: le nettoyage des étalages et de l’aire de travail, l’étiquetage des produits ou la rotation des stocks.
A tel point que l’offre postale, censée apporter du beurre dans les épinards, n’était pas rentable. Pire, elle menaçait directement la bonne marche du magasin. «Si nous continuions ainsi, des employées auraient posé leur congé.» Contacté, le syndic René Gobet assure chercher, avec La Poste, une nouvelle solution pour garantir un point de dépôt dans la commune. FP

 

«Ils sont astucieux dans leur com»


Remaufens. Accoudée derrière sa caisse enregistreuse, Liliane Kohler déroule l’historique des transactions du jour sur l’écran de son scanner. «Dix dépôts de colis enregistrés et sept paquets distribués: une petite journée», assure-t-elle. Depuis quatre ans et demi, elle tient avec son mari Thyl le magasin d’alimentation, à Remaufens, qui accueille donc également une antenne postale.
«Les premiers temps, on demandait systématiquement la carte d’identité à la personne qui venait retirer un colis. Ce qui nous a valu pas mal de remarques négatives. Alors, depuis, nous sommes plus souples», confie Liliane Kohler. Elle a pris l’habitude d’opiner du chef face à l’agacement des clients contre La Poste. «Combien de fois j’ai entendu que “le facteur n’est même pas venu sonner à la porte”», sourit cette habitante de Forel.
Mais ces plaintes passent encore. Ce qui la fâche, Liliane Kohler, c’est l’encaissement des remboursements sans titre (BNL), qui fonctionne suivant le principe marchandise contre paiement: l’envoi est remis à son destinataire uniquement contre paiement de l’intégralité du montant du remboursement et sa signature. Une prestation complémentaire que La Poste lui a tout récemment demandé d’assumer.
«Certains soirs, quand je ferme, je me retrouve avec de l’argent en plus dans la caisse. Ce n’est pas rassurant.» Son mari renchérit: «Les responsables de La Poste ne nous en avaient
jamais parlé et un beau jour c’est devenu une exigence. Ils sont astucieux dans leur com.» N’empêche, l’agence postale reste un complément de revenu appréciable. «Environ 1900 à 2000 francs par mois. Cela nous paie à peu près le loyer.» FP

 

«Sans La Poste, j’aurais déjà fermé»


Le Pâquier. Le métier de postier, Myriam Blanc connaît. Huit ans déjà que son magasin d’alimentation, au centre du village du Pâquier, sert d’agence postale. «Je devais être la première ou la deuxième commerçante du canton à tenter l’expérience.» Huit ans donc qu’elle jongle entre la caisse du magasin, le comptoir du tea-room attenant et le guichet en kit jaune, bien en évidence, au milieu de l’épicerie à côté des bricelets et des pains d’anis.
«C’est parfois un peu la course, mais on s’y fait vite et c’est rare que j’aie à m’occuper des trois endroits en même temps. Et sans le complément de La Poste, pourtant loin d’être mirobolant, j’aurais peut-être déjà mis la clé sous la porte», soupire-t-elle, citant la féroce concurrence des grandes surfaces commerciales touraines toutes proches. Combien gagne-t-elle à gérer courrier et recommandés? Motus. «La Poste ne veut pas qu’on parle de chiffres.»
La proximité avec l’agglomération bulloise a malgré tout aussi ses avantages. Mécontents de se farcir la file d’attente à l’office postal à Bulle, certains préfèrent rouler quelques kilomètres supplémentaires et venir au Pâquier. «Ici, il y a toujours de la place pour se parquer», remarque Myriam Blanc.
Mais ces clients-là ne profitent pas pour autant de faire leurs courses dans son magasin. Sur ce point, il y a bien longtemps qu’elle a dû déchanter. «Les personnes qui viennent pour un recommandé ne viennent pas pour acheter du pain. Ce sont deux clientèles différentes. Les jeunes surtout, avec leurs paquets Zalando qui ne me rapportent pas même un timbre-poste, ne lâchent jamais un sou.» FP

 

Commentaires

La preuve d'un échec et d'un appauvrissement du service public.

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