Demander le permis de tuer ou lui donner une chance?

| jeu, 16. fév. 2017

La présence d’un loup peu farouche dans la région divise et fascine. Les témoins se sentent plutôt chanceux de l’avoir vu de si près. Les chasseurs craignent pour le gibier et certains pour la population.

PAR XAVIER SCHALLER ET PRISKA RAUBER

Chaque fois que le loup montre le bout de sa truffe, le débat reprend là où il s’était arrêté. Vieux de plusieurs siècles, les arguments qui ne peuvent se croiser tournent en boucle, entre peur et fascination. Les chasseurs craignent pour «leur» gibier et les paysans pour leurs troupeaux. Les naturalistes se réjouissent et les curieux espèrent avoir la chance de l’observer.
Avec une petite variante cette fois-ci, puisque l’individu en question a été observé à Bulle. Certains en entonneraient presque la célèbre chanson de Serge Reggiani, Les loups sont entrés dans Paris. Comportement normal ou pas, dangereux ou pas? Une présence naturelle ou pas? Le jeune loup observé ces derniers jours suscite la controverse. Un député a même déjà réclamé une autorisation de tir, estimant que la population était en danger.

«Je m’estime chanceux d’avoir pu l’observer»
Michaël Chiolini n’est pas près d’oublier sa rencontre avec le loup: «On rentrait d’un souper avec deux copains. Il était là, comme une statue, sur le rond-point d’Espace Gruyère. Au début, on a pensé à un husky ou un chien de ce genre. Puis on s’est dit: “C’est un loup.” Et chacun a sorti son téléphone pour filmer.»
Le jeune mâle a ensuite filé vers le parking en gravier, en face du centre d’exposition. «Nous avons été bloqués à la barrière, avec un autre automobiliste qui était aussi sorti de son véhicule pour filmer. Nous sommes remontés en voiture et nous avons retrouvé l’animal à la rue Sciobéret.» Ce sont ces images qui ont été diffusées dans les médias et sur internet.
Le loup a ensuite traversé la rivière, a longé la rive un moment et s’est enfoncé dans la forêt. «C’était la nuit, il neigeait beaucoup, je ne pense pas qu’il se soit rendu compte qu’il était en ville. Nous sommes revenus en arrière pour photographier les traces, avant qu’elles soient recouvertes.»
Le soir même, dimanche 5 février, sa copine a envoyé les images au journal gratuit 20 minutes. «Vu la qualité, je n’avais pas trop d’espoir que le film soit diffusé.» Il n’a été mis en ligne que le jeudi soir, quatre jours plus tard. «Je suppose que c’est le temps qu’il leur a fallu pour vérifier l’info.»
Les réactions ont été nombreuses est très diverses sur internet. «Quand j’ai lu: “Magnifique, dommage de l’avoir dit”, ça m’a interpellé.» L’idée lui a traversé l’esprit que ce loup pourrait être abattu à cause de sa présence à Bulle, attestée par sa vidéo. «Ça m’a fait un peu flipper. Mais je pense quand même que c’était la chose à faire. Sinon, on ne saurait toujours pas si c’était vraiment un loup.»
L’appât du gain n’a pas motivé sa démarche: «Je n’ai rien gagné. Je n’ai appris qu’après que certains journaux donnent quelque chose pour les scoops de leurs lecteurs. Je m’estime chanceux d’avoir pu observer cet animal et j’ai voulu partager cette expérience. »
Il ne pensait pas que cela provoquerait un tel remue-ménage. Même la télévision romande a repris l’information. «Je n’ai pas Facebook et tout ça. Mais un copain m’a transmis un message de la RTS qui disait: “Urgent, nous recherchons l’auteur de la vidéo du loup.” Je les ai appelé vendredi matin, à midi une équipe est venue et le sujet a été diffusé au 19 h 30.»
Michaël Chiolini estime que la présence du loup est plutôt un signe de bonne santé pour les Préalpes. «Mais il faut garder le contrôle de la situation: mon grand-père est agriculteur et je comprends les problèmes que le loup peut engendrer.»

«Souhaitons-lui longue vie!»
biotope. «Un loup dans la région? Quelle bonne nouvelle!» Le peintre naturaliste Jacques Rime ne voit rien d’exceptionnel à la présence du loup. «Ils randonnent énormément. Parcourir vingt ou trente kilomètres chaque nuit sans tomber sur une ville ou un village est difficile. Ça nous paraît fou de l’avoir croisé, parce que c’est nouveau pour nous, mais ça fait partie de leur vie de s’approcher des villes. Ceux des Abruzzes, en Italie, vont souvent jusque dans la banlieue de Rome. Il y a tant à manger!»
Et de citer Robert Hainard – «les loups lui donnent raison aujourd’hui» – qui écrivait en 1948 dans Les mammifères sauvages: «Je me demande si le meilleur biotope pour la tolérance ou la “réintroduction” du loup ne serait pas les banlieues des grandes villes. Ils ne pourraient y faire des dégâts (sur les troupeaux), y vivraient de rats, de chiens et chats errants. Ils feraient rentrer à l’heure les enfants, outrepassés par leur mauvaise réputation!»
Pour Jacques Rime, le problème vient, hélas, de cette «mauvaise réputation». «Mais pour nos forêts, pour l’environnement, cet animal est bon.» Aux chasseurs qui crient au loup, comme ils l’avaient fait d’ailleurs il y a quarante ans lorsque le lynx est arrivé dans la région, il rétorque qu’il ne leur ôtera pas le pain de la bouche. «Depuis que le lynx est là, il n’y a jamais eu autant de chevreuils. On n’en a jamais autant tiré. Vous savez, le meilleur médecin d’une espèce, c’est son prédateur naturel. Naturel.»
Quant au caractère peu farouche de l’animal observé à Charmey, il n’étonne nullement le naturaliste. «Les animaux sauvages ont différentes réactions. Nous croyons, nous, qu’ils vont fuir dès qu’ils aperçoivent un homme. La plupart du temps, oui. Mais il arrive que l’animal soit occupé, voire dans la lune! Il ne faut pas croire pour autant que ce loup est à moitié apprivoisé.»
Plusieurs personnes ont pu l’observer longuement, alors que certains naturalistes veillent des semaines entières pour en croiser un seul. «Pas étonnant, là non plus, répond Jacques Rime. Combien d’histoires de champignonneurs et autres promeneurs qui ont vu le lynx, alors que moi je passe mes nuits à l’attendre!» Lui qui a vu trois fois le loup – en Alaska, en Pologne et en Espagne – l’observerait volontiers ici, mais il n’y compte pas trop. «Souhaitons-lui longue vie!»

«Ce n’est pas normal qu’il se comporte ainsi»
Chasseurs. «Les chasseurs sont favorables à la biodiversité, note Pascal Pittet, président de la Fédération fribourgeoise des sociétés de chasse (FFSC). Les grands prédateurs qui reviennent naturellement en font partie.»
Mais la présence d’un loup non répertorié lui pose plusieurs questions: D’où vient-il? Son comportement est-il problématique et potentiellement dangereux? La région peut-elle accueillir un loup supplémentaire?
«Il faut garder un équilibre pour que les grands prédateurs restent en harmonie avec leur biotope, avec le cheptel de leurs proies.» Pour illustrer son propos, il prend le cas du lynx, problématique selon lui: «Il était prévu qu’il y ait un lynx pour 100 km2. Dans le canton, nous en sommes officiellement à 2,3 pour cette surface, sans compter les jeunes et les subadultes. C’est clairement trop.»
Si Pascal Pittet parle des prédateurs «qui reviennent naturellement», c’est qu’il soupçonne un lâcher clandestin? Pour lui, un loup qui court dans une rue de Bulle et se laisse observer durant une heure à Charmey ne serait pas un animal vraiment sauvage. «Normalement, ce sont des bêtes tellement discrètes. C’est une question de bon sens, ce n’est pas normal qu’un loup se comporte ainsi. L’animal observé en Gruyère n’a pas les réflexes et l’instinct qu’il devrait avoir.» Il ne se prononce pas sur le risque potentiel que peut représenter, pour la population, ce type de comportement.
Des crottes et des poils ont été retrouvés et des analyses ADN sont en cours. «Je suis curieux des résultats. Je suis cela avec intérêt et préoccupation.» Si l’hypothèse d’une introduction artificielle devait se confirmer, peut-elle justifier un abattage? «Je ne saurais répondre. Je ne suis pas un spécialiste de cette question.»
Une question que se pose également le député Nicolas Kolly (udc, Essert) et qu’il a transmis lundi au Gouvernement. «Est-il possible que ce loup ait été lâché clandestinement? Est-il possible d’exclure formellement cette hypothèse et si oui comment?» Il soupçonne les personnes en charge de sa gestion au niveau cantonal de partialité, «trop influencées par la volonté de réintroduire à tout prix le loup dans notre région». Selon l’élu, ce loup doit de toute façon être abattu: «D’après le plan loup de la Confédération, la présence d’un loup en zone urbaine est susceptible de créer un danger pour l’homme, et que, en conséquence, le loup doit être tiré.»

Commentaires

Je suis sidérée par ces réactions absolument ridicules et totalement disproportionnées. Les chasseurs inquiets pour le gibier, c'est l'hôpital qui se fout de la charité! Il va sans dire que leur réputation d'avoir la gâchette facile n'est effectivement pas un mythe. Quand aux craintes concernant la population, on dirait qu'on ressort du placard de vieilles superstitions moyenâgeuses. J'espère de tout cœur qu'on fichera la paix pour de bon à ce pauvre loup, mais j'éprouve pas mal de doutes, car la bêtise humaine me semble prête à prouver une nouvelle fois encore que c'est bel et bien elle le grand méchant loup dans l'histoire...
As t'on le droit de tirer sur les chasseurs ? Un loup et ils en font tout un monde. Franchement comme disait Audiard les cons cela ose tout c'est comme cela qu'on les reconnaît !
Les chasseurs sont inquiets pour "leur" gibier!! Alors ça c'est la meilleure. A lire ça, on pourrait croire que certains chasseurs n'ont rien à manger en dehors de la période de chasse. A moins qu'ils aient peur de ne pas avoir assez de gibier à tuer par plaisir? Laissez ce loup tranquille bon sang. Ce n'est pas lui le grand méchant loup...

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