La déferlante des magasins en vrac déboule jusqu’à Enney

| jeu, 16. mar. 2017

Métamorphosée, l’épicerie du village a changé de mains pour se mettre au vrac et au local. Son patron, l’économiste et enfant du village Clément Castella, a su adapter son offre. Après Bulle, des épiceries de ce nouveau genre essaiment à Châtel-Saint-Denis et Romont.

PAR JEAN GODEL

«J’ai enfin un vrai métier: je suis épicier.» Economiste de 27 ans, Clément Castella a ouvert avant-hier sa propre épicerie durable. Pas dans le quartier branché d’une grande ville, une rue passante ou un mall de centre commercial, non. Mais à Enney. Il quitte un poste à la Fédération patronale et économique, à Bulle, où il a œuvré durant trois ans comme secrétaire patronal des maîtres bouchers-charcutiers fribourgeois, pour reprendre le magasin de son village natal.
Désormais, ce licencié en économie de l’Université de Fribourg se réjouit de mettre son tablier tous les matins. «Des gens m’ont dit: “Toutes ces études pour tenir une épicerie!” Mais c’est un si beau métier, épicier…» A Enney jusqu’à ses 25 ans – il est encore membre du chœur et de la fanfare du village – Clément Castella a un petit côté terrien: «Un de mes grands-pères était paysan, l’autre boucher. Les deux venaient d’Albeuve.» Cela fait longtemps que l’idée de sortir d’une voie toute tracée le titille: «A l’Uni, mes camarades rêvaient tous de carrière à Londres. Pas moi. Tenir une laiterie m’aurait bien plu.» Quand l’économie internationale attirait les foules, lui se retrouvait dans un petit groupe de quinze étudiants au cours d’éthique en économie.
Le déclic s’est produit l’automne dernier, à son retour d’enterrement de vie de garçon. Dans la voiture, l’un de ses amis se désole de la fermeture annoncée de l’épicerie d’Enney. «Une épicerie a sa place dans un village: elle y crée de la vie. Le lendemain matin, j’ai compris que c’était ce que je devais faire. Depuis, je m’amuse. Mais je ne l’aurais pas fait si cela n’avait pas été à Enney.»
Tant qu’à faire, autant tout reprendre à zéro. «Je veux qu’en entrant chez moi on se dise que ce magasin me ressemble. Par exemple, il y aura des fleurs. J’adore les fleurs!» Son beau-père, l’artiste Massimo Baroncelli, créera régulièrement un dessin sur la vitrine. «Les villages aussi aiment ce qui sort de l’ordinaire.»


Sieste à l’alpage
Le concept? Prendre son temps. Pour tout. Son épicerie s’appelle d’ailleurs La Sieste: «Dès que je le pourrai, je fermerai en début d’après-midi pour faire la sieste. Avant, je n’avais plus le temps de faire mes courses, de cuisiner… C’était tout faux! Petit, j’allais à l’alpage avec un oncle garde-génisses. L’après-midi, on faisait la sieste dans l’herbe jusqu’à ce que les vaches nous réveillent en rentrant le soir…» Un temple du slow food en Intyamon, La Sieste? «Simplement un lieu à contre-pied du “tout vite”», répond celui qui se moque des étiquettes.
Mais Clément Castella est aussi un entrepreneur. Il commence donc par une étude de marché qui le convainc que les villages tiennent à leur épicerie, malgré la présence de centres commerciaux à proximité. Attention: ce ne sera pas une épicerie fine. «Les prix doivent correspondre à ceux d’un village.»


Un «coin dépanne»
De même, alors qu’il s’engage dans la voie du zéro déchet, donc de la marchandise en vrac, Clément Castella a gardé un «coin dépanne» où l’on trouve de tout, emballé comme dans l’ancien magasin, sur un quart de sa surface. «Il doit en être ainsi dans un village.» Lui qui abandonne un bon salaire mise pour l’heure sur un scénario pessimiste à 800 francs par mois. «Le pire qu’il puisse m’arriver, c’est de ne rien gagner. Au début, ça a été dur de l’accepter. Mais je sens que c’est ce que je dois faire…»
Ce maigre salaire n’est pas ce qu’il craint le plus. «Non. Ce sera de moins voir ma femme.» Avec des semaines à soixante, septante voire huitante heures (ouverture sept jours sur sept), c’est ce qui risque d’arriver. Institutrice à 100%, son épouse n’est pas le dernier de ses soutiens: «Sans elle, ce serait impossible. Elle m’a encouragé, avec ma famille et les habitants du village, heureux que l’épicerie se maintienne.»
Pour l’instant, Clément Castella a réengagé l’employée de ses prédécesseurs, chez qui elle a travaillé durant seize ans. Elle sera là le samedi. «Si elle est débordée, cela voudra dire que je peux augmenter son temps de travail.» Et si cela ne marche pas? «Rien de grave: je reviendrai à ce que je faisais avant. La réussite en tant que telle ne m’intéresse pas. Sinon je ne le ferais pas…»

 

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Magasins en vrac à la pelle


Les épiceries en vrac et locales essaiment dans le canton. Il y en a déjà une à Bulle (Au P’tit Tout), à Fribourg (Atout Vrac), à Enney (La Sieste). Estavayer-le-Lac aura la sienne ce printemps. Mais le Sud fribourgeois fait fort, puisque Naturellement Vrac s’est ouverte vendredi dernier à Châtel-Saint-Denis. Suivra, le 6 mai prochain, Au Bocal du Coin, à Romont.
«Pour l’instant, les gens sont dithyrambiques», savoure Valérie Stillavato, qui a lancé Naturellement Vrac avec Caroline Hämmerli et Angélique Perrin. Pour les trois mères de famille, le phénomène va au-delà du simple effet de mode: «Au début, le vrac, c’est une organisation à mettre en place pour les clients. Mais une fois le pas franchi, ceux-ci n’ont plus envie de revenir en arrière. C’est un état d’esprit.»
Comme ils n’achètent que les quantités dont ils ont besoin, les clients sont parfois surpris des prix, en moyenne «très corrects», estime Valérie Stillavato. Il faut dire que le vrac, c’est aussi local, donc directement du producteur, en tout cas quand c’est possible. «On essaie d’éviter les grossistes. Mais les gens veulent aussi du choix, donc on doit offrir un large assortiment.» De fait, la liste des marchandises est longue, avec même des produits d’entretien et des cosmétiques.
L’idée étant aussi de ne pas concurrencer les commerçants du coin, ces derniers jouent le jeu: «On se rend service, ils prennent nos cartes de visite. Notre but, c’est que les gens se promènent dans la rue pour faire leur marché.» Un restaurateur a même décidé de prendre les fruits et légumes invendus à prix coûtant. Les habitants, eux aussi, ont joué le jeu: la campagne de financement participatif a permis de récolter près de 50 000 francs.


Commerçants prêts à jouer le jeu
A Romont, le crowdfunding est en cours (lien sur le site internet). Dès le 6 mai, Au Bocal du Coin reprendra le même concept, à cela près qu’une collaboration plus formelle sera établie avec les commerçants de la ville, notamment ses réputés artisans de bouche, afin d’y développer le vrac. «Nous avons édité une carte, explique Mélanie Gavillet, initiatrice du magasin avec Stéphanie Caille. Chaque fois qu’un client achètera en vrac chez eux, il recevra un tampon. Sa carte pleine, il pourra venir chez nous recevra un petit cadeau.» Deux boulangeries, deux boucheries et une laiterie-fromagerie ont tout de suite adhéré.
Autre particularité du magasin romontois, l’assortiment sera 100% sans additifs et des ateliers seront aussi organisés. JnG

 

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