Le recul du chamois oblige chasseurs et Etat à collaborer

| mar, 28. mar. 2017

La baisse des effectifs est bien réelle, avec moins de 1900 chamois dans le canton en 2016. Le Service des forêts et de la faune veut modifier une pratique de la chasse souvent ancestrale. Réticente, la Diana de la Gruyère organise une conférence-débat mercredi à Broc.

PAR JEAN GODEL


Les populations de chamois diminuent depuis une dizaine d’années. C’est un fait établi, en Suisse comme dans les autres pays alpins. Sur Fribourg, on est passés en 2016 sous la barre des 2000 individus comptés (1878). Chasseurs et gestionnaires de la faune cherchent des solutions, mais celle préconisée, dans le canton, par le Service des forêts et de la faune (SFF) ne fait pas l’unanimité parmi les chasseurs. Pour en débattre, la Diana de la Gruyère, en partenariat avec la Fédération des chasseurs fribourgeois, organise une conférence publique mercredi soir à Broc.
Pourquoi ces baisses d’effectifs? Les facteurs sont nombreux – les grands prédateurs n’expliquent pas tout, même s’ils ne sont pas innocents: qualité de l’habitat, dérangements notamment par le tourisme, maladies, concurrence des autres espèces (le cerf, notamment). Mais aussi la pression de la chasse, facteur décisif dans les zones ouvertes. Et donc les grands prédateurs, qui changent la dynamique des populations (modification de la répartition spatiale).
Rencontré avant sa venue à Broc, Elias Pesenti, biologiste au SFF, insiste sur la nécessité de travailler avec les chasseurs afin de faire remonter les populations à long terme et de façon naturelle. Pour cela, il s’appuie sur des faits. Rien que des faits.


Situation variable
Les faits, donc. Géographiquement, la situation varie. Dans les districts francs fédéraux (Dent-de-Lys, Vanil-Noir, Hochmatt), les effectifs sont stables, alors même que l’on y croise le lynx et le loup. Même stabilité dans les réserves de chasse cantonales, malgré une légère baisse depuis quatre ans. Dans les régions de plaine en revanche (chasse interdite, comme dans les deux zones précédentes), on constate une légère hausse des effectifs. Au contraire des territoires de montagne ouverts à la chasse où la chute est franche.
Pour stabiliser les populations, il est préconisé de prélever par la chasse entre 15% et 20% de la population comptée dans les zones ouvertes à la chasse Ce qui, rapporté aux chiffres de 2016, correspond entre 112 et 150 prélèvements. Or, l’an dernier, pas moins de 302 permis y ont été délivrés. C’est trop, estime Elias Pesenti, même si seuls 263 chamois ont été effectivement tirés (soit 32,5% de cette même population). Pour 2017, même si les comptages sont en cours, le SFF proposera probablement de diminuer les prélèvements par la chasse.


Les fameux trois tiers
Un autre critère pose problème: la chasse sexée et par classe d’âge, contenue dans les directives de la Confédération. C’est la fameuse règle des trois tiers: il faudrait tirer un tiers de jeunes de moins de deux ans (mâles et femelles à égalité), un autre d’adultes mâles et un dernier d’adultes femelles.
Force est de constater qu’on en est loin à Fribourg: en 2016, les chasseurs ont en effet tiré pas moins de 60% de mâles adultes, pour seulement 17,5% de femelles du même âge; bien trop peu de jeunes jusqu’à un an et demi (15,6% de mâles, 6% de femelles) et quasiment aucun cabri de l’année: 0,76% de mâles et zéro femelle. «En termes de gestion de la population, c’est problématique», regrette Elias Pesenti. De tels déséquilibres se retrouvent dans presque tous les secteurs ouverts à la chasse.
Ce prélèvement massif des mâles d’âge moyen sème la zizanie au sein des hardes: les femelles, qui refusent souvent d’être couvertes par n’importe quel jeune mâle, jouent les prolongations. Ayant cours en novembre, le rut s’éternise d’autant et les mâles s’épuisent et meurent plus facilement.
Quant aux jeunes, ils naissent jusqu’à six semaines plus tard, quand la pâture est de moins bonne qualité. Ayant moins de temps pour prendre des forces avant l’hiver, leur taux de mortalité est aussi plus élevé. «Les grands cantons de chasse alpine ont tous introduit ce genre de gestion, assure Elias Pesenti. Et leurs populations sont bien plus équilibrées.»


Chasse au trophée visée
Pour cela, il faudra renoncer à certaines pratiques bien ancrées, comme la chasse au trophée (cornes de mâles adultes). Parmi ces pratiques, estime même ChasseSuisse, «les traditions qui nuisent à la faune sauvage sont des vieilleries dont il faut se débarrasser».
«Pour garantir une population saine et équilibrée, la chasse va devoir changer», confirme Elias Pesenti. En bref, elle doit se spécialiser, car celle du chamois, dont l’identification n’est pas aisée, est un art difficile. «On ne fait pas cela contre les chasseurs, insiste Elias Pesenti: mais là, on a un problème, nous devons le résoudre ensemble.» ■

Broc, Hôtel de Ville, mercredi 29 mars, 19 h 30

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Grands prédateurs dans le viseur

Ce nouveau plan de chasse du chamois fait des remous en Gruyère. «Ce que propose le Service des forêts et de la faune change complètement notre pratique de la chasse.» Ancien président de la Fédération fribourgeoise des chasseurs, Eric Gobet comprend d’autant moins la réduction de 60% du plan de tir proposée par le SFF que les populations ont augmenté jusqu’en 2005, alors que les chasseurs fribourgeois prélevaient autant voire plus de bêtes tout en protégeant les femelles. «Mercredi soir, nous expliquerons pourquoi nous sommes opposés au tir des femelles.» Et aussi en quoi les observations des chasseurs sur le terrain les portent à ne pas croire qu’il faille préserver les mâles autant que le demande le SFF.
Ce n’est pas tant pour une chasse au chamois, qui ne dure que deux semaines en automne, qu’Eric Gobet se désole. Non, ce qui l’attriste, c’est de voir les montagnes «se vider de leur gibier». Dans les Préalpes en effet sont désormais interdites les chasses au chevreuil, au lièvre, à la marmotte, au lagopède, au perdreau et au bouquetin. «On ne tire plus que le cerf et on veut réduire de 60% le tir du chamois. La montagne est bientôt un désert pour le gibier. C’est triste.»
Si Narcisse Seppey a été invité mercredi, c’est parce que l’ancien chef du Service valaisan de la chasse, de la pêche et de la faune (de 1983 à 2006) a, par son action, contribué à doubler les effectifs de chamois du vieux pays, assure Eric Gobet.
A n’en pas douter, les grands prédateurs – loup et lynx – s’inviteront aussi au débat: «Parce que les populations de chamois se sont très bien portées jusqu’à leur arrivée», estime Eric Gobet. Lui ne se dit pourtant pas favorable à leur éradication. «Mais il n’y a aucune raison de sacrifier la chasse sur l’autel des grands prédateurs. Nous devons arriver à une cohabitation équilibrée.»
Or, selon les derniers comptages, la concentration de lynx en Gruyère permettrait d’en prélever au moins trois, calcule Eric Gobet. Qui s’appuie sur la législation fédérale, laquelle autorise de tels prélèvements dès lors que la chasse est menacée. «On y est! Avant de baisser les plans de tir du chamois, respectons les règles fédérales en prélevant trois lynx et en prenant en compte l’arrivée du loup. Sinon, je crains qu’on ne chasse plus le chamois dans cinq ans.» JnG

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