«J’aime les courses à l’instinct, où il faut se montrer créatif»

| jeu, 27. avr. 2017

Aujourd’hui en fin d’après-midi, l’arrivée de l’étape Champéry-Bulle sera jugée du côté d’Espace Gruyère. Le Tour de Romandie fait halte dans le chef-lieu après vingt et un an d’absence. Désormais établi à Châtel-Saint-Denis, Pascal Richard est le dernier coureur suisse à s’être imposé à Bulle. C’était le 7 mai 1993, lors du contre-la-montre.

PAR KARINE ALLEMANN

A chaque fois qu’il passe sur la grand-rue de Bulle, Pascal Richard a une petite pensée pour le 7 mai 1994. Ce jour-là, 10000 personnes massées sur le parcours du contre-la-montre avaient assisté au sacre du Vaudois, qui avait battu l’immense Miguel Indurain dans son exercice de prédilection. Dans la foulée, il remportait son deuxième Tour de Romandie. «Cette grande allée était pleine de pavés, à l’époque. Mais bon. Je ne pensais pas que c’était il y a si longtemps. Si on se met à compter, ça commence à faire loin…»
C’était il y a vingt-trois ans, donc. Pascal Richad n’était pas encore le champion olympique qu’il deviendra en 1996, à Atlanta, mais il était déjà au top niveau mondial. Aujourd’hui, celui qui vit à Châtel-Saint-Denis depuis huit ans est l’un des invités d’honneur de l’arrivée du Tour de Romandie à Bulle, vers 17 h 15 du côté d’Espace Gruyère. L’occasion de faire un brin de causette.

Racontez-nous la journée du 7 mai 1994.
A l’époque, on disputait une petite étape de 100 km le matin, puis un contre-la-montre de 15 à 20 km l’après-midi. Je trouvais ça très bien, tout le monde pouvait se mettre en jambes. Le matin déjà, je me sentais en super forme.
Ce parcours très cassant, avec des belles bosses, notamment du côté de Sâles, et des descentes vertigineuses où il fallait prendre des risques, était fait pour moi. En effet, j’avais battu Miguel Indurain (cinq victoires au Tour de France entre 1991 et 1995), qui avait dû concéder une de ses premières défaites dans un contre-la-montre, et le Français Armand de Las Cuevas, un spécialiste. Il faisait extrêmement chaud et il y avait énormément de monde. Je pense que le petit Vaudois, qui vient du coin et qui va peut-être gagner le Tour de Romandie, ça attirait la foule. Comme Wawrinka et Federer aujourd’hui.

Quel lien avez-vous gardé avec le cyclisme depuis votre retraite en 2000? Celui d’un spectateur attentif et passionné?
Oui. Je me déplace sur les courses et, avec des copains, depuis trois ans on s’amuse à faire les étapes à vélo, juste avant l’arrivée des coureurs.
Quitter le cyclisme en 2000 avait été une grande tristesse. J’avais appris vers la mi-août que je n’étais pas sélectionné pour les Jeux de Sydney. Cela a provoqué un énorme fracas en moi et, comme personne ne l’a vraiment compris, ça m’a rendu aigri. Quand on est à ce point isolé, c’est l’enfer qui commence. J’ai traversé un très mauvaise passe pendant cinq ans. Il m’a fallu du temps pour m’en remettre. Durant ce laps de temps, j’ai fait des dégâts autour de moi. Depuis 2006, j’ai reconstruit ma vie.

Aujourd’hui, vous dites que vous vous rendez compte que vous étiez aigri. Mais, à l’époque, vous n’aviez pas la même lucidité…
Non. C’est pour cela que je me sentais incompris. Mes résultats n’étaient plus les mêmes qu’en 1996, mais j’avais tout fait pour être prêt. Alors, quand j’ai appris la nouvelle par voie de presse, c’est comme si on m’avait donné un coup de batte de baseball derrière les mollets, et que j’étais tombé à genoux. Le problème est que je ne me suis pas relevé. Une semaine plus tard, j’étais au départ d’une course. J’ai même été signer la feuille des départs, mais je n’ai pas pu m’élancer. Je n’ai plus jamais recouru. Ce choc émotionnel m’avait fait complètement disjoncter. C’était une trahison. Je vois bien dans le regard de certains qu’ils pensent que j’ai agi comme un gros con, et que je suis probablement toujours un gros con. Mais ça ne m’affecte plus. La vie est trop importante.

Comment jugez-vous l’évolution du cyclisme depuis que vous avez quitté le peloton professionnel?
L’évolution est technologique. Il faut vivre avec. Moi, j’aime bien les stratégies de courses à l’instinct, où il faut se montrer créatif et où l’humain entre en ligne de compte, avec la réussite et le désespoir que cela peut impliquer. C’est ce qui fait le charme du vélo. Les oreillettes, il y a du pour et du contre. En tout cas, je trouve les courses actuelles très belles.
J’adore Chris Froome, qui a fait un très beau Tour de France l’année dernière. Et je trouve Peter Sagan excellent. Bien sûr, il a sa façon d’être et, s’il était suisse, ça ne passerait pas. Mais il a du caractère, une dégaine, et ça marche. C’est bien d’ajouter un peu de fun.

Le cyclisme est resté très populaire et son succès perdure. Mais avouez que c’est un sport difficile à aimer. Il y a eu toute une période où à chaque fois qu’un coureur épatait la galerie, il était pris pour dopage juste après…
Personnellement, j’ai le sentiment que l’Union cycliste internationale nous trahissait. Car d’un côté elle organisait des contrôles, et de l’autre elle autorisait toute une stratégie du dopage. Après l’affaire Armstrong, sur un plateau télé, j’ai dit que je le soutenais. Les gens étaient choqués. Mais, ce que je veux dire, c’est que, tout seul, Armstrong ne serait arrivé à rien. C’est un système et une structure qui ont fait de lui ce qu’il est devenu. Et, pendant ce temps-là, le cyclisme a encaissé beaucoup d’argent. Les stars sur le Tour de France, comme Schwarzenegger, c’était grâce à lui. Tout le monde a cautionné ce système, et tout à coup on l’a cassé et on a voulu faire payer une seule personne. Je trouve cela aberrant.
Reste que je pense que nous sommes revenus à un cyclisme normal. Il y a beaucoup moins de personnes dans les montées, ça lâche plus facilement. Même au plat, il y a des cassures. Avant, on se disait qu’il fallait mettre dix Mont-Ventoux de suite pour que ça pète!

Vous avez fait la quasi-totalité de votre carrière avant l’affaire Festina de 1998, qui a révélé du dopage à grande échelle. Vous avez souvent dû être interpellé à ce sujet. Quelle est votre position?
Il y avait déjà beaucoup de contrôles. Moi, j’étais persuadé que tout le monde était clean. Mais, je pense qu’à un moment donné, tu choisis ton camp. Et si tu te fais choper, tu te fais choper.
Mais je m’oppose à l’idée qu’on était tous dopés. Que tu aies un ou deux trucs pour t’aider, c’est tout à fait normal. Soit par une bonne diététique, soit parce que tu prends des produits qui n’étaient pas sur la liste antidopage, et qui ont ensuite été interdits. Mai, quand on en vient à des produits gérés par des médecins, des transfusions… Ce n’est plus la même chose. On dit qu’on ne peut pas faire gagner un âne sur un champ de course. C’est faux: avec ces produits, on peut faire gagner un âne sur un champ de course. Reste qu’on a tendance à admirer ceux qui prétendent avoir échoué dans le cyclisme parce qu’ils ont refusé de se doper. Mais, parfois, ils ont juste échoué parce qu’ils étaient nuls. Moi, j’étais déjà fort chez les jeunes, je suis resté fort. ■


Temps de passage
Etape Champéry - Bulle (160,7 km), temps de passage estimés: Attalens 14 h 42, Granges 14 h 44, Auboranges 15 h, Moudon 15 h 14, Vuarmarens 15 h 32, Esmonts 15 h 36, puis Grand Prix de la montagne et début du ravitaillement, Siviriez 15 h 42, Romont 15 h 48, Villaz-Saint-Pierre 15 h 56 (sprint PMU), Massonnens 16 h 01, Le Châtelard 16 h 10 (Grand Prix de la montagne), Sorens 16 h 20, Riaz 16 h 26, Corbières 16 h 32, Broc 16 h 42, Bulle (premier passage sur la ligne d’arrivée à Espace Gruyère) 16 h 50, Vuadens 16 h 52 (sprint PMU), Riaz 16 h 58, Corbières 17 h 05, Broc 17 h 14, Bulle (arrivée à Espace Gruyère) 17 h 21.

Programme
Dans la zone d’arrivée, à Espace Gruyère
15 h: ouverture du village des partenaires.
15 h 45: passage de la caravane du Tour.
16 h: P’tit Tour des enfants. 16 h 40: premier passage du peloton. 17 h 15: arrivée. 17 h 45: remise des prix.

 

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Albasini aussi à Bulle?
Trois fois vainqueur du Tour de France et déjà deux fois lauréats du Tour de Romandie, Christopher Froome est la grande star de cette édition 2017. Que pense Pascal Richard du Britannique? «Au début, il m’énervait un peu, car il ne parlait que technologie, nombre de watts, tours de pédale par minute. Et il faisait des courses d’attente. En plus, sur un Tour de France, il avait attaqué son propre leader, Wiggins, qui était maillot jaune. J’avais trouvé cela lamentable. Au fil des années, j’ai changé de point de vue. Je trouve ce coureur sympathique et humble. Il fait son métier et il a prouvé qu’il avait de la créativité. Je pense qu’il est là pour gagner. Surtout que, cette année, il n’a pas d’adversaires très haut de gamme.»
Annoncée comme étape de montagne dans le programme officiel, la course entre Champéry et Bulle aura comme principale difficulté la montée du Châtelard. Le Vaudois estime qu’elle pourrait couronner un groupe d’échappés. Peut-être même Michael Albasini, 3e de l’Amstel Gold Race puis 7e de Liège-Bastogne-Liège, et vainqueur hier à Champéry. «Je verrais bien une échappée contrôlée, sans grande avance. Avec cette bosse du Châtelard, Albasini pourrait sortir du lot. En plus, c’est un dur au mal, il ne sera pas dérangé si la météo est difficile. Et puis, avec sept victoires sur le Tour de Romandie, il commence à se rapprocher du record de victoires de Mario Cipollini (12).»
Le dernier kilomètre, en ville de Bulle, proposera deux virages serrés à hauteur de la rue des Trois-Trèfles, puis au moment de bifurquer sur la rue de Vevey, où l’arrivée sera jugée devant Espace Gruyère. «Ces deux difficultés ne devraient pas déranger Albasini. Il est très facile. L’année passée, il avait déjà gagné avec un angle difficile en fin d’étape. Au niveau des autres coureurs suisses, je pense que le Vaudois Danilo Wyss peut avoir ses chances, tandis que le Valaisan Sébastien Reichenbach devrait plutôt viser le classement général. Donc je vois bien Albasini gagner à Bulle.» KA

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