La poya, source d’inspiration aussi pour les jeunes artistes

| mar, 11. avr. 2017

La poya, on continue de la dessiner, de la peindre, de s’en inspirer. Un art qui n’est pas réservé qu’aux armaillis. Les jeunes urbains, aussi, s’en emparent. En attestent les œuvres de Fanny Dreyer et de Simon Dénervaud.

PAR FRANCOIS PHARISA


«Il y a de moins en moins de montées à l’alpage traditionnelles, mais on n’a jamais peint autant de poyas que depuis les années 1980.» Denis Buchs, ancien conservateur du Musée gruérien, s’en étonnait déjà dans son ouvrage Les poyas, paru en 2007. Dix ans plus tard, le constat n’a pas pris une ride. Les représentations de défilés de troupeaux continuent d’être à la mode. Les expositions individuelles ou collectives consacrées au genre se montent année après année.
Aujourd’hui, de jeunes artis-tes, sans attache avec le monde agricole, contribuent à perpétuer cet art populaire typique et original, en n’hésitant pas
à déroger aux règles. A l’instar de la Fribourgeoise Fanny Dreyer, qui a créé une poya avec des encres colorées dans un livre pour enfants, et du Bullois Simon Dénervaud, qui les dessine, lui, au crayon sur papier gris, avec le souci du réalisme. ■

 

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«Je voulais revenir à des images de mon enfance»

Fanny Dreyer. C’est l’histoire d’un petit garçon qui grandit. Une histoire universelle. Un garçon de chalet qui accompagne pour la première fois un troupeau dans sa montée à l’alpage. Pour sa vache Lise, c’est également un baptême.
Leur histoire est joliment contée et mise en images par Fanny Dreyer (photo), dans un livre jeunesse intitulé La poya (paru en mars, aux Editions La Joie de lire), sous la forme d’un leporello «qui se déploie superloin» comme elle le présente. Fribourgeoise établie à Bruxelles depuis dix ans, où elle s’est formée à l’Académie royale des Beaux-Arts en illustration, Fanny Dreyer, tout juste 30 ans, réalise là sa première poya. Après avoir exploré d’autres classiques comme Les musiciens de Brême, Le vilain petit canard ou La nuit de Saint-Nicolas (le Saint-Nicolas belge, pas le Fribourgeois). «Je voulais revenir à des images de mon enfance, à quelque chose de rassurant, qui questionne mon origine. Même si je ne viens pas d’une famille d’agriculteurs, mon imaginaire est imprégné d’images d’armaillis et de leur troupeau.» C’est dans un salon du livre, entre deux dédicaces de l’un de ses précédents ouvrages, qu’elle se met à griffonner «compulsivement de petites frises avec de petites vaches» sur un carnet. Son éditrice lui souffle l’idée: un livre accordéon représentant le cheminement du troupeau vers les hauts pâturages.
Pour sa poya, l’illustratrice a employé une technique bien à elle. «Je peins mes personnages et mes animaux avec des flacons d’aquarelles colorées, des écolines. Puis je les découpe et les colle sur un fond en papier. Une technique mixte entre peinture et papier découpé.» Un clin d’œil aux dentelles de papier du Pays-d’Enhaut. Le résultat est un mélange d’ingénuité, de simplicité et de sensibilité.
Le livre est accessible dès 6 ans. Même si son auteure refuse de mettre des limites. «Quand je peins, je ne pense pas à l’âge de mes lecteurs. Ça me bloquerait. Et je ne sais d’ailleurs pas comment un enfant de 6 ans réfléchit. Petite, j’ai lu des livres trop compliqués pour moi, mais j’en ai quand même retenu de belles choses.» Selon elle, les enfants comme les «grands enfants» peuvent y trouver leur compte: «Les petits repèrent et énumèrent les animaux qu’ils connaissent, les adultes comprennent le sous-texte.»
Et dans le Plat Pays, sait-on ce qu’est la poya? «Je ne compte plus les fois où j’ai dû expli-
quer ce qu’elle représentait», rigole la jeune femme. FP

 

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«Grâce à un assemblage d’une centaine de photos»


Simon Dénervaud. Il en parle un peu comme un passage obligé. «La poya, c’est notre patrimoine. Tous les artistes traditionnels en Gruyère en ont peint.» Simon Dénervaud, 29 ans, a beau préférer le crayon au pinceau, le trait réaliste à la fraîcheur naïve, le papier gris à la planche de bois, il perpétue à sa manière cet art populaire typique qu’est la poya. Diplômé de l’Ecole de design en horlogerie à La Chaux-de-Fonds, il travaille aujourd’hui à 70% chez Bumotec, à Vuadens, secteur marketing et communication. Le reste du temps, il dessine, dans son deux-pièces et demi, à Bulle. «Le soir surtout, c’est plus calme. Sauf pour un dessin en couleurs.»
Depuis 2014, il montre ses créations sur sa page Facebook. Et depuis peu, elles sont aussi visibles sur un site internet (simondenervaud.ch). Il a déjà reçu 300 commandes. Des cerfs, des renards, des taureaux, beaucoup d’animaux, ce qu’il préfère. Des portraits de mariés aussi, «le plus difficile à réaliser». Une scène du dernier Star wars, une Ford Mustang ou encore une caravelle.
Et, donc, des poyas. «Actuellement, j’en ai quatre en commande. J’ai quelques mois de retard», concède-t-il. Une pièce restera en Gruyère, les autres orneront le salon d’un chalet à Verbier, et ceux d’appartements à Lutry et à Monaco. L’encolonnement en zigzag du bétail séduit donc jusqu’au bord de la Méditerranée. Des œuvres de 80 cm de long sur 35 cm de haut, avec un cadre épuré ou bien en vieux bois. «Je confierai la confection des cadres à des artisans de la région.» Dans le dessin aussi, le client est roi.
Récemment, Simon Dénervaud a réalisé, pour un agriculteur de Sâles, sa «pièce maîtresse». Une poya au crayon sur papier gris, de plus de 2 m de long sur 1 m de haut, découpée en cinq tableaux et réalisée grâce à un assemblage d’une centaine d’images. «Ses demandes étaient très précises.» Ces vaches-ci, ce chalet-là et, en arrière-fond, la vue sur les Préalpes depuis Sâles. «Dans l’ordre, Brenleire, Folliéran, les trois Vanils (Noir, de l’Ecri et Carré) et bien sûr le Moléson.»
Combien d’heures passées à ébaucher, tracer, dessiner, effacer, recommencer? Il lève les sourcils et soupire: «Je ne sais pas, peut-être 350 heures, en comptant les rendez-vous avec le client, l’assemblage des images, l’esquisse, puis le dessin à proprement parler.» L’ensemble vaut «plusieurs milliers de francs».
A la fin du mois, il diminuera son temps de travail chez Bumotec. «Je veux mettre toutes les cartes de mon côté pour monter mon business et essayer de vivre du dessin.» Avec, toujours à l’esprit, sa règle d’or, celle des «trois p», comme il l’a appelée: perspective, proportion, propreté. «En l’appliquant, on ne peut que réaliser un beau dessin. Même avec un crayon Ikea.» FP

 

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