Les dessous d’une faillite qui était devenue inévitable

| mer, 12. avr. 2017

Yendi a demandé mardi soir l’ouverture d’une procédure de faillite. La fin d’une folle aventure. Plombée par des problèmes structurels, l’enseigne bulloise de prêt-à-porter se retrouve en situation d’insolvabilité. «Nous n’avions plus le choix», affirment les responsables. Quelque 450 emplois disparaissent.

PAR JEROME GACHET

Yendi, c’est fini. Dans quelques jours, quand le juge aura prononcé la faillite, les 450 employés (400 équivalents plein temps) seront licenciés, le centre logistique de Bulle fermera ses portes, tout comme les 96 magasins de la marque. La fin brutale d’une folle aventure qui aura duré plus de quarante ans.
Les collaborateurs du site bullois ont appris la nouvelle hier matin. Ensuite, lors d’un point presse, Jean-Marc Nicolet et Jean-Baptiste Deillon, directeurs et propriétaires depuis une année, ont exposé les tenants et aboutissants de cette situation.
«Mardi soir, nous avons demandé l’ouverture d’une procédure de faillite. Nous n’avions pas le choix, nous sommes en situation d’insolvabilité», assène, effondré, Jean-Marc Nicolet. Un terrible coup dur pour l’économie, en particulier celle de ce canton, qui voit disparaître 120 postes, dont 90 rien qu’à Bulle.


Pour un franc symbolique
Les directeurs ne le cachent pas: l’entreprise souffre depuis plusieurs années. En avril 2016, quand ils la «rachètent» des mains de Noël et Patricia Wicht, fondateurs de l’enseigne en 1976, ils savent qu’ils se lancent dans un périlleux exercice de sauvetage. Mission impossible? «Oui, aujourd’hui, on pourrait le dire. Mais en 2016, il y avait de l’espoir», soupire Jean-Marc Nicolet. Le terme «racheter» est un bien grand mot, puisque l’ensemble des actions a été cédé pour un franc symbolique.
Depuis trois ans, l’enseigne doit faire face à des problèmes structurels avec la crise du franc fort, qui n’a fait que s’accentuer, et le développement spectaculaire du commerce en ligne. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: alors que Yendi affiche un chiffre d’affaires record de 87 millions de francs en 2012, celui-ci a chuté de moitié lors des trois dernières années.
La crise du franc fort débute en 2009. «Du jour au lendemain, nous avons perdu 15 à 20% en raison du taux de change», expose Jean-Marc Nicolet. Le cercle vicieux se met en place. Pour écouler sa marchandise, Yendi entre dans une logique de soldes et de promotions, dont elle ne sortira plus. «Cela nous a permis d’atténuer le choc durant un moment, mais, au final, nous vendions nos produits 20 à 30% moins cher», reprend Jean-Marc Nicolet.
Face à ces difficultés, Yendi commande un audit en 2015 qui propose trois axes stratégiques: la réduction du nombre de magasins pour améliorer les finances, le déploiement sur internet et la réorientation des produits pour relancer la marque. «Nous nous sommes rendu compte que notre clientèle avait plus de trente-cinq ans. Nous devions reconquérir les jeunes de moins de 16 ans qui étaient, il y a dix ou quinze ans, le cœur de notre clientèle.»
Pour ce qui est d’internet, les responsables reconnaissent aujourd’hui que le virage a été raté. Mais que faire face à des poids lourds comme Zalando?
Les patrons de l’époque se trouvent face à l’Everest. L’âge avançant, après avoir consacré leur vie professionnelle à Yendi, Noël et Patricia Wicht se retirent, donnent les commandes à leurs deux collaborateurs en avril 2016.


Immeubles à la Suva
Etablir une stratégie est une chose. La mettre en œuvre en est une autre. Depuis trois ans, l’enseigne doit faire face à de graves soucis de liquidités. Seule solution: vendre des actifs pour payer les dettes qui s’accumulent. Yendi décide alors de se séparer des deux bâtiments – administratif et logistique – qu’elle occupe et possède au Battentin, à la sortie de l’A12. Ils sont vendus à la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (Suva). Quant au terrain adjacent, il est acquis par la Tôlerie industrielle de la Gruyère.
La banque qui travaille habituellement avec Yendi accepte le deal. Mais la solution ne s’avère pas aussi intéressante que cela. «Nous espérions toucher cet argent en septembre 2016, mais les choses ont pris plus du temps que prévu.» Le paiement est finalement agendé à janvier 2017. Et, coup de grâce, la banque annonce qu’elle bloque l’essentiel de la somme comme garantie de loyer. «A la fin, il ne nous restait plus que 600 000 francs», précise Jean-Marc Nicolet.
Largement insuffisant pour payer les fournisseurs, les locations des magasins et pour déployer l’ensemble de la stratégie mise en place. «Nous courons après l’argent», résume Jean-Baptiste Deillon.
Selon La Liberté du 7 avril, les poursuites engagées contre Yendi s’élèvent à 272 000 francs à fin mars. Quelques régies immobilières résilient même les baux.
«Nous aurions pu licencier il y a un mois, mais nous ne l’avons pas fait. Dès le début, nous avons tout mis en œuvre pour sauver les emplois», martèle Jean-Marc Nicolet.
Et comme les ennuis n’arrivent jamais seuls, trois containers, remplis de vêtements fabriqués en Chine, ne rejoindront jamais Bulle, la compagnie de cargos ayant fait faillite… «Cela n’a l’air de rien, mais ça représente un à deux mois de marchandises», poursuit Jean-Marc Nicolet. Les rayons des magasins sont ainsi de moins en moins fournis.
Le trou se creuse. Les responsables de Yendi se tournent alors vers leurs concurrents pour tenter de conclure des alliances. Peine perdue. Reste la piste d’un repreneur. Sauf que personne ne s’intéresse à une enseigne très exposée, surtout sur un marché en plein chamboulement.
Ces derniers jours encore, quatre sociétés – deux suisses, une hollandaise, une française – s’intéressent à reprendre tout ou partie du réseau de magasins de Yendi. Deux points de vente sont cédés en Suisse alémanique. Avec l’ouverture demandée de la faillite, les tractations s’arrêtent là. ■

 

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Il n’y aura pas de plan social
Que va-t-il advenir des 450 collaborateurs de Yendi? Cette préoccupation revient sans cesse dans les paroles du directeur général Jean-Marc Nicolet. «J’espère que les sociétés qui se manifesteront après la mise en faillite pour reprendre des magasins, recruteront nos collaborateurs. Durant tous ces mois difficiles, ils ont fait preuve d’un engagement extraordinaire. La situation de nos employés est mon plus grand crève-cœur.» De plan social, il n’y aura cependant pas: «Cela était encore envisagé la semaine dernière, mais au vu de la tournure des événements, ce ne sera pas possible. Il n’y a pas assez d’actifs.»
Concrètement, les collaborateurs, toujours sous contrat, vont encore se rendre à leur travail jusqu’à ce que la faillite soit prononcée. Une procédure qui prend habituellement une dizaine de jours. Ces derniers mois, l’effectif a légèrement diminué, passant de 500 emplois à 450 environ (400 équivalents plein temps), les départs n’ayant pas été remplacés. JG

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