En train, à près de 160 km/h, entre Vuisternens et Romont

| jeu, 11. mai. 2017

Les TPF étudient un nouveau tracé entre le chef-lieu glânois et Vuisternens-devant-Romont. Le temps gagné permettrait d’éviter des investissements inutiles à Vaulruz et Broc-Fabrique. Séduit, l’Office fédéral des transports (OFT) a demandé un avant-projet aux TPF.

PAR JEAN GODEL

«La planification ferroviaire est un jeu de dominos: toute mesure déclenche des conséquences en cascade.» Il faut avoir en tête cet aphorisme de Vincent Ducrot, le directeur des Transports publics fribourgeois (TPF), pour comprendre ce qui se joue en ce moment sur le Bulle-Romont. Si les pièces du domino tombent juste, le tracé de la ligne pourrait être largement modifié entre Romont et Vuisternens-devant-Romont: à l’horizon 2030, les trains pourraient bien filer tout droit à travers la plaine de la Glâne. Explications.
Le 9 février 2014, le peuple suisse acceptait le FAIF (Financement et aménagement de l’infrastructure ferroviaire), instaurant un fonds permanent de financement et de nouvelles modalités pour la sélection des investissements. En gros, les cantons et les gestionnaires des infrastructures ferroviaires (ici, les TPF) établissent une liste de vœux (actuellement, elle pèse 50 milliards à l’échelon suisse). Et c’est la Confédération, via son Office fédéral des transports (OFT) qui établit les priorités selon, notamment, un calcul implacable du rapport coût/utilité.
Des programmes échelonnés d’investissements sont ensuite soumis au Parlement – nous vivons actuellement sous l’ère de l’étape d’aménagement 2025 (EA25), lourde de 6,4 milliards. La date de 2025 ne signifiant pas la date de réalisation, mais une simple dénomination – ainsi, Rail 2000 a-t-il été mis en service en… 2004. Dans la liste de l’EA25 figurent des mesures d’accélération entre Lausanne et Berne – nouveau matériel roulant et aménagements de la voie – qui feront ainsi passer le temps de trajet de soixante-six à soixante et une minutes.
Double voie à Vaulruz
Premier effet domino: l’horaire des RER Bulle-Fribourg s’en trouvera modifié. Le point de croisement, actuellement à Vuisternens-devant-Romont et Sâles, se décalera dans la région de Vaulruz, où il n’est actuellement pas possible pour deux trains de se croiser. Qu’à cela ne tienne: le Parlement a prévu des moyens pour des mesures dites de réparation des conséquences induites par les gros objets de l’EA 2025.
Il a donc été prévu de cons­truire, entre Vaulruz et Bulle, une double voie sur quelques centaines de mètres qui permettra aux trains de se croiser sans s’arrêter. Cet objet figure à l’EA25. Autre effet domino de ces légers décalages d’horaire: il sera nécessaire de construire un second quai au futur terminus du RER à Broc-Fabrique, qui deviendra à son tour un point de croisement. Ces deux investissements (Vaulruz et Broc-Fabrique) pèsent
25 millions.
A travers la plaine
Or, les TPF et le canton de Fribourg ont pu établir que s’ils parvenaient à réduire le temps de parcours de quelques minutes entre Bulle et Fribourg pour approcher des 30 minutes (contre 35 aujourd’hui), les interventions à Vaulruz et Broc-Fabrique deviennent inutiles. «Pour y parvenir, assure Vin­cent Ducrot, le plus simple est d’accélérer la vitesse entre Romont et Vuisternens-devant-Romont.»
Comment? En remplaçant la grande boucle que la ligne effectue sous la colline du chef-lieu, au terme d’un tracé sinueux, par une digue ou un pont rectilignes à travers la plaine de la Glâne. Du coup, au lieu de se croiser vers Vaulruz, les trains le feraient à la nouvelle gare de Bulle, où les infrastructures le permettront.
Vers Romont, l’impact sur les terres d’assolement serait nul, voire positif, puisque, en démantelant l’ancienne voie, les TPF rendraient plus de terres qu’ils n’en prendraient pour le nouveau tracé, plus court.
Déjà menée par les TPF, l’étude de faisabilité estime le coût de cette nouvelle ligne à 60 millions de francs. La proposition a bénéficié d’un bon accueil auprès de l’OFT qui, confirme-t-il, l’a gratifiée d’un rapport coût/utilité de 3,6 – par comparaison, la gare souterraine de Lucerne obtient un 0,1. L’OFT a donc demandé un avant-projet aux TPF. Il s’agira notamment de préciser le tracé et d’étudier la problématique du sous-sol instable.
L’idée est aussi d’obtenir une estimation plus précise, à plus ou moins 15%. Confiant, Vincent Ducrot pense pouvoir ramener le coût à 50 millions. «D’ici une bonne année, nous aurons une vision plus claire.» ■

 

------------------

 

Un projet aux chances réelles


Ce projet souffre d’un problème d’agenda: si la création d’un point de croisement à Vaulruz et d’un quai supplémentaire à Broc-Fabrique (pour 25 mio) figure dans l’étape d’aménagement 2025 (EA25) de l’Office fédéral des transports (OFT), la nouvelle ligne entre Romont et Vuisternens-devant-Romont figure, elle, dans l’étape suivante (EA35).
Plus lointaine, celle-ci est encore en discussion au Parlement à Berne. Lequel devra décider, en 2018, entre deux variantes: l’une à 7 milliards, réalisable à l’horizon 2030 (à l’heure actuelle, aucun objet fribourgeois n’y figure), l’autre à 12 milliards, réalisable d’ici à 2035. C’est là que figure le nouveau tracé glânois.
Or, les Transports publics fribourgeois (TPF) sont pressés. Car avec l’accélération du temps de parcours entre Lausanne et Berne, bientôt effective, il leur faudra trouver une solution pour caler leur RER: soit investir rapidement à Vaulruz et Broc-Fabrique, soit construire plus tard une nouvelle ligne à Romont. A moins qu’ils parviennent à convaincre l’OFT d’anticiper le nouveau tracé glânois, ce qui rendrait le point de croisement de Vaulruz et le quai supplémentaire de Broc-Fabrique inutiles. Son financement se ferait alors dans le cadre de l’EA25.


«Tout reste ouvert»
«A ce stade, tout reste ouvert, confie Vincent Ducrot, directeur des TPF. Mais je suis confiant. Si nous parvenons à prouver qu’avec cet investissement pérenne de 50 millions, on évite de construire 25 millions d’équipements inutiles dix ans plus tard, il vaut la peine de l’anticiper. Ça tombe sous le sens.» Quitte, d’ailleurs, à passer par un préfinancement, par le canton de Fribourg, de la différence entre les deux options.
Ce nouveau tracé glânois a des atouts économiques incontestables. Ainsi, il y aura besoin de moins de rames puisque, une fois arrivé à Broc-Fabrique, le train pourra en effet rebrousser chemin vers Fribourg sans attendre. Et l’engagement des mécaniciens sera optimalisé (ils attendront moins dans les trains en bout de ligne). Autant d’effets domino supplémentaires…


Mieux que Bâle, Genève ou Lucerne
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce projet s’en tire bien en termes de rapport coût/utilité – un aspect fondamental pour l’OFT. Noté 3,6 par l’OFT, il serait même mieux placé, dans l’EA35, que plusieurs projets dans des villes comme Genève, Bâle ou Lucerne: «Cette mesure est très efficace, confirme Vincent Ducrot, elle a des effets très positifs sur l’exploitation en reliant la voie normale, la voie étroite et les bus Mobul dans un système qui fonctionne bien.»
Cela dit, le dossier est aussi politique et un rééquilibrage peut encore intervenir au Parlement. D’autant plus qu’il reste encore entre 1,5 et 2 milliards à distribuer. «On assiste en ce moment à un combat de titans entre les cantons, assure Vincent Ducrot. Mais Fribourg a pour lui d’avoir proposé des mesures moins chères aux effets très positifs. J’ai bon espoir de convaincre l’OFT.» JnG

 

----------------------

 

Gares entre Romont et Bulle?


Il est un dernier effet domino, assez inattendu, de ces baisses de temps de parcours sur les lignes Lausanne-Berne et Romont-Bulle: si tout cela se réalise, on pourrait alors imaginer que le train régional Fribourg-Romont prolonge sa course. Jusqu’à Vuisternens-devant-Romont, voire Sâles. Ce qui signifierait la réouverture de ces gares, mais avec une desserte uniquement vers Romont. A moins que l’on arrive à pousser les régionaux jusqu’à Bulle… «Bulle, ça sera difficile», tempère d’emblée Vincent Ducrot. Tout est question de localisation des points de croisement: selon les cas de figure, un régional pourrait se balader sur la ligne, avec terminus à Vuisternens ou Sâles, puis rebrousser vers Romont, sans perturber les RER.
Mais la chose n’est pas simple. Car, pour rouvrir une gare, il faut construire un quai supplémentaire et un passage sous-voie. «Ce n’est pas hors de prix, concède le directeur des TPF, mais difficile à faire passer: avant de créer une nouvelle offre, il faut que son rapport coût/utilité le justifie.» De plus, la tenue de l’horaire serait délicate, avec potentiellement trois trains sur une voie unique.
Cela dit, d’ici vingt ans, les choses peuvent évoluer. Mais pour l’heure, les TPF ne se sont pas penchés sur la question. D’abord inscrite sur la liste de vœux de la région de planification Fribourg, un document publié en mars 2015 et fixant les volontés politiques du moment, la réintroduction d’arrêts entre Bulle et Romont ne figure pas dans l’EA35, pas même dans sa version à 12 milliards. L’effet domino pourrait bien trouver là son coup d’arrêt. JnG

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses