Les adultes au cœur de la lutte contre les harcèlements

mar, 23. mai. 2017

Très peu d’enfants harcelés par leurs pairs osent en parler aux adultes, parents ou enseignants. Ces derniers sont au cœur de la solution. Stop Violence en Gruyère a invité le psychologue Philip Jaffé à en parler mercredi soir à Bulle. Bien que le phénomène du harcèlement soit sournois, certains comportements des jeunes concernés devraient alerter.

PAR JEAN GODEL

A l’issue de son assemblée générale, mercredi au Collège du Sud à Bulle, l’association Stop Violence en Gruyère évoquera le thème du harcèlement entre pairs lors d’une conférence publique. Ces microviolences répétées entre enfants qui, prises isolément, n’ont rien de spectaculaire, mais peuvent conduire à des situations dramatiques. Longtemps vue comme une affaire d’enfants, la question préoccupe de plus en plus le personnel scolaire et les parents.
Présidée par le préfet Patrice Borcard, l’association a invité Philip Jaffé, professeur de psychologie au Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève (lire ci-dessous), et Zoe Moody, professeure en sciences de l’éducation à la Haute Ecole pédagogique du Valais, auteurs de plusieurs études et publications sur le thème.
Vice-président de Stop Violence en Gruyère, Michel Bussard, conseiller pédagogique auprès de la DICS et personne ressource, pose les bases du débat: «Le harcèlement entre pairs est l’action répétitive et durable d’un groupe d’élèves s’en prenant à un camarade. Ce n’est donc pas un conflit entre deux individus.»
Nouveauté liée aux réseaux sociaux, le cyberharcèlement rend la pression encore plus forte: «Avant, la victime était tranquille une fois rentrée à la maison. Maintenant, c’est 24 heures sur 24.» Caché derrière l’écran, on se sent autorisé à dire n’importe quoi, souvent anonymement. La vitesse de propagation des réseaux sociaux et la diffusion à un plus grand nombre amplifient aussi le harcèlement. «C’est encore plus violent, il n’y a plus de repos», confirme Michel Bussard.
Lorsque le service de médiation scolaire de la DICS intervient, les médiateurs tiennent compte des trois acteurs du harcèlement: la victime, le harceleur et le témoin. Si l’aide à la victime est évidente, on sait aujourd’hui qu’il faut aussi s’occuper des harceleurs: «Ils doivent comprendre le mal qu’ils font, car 99% d’entre eux disent que “c’est pour rire”.»
La prise de conscience et le changement d’attitude escomptés passent généralement par une forme de culpabilité: «Elle surgit lors de la confrontation avec la victime, qui pourra dire la douleur ressentie.» Quant au témoin, qui regarde et n’agit pas par peur de devenir la victime, il doit comprendre qu’il a un rôle à jouer.Selon les cas, les médiateurs entendent et soutiennent d’abord la victime pour remonter aux harceleurs, voire aux témoins. Mais on peut aussi commencer par le collectif, la classe: «On ne vient pas que pour la victime, afin de ne pas la stigmatiser, mais pour évoquer, parfois par le biais de questions écrites, les difficultés relationnelles au sein de la classe. Souvent, les situations de harcèlement font surface.»


Le rôle des adultes
Il est un dernier acteur à mobiliser, à accompagner: les enseignants. «Souvent, ils tom-bent des nues, car ils n’ont rien vu, le phénomène étant très sournois, et ne savent pas quoi faire», témoigne Michel Bussard, qui encourage ses collègues à faire appel aux personnes ressources. «Plus j’avance, plus je vois qu’il faut travailler avec les adultes: si les parents et les enseignants assument leurs responsabilités respectives, ça va mieux.»
Il reste du chemin à faire: en moyenne, seuls 10 à 15% des victimes osent parler de leur harcèlement aux adultes. ■

Bulle, aula du Collège du Sud, mercredi 24 mai, 19 h 30. www.stopviolence.ch

 

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«Créer la confiance, il n’y a rien de mieux»

Philip Jaffé est professeur de psychologie au Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève.

Un harcèlement à l’école débouche-t-il toujours sur un cyberharcèlement?
La recherche montre qu’il y a une fluidité entre le harcèlement de vive voix ou par contact physique et le cyberharcèlement, étant donné que ce sont les mêmes qui passent de l’un à l’autre: ils harcèlent le même enfant à l’école, puis par internet interposé, de retour à la maison.

Jusqu’où peut aller le harcèlement?
Très loin, vous vous en doutez. De temps à autre, un enfant se suicide, mais c’est vraiment l’exception. Cela dit, beaucoup d’enfants vont à l’école la boule au ventre – entre un sur vingt et un sur dix: chaque jour, avoir peur de passer son temps dans une zone de danger, ça use.

A quel âge le harcèlement peut-il commencer?
Des recherches au jardin d’enfants ont montré l’existence de protoharcèlements: des enfants un peu dominants qui embêtent les plus jeunes. Mais c’est anecdotique. Le plus souvent, le phénomène apparaît vers la fin de l’enfance et le début de l’adolescence, quand débutent la conscience de soi et le souci de son apparence.

Le harcèlement n’a-t-il pas toujours existé?
Oui, certainement. Mais avant, l’école et le champ social étaient plus régulés, les enfants plus encadrés, le domaine scolaire plus surveillé. Aujourd’hui, l’autonomie de l’enfant favorise, dans certains contextes, le développement de dérapages. On minimise beaucoup les dégâts dus aux harcèlements du passé. De nombreuses victimes n’ont pas pu exprimer leur détresse. Une douleur s’est comme enkystée, si j’ose dire, au sein de la génération précédente.

Existe-t-il un profil type du harceleur?
Ce sont souvent des enfants vivant des contextes familiaux déstructurés, chaotiques ou d’autoritarisme. Donc pas des enfants issus de familles égalitaires et démocratiques… Les harceleurs empruntent aux adultes des modèles de dominance qu’ils vont répliquer dans des contextes où eux-mêmes peuvent avoir de l’ascendant. Mais vous avez aussi des petites frappes, qui deviendront des grands voyous. Ils commencent assez jeunes à expérimenter le harcèlement et son impact sur les autres.

Ces enfants harceleurs ne sont-ils pas aussi des victimes à leur manière?
Bon nombre de harceleurs ont été des victimes par le passé. C’est une manière pour eux de répliquer envers les plus faibles des comportements qu’ils ont eux-mêmes subis. Cela dit, il existe des harceleurs qui n’ont jamais été victimes. C’est eux qu’il faut identifier, car ils ont le pronostic le plus compromis.
Dans le profil de ces harceleurs, qu’ils aient été victimes ou non, l’échec scolaire figure souvent au premier plan. Ce sont aussi des enfants qui expérimentent beaucoup plus des pratiques répréhensibles, fumette ou autre, ou qui ont moins de satisfaction dans l’existence, y compris plus tard, à l’âge adulte – ils connaissent même un taux de décès prématuré plus important, car devenus adultes, ils conservent ces comportements à risque.

A l’opposé, existe-t-il un profil type du harcelé?
Il est tellement vague qu’il est presque dangereux d’en faire état. Ce sont tous les enfants différents, à l’estime de soi plus faible, retirés socialement, sans grande confiance en eux. Mais aussi ceux qui ont confiance en eux, mais ont la malchance d’avoir des cheveux roux, des lunettes, des longues jambes, n’importe quoi. Enfin, il y a des enfants plus matures: ceux-là s’en sortent mieux, car ils savent comment actionner la protection des adultes.

Les harcelés ont-ils une part de responsabilité de par leur comportement?
Jamais. A moins que vous estimiez que ne pas savoir parler d’un harcèlement aux autres est une faiblesse. C’est vraiment un problème de prévention des adultes vis-à-vis des enfants.

Les mieux placés pour détecter un harcèlement sont donc les adultes?
Les adultes pourraient déceler énormément de choses s’ils prenaient le temps d’observer les relations des enfants entre eux. Bien sûr, il faut aussi que les enfants se confient à eux. Il est donc primordial que les adultes donnent la possibilité aux enfants dont ils ont la charge de s’exprimer en toute discrétion. Créer la confiance, il n’y a rien de mieux! Les enfants doivent savoir qu’en cas de comportement inacceptable, ils peuvent venir chercher de l’aide.

Parmi les adultes, qui sont les plus à même d’intervenir: les parents ou les enseignants?
Les parents ont un grand rôle à jouer – le pire, c’est les parents indisponibles. Mais la clé de la prévention, c’est l’école, toutes les recherches le montrent. Or, elle doit se réformer en profondeur et former les enseignants. Quitter la seule pédagogie, la seule acquisition des connaissances pour endosser son rôle social. Les enfants le disent: «Si seulement les profs étaient plus disponibles, plus à l’écoute, nous prenaient plus au sérieux…» L’école doit devenir un joyau de la communauté. Il y a là une sorte de devoir civique difficile à mobiliser dans nos sociétés individualistes.

L’école doit-elle enseigner l’utilisation des réseaux sociaux?
Oui. Ça se fait déjà dans les bonnes écoles. Le psychologue français Serge Tisseron a par exemple mis en place un programme d’activation de l’empathie chez les enfants pour leur apprendre à tenir compte de l’autre. Mais qui osera dire qu’il faut moins de maths et plus de sensibilisation au relationnel?

Comment peut-elle lutter contre le harcèlement?
Il y a la médiation par les pairs (d’autres élèves formés à ce genre d’interventions). Je pense aussi à cette idée merveilleuse du banc des copains, un banc de la cour de récréation où les enfants esseulés ou n’allant pas bien trouveront toujours à qui parler. Des élèves formés, généralement plus âgés – souvent de dernière année primaire – pouvant interagir avec eux, les soutenir et régler leurs pépins. La Scandinavie connaît aussi les parrainages: un ou deux compagnons plus âgés encadrent l’élève et sont ses référents en cas de souci. Autant de choses qui ne coûtent pas cher. JnG

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