«Le bio se devrait d’être un domaine d’excellence»

| jeu, 08. juin. 2017

A Cournillens se déroule la Journée suisse des grandes cultures bio. Destinée aux agriculteurs, elle propose conférences et démonstrations pour mieux faire connaître le bio et mieux l’implanter dans le canton. Interview du spécialiste Raphaël Charles.

PAR YANN GUERCHANIK

Cournillens accueille aujourd’hui la Journée suisse des grandes cultures bio (www.grandes-cultures-bio.ch). Ingénieur agronome, Raphaël Charles (photo) est le responsable de l’antenne romande du FiBL, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique. Il donne son éclairage sur le marché du bio en Romandie et dans le canton de Fribourg.

Pourquoi cette Journée des grandes cultures bio?
L’objectif premier est de proposer de la formation continue aux paysans bio. Ensuite, cette journée permet à ceux qui ne connaissent pas le bio d’avoir un aperçu concret sur ses pratiques. Cette journée a lieu chaque année, en principe selon un tournus entre la Suisse alémanique et la Suisse romande. A Cournillens, nous attendons quelque 1500 personnes.

Peut-on tout cultiver en bio?
On peut faire beaucoup. Après, c’est une question de prix, de relation entre des rendements qui sont plus faibles et le revenu obtenu au final. Il y a des choses qu’on ne fait pas, mais qui seraient agronomiquement possibles. Comme la betterave à sucre, où typiquement il y aurait un marché, mais les prix n’ont pas été assez élevés jusqu’à présent. Ensuite, il y a des espèces qui sont difficiles à produire en bio parce que le cahier des charges est exigeant. Les cultures sous serre chauffée notamment. Il y a aussi des cultures avec lesquelles on rencontre beaucoup de problèmes de maladie ou de ravageur: c’est une autre limite du bio. C’est le cas en arboriculture pour l’abricot ou la cerise. On est là face à des rendements très aléatoires.

Y aurait-il un frémissement auprès des agriculteurs? On parle de 100 reconversions au bio en Suisse romande en 2016: qu’est-ce qui pousse ces agriculteurs à passer au bio?
Ça bouge. Même fortement. C’est peut-être une manière de rattraper un certain retard par rapport à la Suisse alémanique. Ensuite, nous connaissons un contexte favorable aujourd’hui: la Suisse romande se retrouve avec des plus grosses exploitations et ces dernières comprennent que travailler en bio n’est pas réservé aux petits domaines. Autre élément: les paysans en ont assez de tomber sur des problèmes liés aux pesticides en lisant le journal. Ils ressentent une sorte de trahison de la part de l’industrie chimique et ne savent souvent plus vers quoi se tourner. Alors ils finissent par abandonner les produits de traitement et passent au bio. Par ailleurs, il y a la raison économique: la pression sur le conventionnel est très grande, tandis que, pour l’instant, les prix sont plus élevés et stables sur le bio. Enfin, il y a la motivation personnelle: une perspective de se renouveler au travail, une nouvelle reconnaissance de la part des consommateurs.

Qu’en est-il du marché du bio dans le canton de Fribourg, alors que ce dernier apparaît plutôt comme un mauvais élève?
Le canton est assez diversifié au niveau des terres et terroirs. Le contexte est aussi favorable dans le sens où la polyculture-élevage, bien présente, constitue un atout pour passer plus facilement au bio. La polyculture-élevage est un système de production agricole combinant une ou plusieurs cultures et au moins un élevage. Cela est généralement favorable à la fertilité du sol et à la cohérence des productions. Idéalement, les animaux sont alimentés par les cultures et prairies, lesquelles sont fertilisées en retour par leurs déjections. Ensuite, il y a dans ce canton un attachement à une certaine proximité entre consommateur et producteur qui fonctionne bien avec le bio. Je dirais que tout cela représente un contexte favorable. Mais il est vrai que, mis à part quelques emblèmes comme le domaine de Sorens ou des agriculteurs pionniers, on n’entend pas beaucoup parler du canton du point de vue du bio.

Les cantons et les instituts de formation agricole en font-ils assez pour la promotion du bio?
C’est très variable. Le canton du Jura a une réelle politique en faveur du bio. Le canton de Vaud également. Tous deux tirent en avant, tandis que les autres sont plutôt dans la réaction. On sent qu’il y a une certaine ouverture tout de même, qui ne demande qu’à se concrétiser.

La différence des coûts de production entre le bio et le conventionnel est-elle chiffrable?
Oui, mais cela est contesté. Cela va dépendre, par exemple, de la manière dont on considère le temps de travail. Si le revenu des ventes semble plus élevé, la façon de travailler diffère, le contexte de travail n’est pas le même. On constate néanmoins que les producteurs qui passent au bio ne reviennent pas en arrière. Nous n’observons pas d’effet yo-yo. Cela veut dire que c’est viable.

Peut-on imaginer que tous les agriculteurs du pays passent un jour au bio? Comme une marque de fabrique suisse…
Agronomiquement, cela est faisable. Mais, cela suppose de nombreux enjeux. Notamment le fait que d’autres productions risquent d’être déléguées à d’autres régions du globe. Il faudrait alors nous demander si cela est cohérent. En Suisse, nous savons bien confier à d’autres le soin de produire ce qui pollue. Ainsi, nous n’avons plus d’industrie lourde depuis longtemps. Nous importons massivement et nous sommes de gros consommateurs.
Cela dit, un avantage réside déjà dans le fait que le cahier des charges de Bio Suisse est le même pour l’étranger. Le label implique donc les mêmes exigences de production: à ce niveau, il y a donc une certaine cohérence. Quoi qu’il en soit, il existe une chance à saisir. Le bio se devrait d’être un domaine d’excellence pour la Suisse. ■

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