«Ici, les gens ne se mêlent pas des affaires des autres»

| sam, 22. jui. 2017

Les Sciernes-d’Albeuve, village de la commune de Haut-Intyamon, sont nichés à 900 m. Un peu à l’écart de la vallée, leurs habitants veillent jalousement sur leur tranquillité et leur qualité de vie.

PAR FLORENCE LUY

«Quand j’étais enfant, au p’tit mag, il y avait des souvenirs des Sciernes. C’est dire qu’il y avait plus de touristes que maintenant.» Aujourd’hui, il n’y a plus de magasin, plus de boulangerie, plus de bistrot, plus de poste. Et pourtant, Les Scier-nes-d’Albeuve continuent de vivre. C’est même le village de Haut-Intyamon qui, proportionnellement, compte le plus grand nombre d’enfants. A l’instar de Maxime, Léo et Tom, dont les parents Corine et Vladimir Sigrist se disent pleinement heureux de résider ici. «Il y a le paysage incroyable, le microclimat, la tranquillité», relève Corine qui, à 37 ans, vit dans la maison qui l’a vue grandir, juste à l’entrée du village.
«A mon époque, nous étions sept à aller à l’école. Maintenant, le bus scolaire prend 22 enfants.» En effet, il suffit d’ouvrir les yeux et de respirer à pleins poumons pour comprendre que la qualité de vie, ici, ne peut que séduire les familles. Malgré l’absence de tout commerce? «Il faut clairement une voiture», admettent quasiment en chœur plusieurs résidents croisés durant la journée. Même si le MOB rend bien service et ce depuis fort longtemps. Il fut d’ailleurs une période où le numéro postal des Sciernes était 1831, car le courrier arrivait de Montreux par le train.
Justement, en matière de poste, Albert Pythoud en connaît un bout, puisqu’il fut le buraliste du village durant une trentaine d’années. «L’office a fermé en 1995. Il a été remplacé par des containers, qui ont disparu en 1998.»
L’homme de 85 ans vit toujours dans la maison qui abrita le bureau de poste. Il se souvient aussi «qu’avant, il y avait presque tout aux Sciernes». Notamment, une école primaire tenue par des sœurs et une chorale d’une vingtaine de membres. «Nous ne sommes plus que sept et nous ne chantons que quatre fois par année.» Ah! oui, car il y a la chapelle aussi… posée en plein milieu du village. Si celui-ci possède son cimetière privé et ses fonts baptismaux, la messe n’est plus guère dite «que le samedi quand il y a un cinquième dimanche au mois» et le jeudi matin. Là, elle peut même se dérouler chez un particulier pour ne pas avoir à chauffer l’église.


Un bateau échoué
En arrière-plan de la charmante chapelle, difficile de ne pas voir un énorme édifice, le Rosaire. Cet ancien préventorium domine la vallée de l’Intyamon tel un bateau échoué sur la montagne. Construit dans les années 1930, il pouvait accueillir une centaine de femmes atteintes de tuberculose. Puis, en 1993, le site fut racheté par le Centre international du Haut-Lac et il devint une école privée. Il fut fermé en 2014, car il ne répondait plus aux normes de sécurité en vigueur. Il est toujours à vendre.
«Des gens du village, soutenus par des assurances, souhaitaient en faire une maison de convalescence, mais le prix demandé était trop élevé»,
raconte l’artiste peintre Dominique Cosandey, qui réside depuis trente ans aux Sciernes.
«Pourquoi ne pas en avoir fait un home, au lieu de celui qui a été construit à Villars-sous-Mont?» s’interroge l’agriculteur Jean-Marie Comba.
Reste que personne ne semble savoir ce qu’il advient du Rosaire. Inoccupé, défraîchi (mais protégé), sa porte reste parfois ouverte. Certains assurent même y voir de la lumière la nuit… De quoi se faire un film! Et pour cause, puisque la bâtisse a servi au tournage, entre l’hiver et le printemps 2015, d’Anomalia, une série télévisée fantastique.


L’année des réfugiés
Etonnamment, Les Sciernes ont eu deux préventoriums. Ce qui peut susciter la confusion chez le visiteur. Outre le Rosaire, un autre complexe hébergea des enfants avec des problèmes respiratoires.
Le site fut loué à la Croix-Rouge en 1984. «C’était l’année des réfugiés», sourit Lucienne Comba, qui quitta La Roche pour rejoindre son époux Jean-Marie cette même année. «Cela a provoqué pas mal de polémiques. Il y avait plus de réfugiés que d’habitants», explique-t-elle. «Toujours est-il que ces personnes s’embêtaient dans un village comme Les Sciernes.» Le centre est devenu une colonie de vacances avant d’être racheté par des privés fortunés.
Le village a attiré nombre d’étrangers ces dernières années. Des Allemands, des Belges y ont construit. A tel point que, par conséquent, Haut-Intyamon a figuré un temps sur la liste rouge des communes comprenant plus de 20% de résidences secondaires.
«On ne peut que regretter ce grand nombre de lits froids», déclare Lucienne Comba, 52 ans. Quant aux nouveaux résidents, qui se sont majoritairement installés sur les hauts des Sciernes, ils ne sont pas forcément plus intégrés que les vacanciers. «On ne les connaît pas, constate Albert Pythoud. Il a fallu les fenêtres de l’avent pour en rencontrer quelques-uns.»
D’où la crainte de certains de voir le lieu devenir un village-dortoir. «C’est déjà clairement le cas», ose Dominique Cosan-dey. Il n’y a là en effet aucune entreprise, aucun service. La bourgade de quelque 120 âmes ne compte plus que deux agriculteurs qui y ont leur exploitation. Jean-Marie Comba est l’un d’eux. Agé de 60 ans, il a toujours vécu ici, dans la même maison. L’été, il monte à l’alpage du Bas de la Joux, sous le col de Jaman. Il livre le lait de ses vaches et de ses chèvres à la fromagerie de Jaman, donc en terres vaudoises.
Pendant ce temps, son épouse s’occupe de l’exploitation au village et travaille également à l’HFR Riaz. «Les gens ne se voient plus, ils travaillent à Bulle, à Château-d’Œx ou ailleurs, note Jean-Marie Comba. Et puis, quand ils rentrent, il n’y a plus de bistrot comme point de rencontre.»
Fermée La Pinte de Lys, transformée en B & B, fermée l’Auberge des Préalpes (à vendre), fermé depuis longtemps le fameux restaurant Chez tante Marthe, devenu un home privé tenu par des anthroposophes. «Maintenant, les gens ne se tiennent plus au bistrot comme avant», explique Corine Sigrist. Et les touristes? «Il y en a moins qu’à l’époque des préventoriums», répond Vladimir Sigrist, 43 ans.
Restent les randonneurs, qui, été comme hiver, partent sur les pentes de la Dent-de-Lys, du Folliu-Borna ou du Creux, qui se perdent dans les champs de narcisses au printemps. Ou encore les fondeurs qui profitent d’une piste éclairée. Mais cela ne suffit pas pour miser sur le tourisme.


Les ambiances d’hiver
Est-ce justement la raison pour laquelle ce coin de Gruyère séduit toujours Dominique Cosandey? «Les ambian-ces d’hiver me surprennent encore.» Mais celui qui a peint Les Sciernes à de nombreuses reprises – il a également signé une œuvre grand format sur le mur de l’école d’Albeuve – préfère désormais les espaces plus vastes, plus naturels tels qu’il en existe en Scandinavie. «En Suisse, on laisse disparaître les choses, tout devient trop organisé», lance cet amoureux de la tranquillité.
Pourtant, cette atmosphère paisible, on la ressent dès que l’on quitte la route cantonale pour monter aux Sciernes. Puis elle enveloppe le visiteur qui prend le temps de flâner à travers le village qui s’étire longuement. Ce calme semble coller parfaitement à l’état d’esprit des habitants. «Nous n’avons pas cette mentalité de village, les gens sont plutôt individualistes», analyse Corine Sigrist.
«Nous n’empiétons pas sur les autres. Ici, on ne se mêle pas des affaires des autres», renchérit Albert Pythoud. Les propos étant ceux d’un ancien postier, le ton est donné. ■

 

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La Pèta Boloche pour faire la fête

La Pèta Boloche se déroule invariablement le week-end de la rentrée scolaire. Cette année, ce sera donc le 26 août. Cette course de «run and bike» en est à sa sixième édition. Si le concept est répandu en Belgique et en France, il est plutôt inédit en Suisse. Il s’agit pour des équipes de deux coureurs, l’un à pied et l’autre à vélo, d’effectuer le plus de tours de village possible en quarante-cinq minutes. Sachant que chaque tour fait deux kilomètres avec un bon dénivelé, la performance est assez physique. En outre, les duos doivent passer la ligne d’arrivée ensemble.
Soutenue par la Société d’intérêts villageois, la Pèta Boloche se décline aussi en version enfantine. Son but est surtout de réunir les gens du village autour d’une activité et de faire la fête.
Cette manifestation a remplacé la descente à Braillard qui se déroulait à skis au mois de février. Le manque de neige et les nouvelles constructions ont eu raison de la compétition.
La Pèta Boloche tire son nom du patois, la boloche étant une petite prune noire acidulée et la pèta boloche une sarbacane avec laquelle on tire ces fruits. «Pèta boloche» est le sobriquet attribué aux habitants des Sciernes. FL

 

 

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