Les chantiers régionaux investis par la concurrence étrangère

| sam, 08. jui. 2017

De plus en plus de sociétés et de matériaux étrangers se retrouvent sur les chantiers fribourgeois. Les entreprises régionales se disent en péril en raison des prix cassés. Trois immeubles bullois, mis à l’enquête par Sagérime SA, sont concernés par ce phénomène.

PAR VALENTIN CASTELLA

Apercevoir sur un chantier des ouvriers ou du matériel étrangers n’est plus une anomalie. En Suisse et dans le canton, plusieurs entreprises misent sur des sociétés étrangères afin de proposer des offres plus compétitives. Un secteur est particulièrement touché: le verre et les fenêtres. Une tendance qui s’est amplifiée ces dernières années. «Certainement qu’elle existait déjà auparavant, mais nous y prêtions moins d’importance, car nous avions suffisamment de travail, se souvient Philippe Gremaud, directeur de Gremaud Vitrerie, à Riaz. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. En cinq ans, nous avons perdu 30% de nos activités.»


«Pas les mêmes règles»
La raison principale de ce phénomène est évidemment financière. «Dans les pays de l’Est, le salaire est divisé par quatre par rapport à la Suisse», détaille Alain Ruffieux, l’un des directeurs de Noël Ruffieux & Fils. Le fabricant de fenêtres d’Epagny continue: «Pour produire, nous avons besoin de grandes surfaces et le prix des terrains est plus élevé chez nous. Sans oublier que nos infrastructures sont criblées de normes. Tout cela alourdit le prix. Nous ne travaillons pas selon les mêmes règles du jeu que nos concurrents.»
François Robadey, directeur du site bullois de Glas Trösch, évoque le transport: «L’homologation de nos camions nous coûte cher. Et, ensuite, on voit débarquer des poids lourds dans des états pas croyables.»
Des règles exigées par les autorités, qui profitent également de cette tendance. Dans la région, le verre de parement qui a servi à l’agrandissement du Collège du Sud de Bulle provient, par exemple, d’une société américaine possédant une succursale en Belgique (Glas Trösch a fourni le verre isolant). «Nous avons eu des discussions avec des producteurs locaux, qui n’avaient pas les moyens de répondre à nos attentes», informe le bureau d’architecture lausannois chargé de ce dossier.
La pratique est devenue courante, au grand dam de certaines entreprises: «Nous avons dû effectuer des restructurations pour continuer, explique François Robadey. Nous vivons des années très difficiles.»
Le verre et les fenêtres PVC ne sont pas les seuls à être touchés. Cette tendance concerne l’ensemble du secteur du bâtiment: «Une entreprise de la région a, par exemple, fabriqué des charpentes métalliques en Espagne, alors qu’elle aurait pu le faire dans son usine, commente Jean-François Suchet, directeur de Morand constructions métalliques à Enney. Face à cette concurrence, on ne peut pas faire grand-chose, à part sensibiliser la population.»


«Droit dans le mur»
Des briques alsaciennes, du gravier français, du bois autrichien commandé par une menuiserie gruérienne spécialisée dans le PVC, de la charpente métallique espagnole… La concurrence débarque de partout. «Si cela continue, la Suisse va droit dans le mur», s’exclame Jean-Daniel Wicht, directeur de la Fédération fribourgeoise des entrepreneurs. Des sociétés vont fermer. On ne peut pas exiger des salaires suisses et acheter ses prestations à l’étranger aux prix cassés européens. A vouloir gagner sur tous les tableaux, les maîtres d’ouvrage, comme les privés, vont mettre à mal notre économie.»


«Il faut y croire»
Des perspectives que partagent beaucoup de protagonistes du milieu: «On peut avoir peur pour notre avenir, reprend Alain Ruffieux. Mais il faut y croire, pour nos jeunes. Car une entreprise qui ferme, c’est du savoir-faire qui s’en va.» François Robadey poursuit: «Un jour, on ne fabriquera plus de fenêtres en Suisse. Tout le monde se dit sensible au sujet. Mais, dès que le porte-monnaie entre en ligne de compte, on change rapidement d’avis. Il faut que les politiciens agissent.»


Des critères de proximité
Jean-Daniel Wicht attend également une réaction: «Les autorités doivent avoir le courage d’introduire des critères de proximité. Franchement, est-ce acceptable qu’un gravier français soit toléré sur un chantier public, alors que c’est une matière première locale?» ■

 

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Un chantier crée la polémique


A Bulle, un chantier fait beaucoup parler de lui. Il s’agit de la construction de trois immeubles (108 appartements au total) à la rue Pierre-Ardieu, près de la scierie Despond. Des fenêtres PVC polonaises y ont été installées. Une confirmation que la présence étrangère est une réalité bien ancrée dans la région. Ce cas est toutefois particulier: Jean-François Rime y est impliqué. Le permis de construire est en effet détenu par l’entreprise Sagérime, dont le conseiller national UDC est président du conseil d’administration. Cette société fait partie des trois propriétaires des immeubles. Une situation «à pleurer» pour certains, de par la position du Bullois, président du conseil d’administration d’une scierie et président de l’Union suisse des arts et métiers, une organisation qui dit «s’engager sans répit pour l’aménagement d’un environnement économique et politique favorable au développement des PME».
Contacté, Jean-François Rime a d’abord botté en touche: «Ce n’est pas moi qui m’occupe de ça.» Puis, le président du conseil d’administration de Despond SA a rappelé: «J’ai vendu le terrain afin de financer des investissements pour la scierie. Je tiens à dire que c’est une entreprise suisse qui a posé ces fenêtres.» «Il s’agit d’une société biennoise qui se fournit en Pologne», confirme l’atelier d’architecture responsable du projet. Jean-François Rime ajoute qu’une demande d’offre a été formulée à une société régionale, qui «n’a pas répondu».
L’un des responsables de l’atelier d’architecture Dominique Rosset, chargé du dossier, argumente que «les personnes qui sont choquées de voir des sociétés étrangères travailler sur les chantiers devraient en visiter davantage. Tous les poseurs essaient d’avoir les meilleurs prix.»


Une pratique légale
Si cette situation peut interpeller, elle est toutefois légale, comme l’explique Jean-Daniel Wicht, directeur de la Fédération fribourgeoise des entrepreneurs: «C’est l’architecte qui effectue la soumission et il peut, au nom de la liberté de commerce et du fait que cette construction est privée, répondre à une offre provenant de l’étranger. Par contre, un privé a la possibilité d’exiger que tout le matériel provienne, dans la mesure du possible, de la région.»
C’est sur ce dernier point que ce chantier crée la polémique. «J’en ai parlé à M. Rime pour lui exprimer ma colère», peste François Robadey, directeur du site bullois de Glas Trösch. «Il a pris la décision de ne pas travailler avec des entreprises de la région, constate Philippe Gremaud, de Gremaud Vitrerie. C’est terrible qu’une personne qui vend du bois en Suisse achète des fenêtres PVC provenant de l’étranger.» VAC

Commentaires

Quand on parlaient des plombiers polonais, quand on a ouvert les frontières a la liberté de commerce, on nous riait au nez. Ben maintenant, on ne rigole plus. C'est fou comme nos politiques n'arrivent pas à prévoir sur du long terme mais sur le profit immédiat.. .. Effet boomerang que ça s'appelle.

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