Une carrière, c’est forcer le destin à coups de poing

| mar, 04. jui. 2017

Bruno Tavares a disputé samedi son douzième combat professionnel. Sa défaite face à un coriace croate est la première depuis 2010. Depuis deux ans, le boxeur de Villars-sur-Glâne est entraîné par le Glânois Michael Celeschi. Reportage au sein du staff de l’athlète.

PAR KARINE ALLEMANN

Dans l’ambiance feutrée de la classieuse salle du Kultur Casino, à Berne, chaque coup de poing claque avec force. Sur le ring, le Croate Luka Pupek est en sang. Dès le premier round de ce premier combat, ce fut l’effusion pour le Croate. A chaque retour au coin, son entraîneur le nettoie, tente de contenir l’écoulement du nez, puis le petit gabarit repart au combat. Le sang se répand sur son adversaire, sur le ring et sur les pages de notes des journalistes calés sous les cordes. Luka Pupek finira par s’imposer face au Géorgien Robizoni Omsarashvili, dont l’épaule a lâché. Applaudissements du public – mi-guindé, mi-connaisseur – et deux autres boxeurs entrent dans l’arène.
A quelques pas de là, dans la loge qui lui a été désignée, Bruno Tavares poursuit son échauffement. Son combat est prévu à 22 h, il ne débutera qu’à 23 h 30. Il est la tête d’affiche du meeting. Le professionnel de 26 ans sort d’un exploit au Danemark et tout le monde attend beaucoup de lui face au Croate Mirzet Bajrektarevic. Le sociétaire du club de Villars-sur-Glâne ne le sait pas encore, mais il sera donné perdant par k.-o. au troisième round. Il n’avait plus été battu depuis 2010.
Les yeux volontiers rieurs et le sourire un peu timide, Bruno Tavares a découvert cette magnifique salle de style opéra italien à son arrivée, vers 18 h 30. Contre l’un des murs, trois énormes affiches présentent le meeting. La sienne est au milieu, le boxeur en jette sur la photo. «Ça me stresse un peu quand même…», sourit-il.
Les affaires déposées dans la loge, le Fribourgeois et son staff – Roberto Quaranta, fondateur et manager du club de Villars-sur-Glâne depuis 1984, le Glânois Michael Celeschi, qui l’entraîne depuis deux ans, et un autre entraîneur du club, Christophe Chatagny – se baladent en ville de Berne pour passer le temps. «Il faut qu’on trouve des chewing-gums, et peut-être quelque chose à manger pour Bruno?» se demande Christophe Chatagny.
Les trois plus jeunes marchent jusqu’à la gare, tandis qu’on prend place sur une terrasse avec Roberto Quaranta, figure de la boxe fribourgeoise. L’occasion d’évoquer son poulain. «Bruno est un instinctif, il a ça dans les gênes. Il est très vif et, maintenant, il esquive bien. C’est juste dommage qu’il ait arrêté sa carrière après six victoires chez les pros. Un manager lui a promis la lune et… Au final, Bruno a arrêté trois ans. Mais, depuis 2016, il revient fort. Il a mûri dans sa tête. En tout cas, c’est un plaisir de l’avoir. J’ai eu beaucoup de bons boxeurs amateurs. Mais Bruno est le plus talentueux, il ne m’a jamais déçu. Je suis heureux qu’il nous permette de vivre ça, parce que je pense que, dans deux ans, on pourra combattre pour un titre européen.»
Notre sujet de conversation revient avec ses emplettes: une bouteille d’eau et des fruits secs. Il a l’air toujours aussi détendu, sympa et prévenant. Retour au Kultur Casino. Son sourire et les petites vannes échangées avec Michael Celeschi dénotent un grand calme, alors que la préparation au combat commence réellement.
Une bonne vingtaine de minutes sont nécessaires – par main! – au Glânois pour effectuer le bandage. Des mètres de tape, des gaz et un rituel propre aux boxeurs depuis la nuit des temps. Petite variante 2017: Bruno filme la scène pour la diffuser en direct sur son compte Instagram. «Ça ne vous dérange pas?» s’inquiète-t-il auprès du photographe. Une fois les mains protégées, le coach de son futur adversaire vient contrôler les bandages, qui seront encore signés par un officiel.
Roberto Quaranta masse ensuite l’entier du corps de son boxeur pour le chauffer, la pièce sent très fort le Dul-X. «On reste à distance les trois premiers rounds. C’est là qu’il faudra faire attention. Puis on pourra y aller à notre façon», rappelle le coach.
Les organisateurs ont prévu une prestation de la contorsionniste Nina Burri durant la soirée. «Elle est mondialement connue, elle a fait America’s got talent», présente Bruno. Sa loge est juste à côté, le boxeur ne résistera par à la tentation d’aller faire un selfie avec la sublime Bernoise. L’échauffement se poursuit avec de la corde à sauter dans une loge soudain exiguë. Dans la pièce d’à côté, un autre boxeur s’échauffe. Il accompagne chaque coup par un cri. «C’est pour moi ça?» s’interroge Bruno. Il prend l’air faussement inquiet, histoire de titiller son coach. «Non, non, ce n’est pas ton adversaire», répond Celeschi. Les coups et les cris se poursuivent.
Christophe Chatagny contrôle le matériel à prendre au bord du ring: bandages, flacons d’adrénaline pour stopper les saignements en cas de coupure et une plaque en métal pour appuyer sur une éventuelle plaie et empêcher qu’elle ne gonfle. «Avant le combat et à chaque pause, je lui mets de la vaseline sur les arcades, les pommettes et le menton, pour éviter les coupures.»
Sur le ring, un autre espoir suisse de la boxe, Davide Faraci, vient de mettre k.-o. le Gambien établi en Islande, Mustapha Jobi. Un méchant k.-o. L’homme est inanimé, plusieurs personnes sont autour de lui pour lui faire reprendre ses esprits et l’aider à se relever. Visiblement sonné, il quittera les lieux plus tard dans la soirée, debout et changé, mais en ambulance, sans doute pour quelques examens.
L’ambiance a changé dans la loge, où personne, bien sûr, n’évoque la lourde défaite de l’Islandais. Le préparateur mental du Fribourgeois a passé quelques minutes seul avec lui pour des exercices de respiration et de visualisation. C’est la dernière ligne droite. Bruno Tavares est entièrement équipé, assis, il s’isole du monde extérieur d’un linge sur la tête. Les chuchotements d’il y a encore quelques minutes laissent place au silence. L’intensité du moment est à couper au couteau.
C’est l’entrée sur le ring. Plusieurs représentants du club sont là. Dès les premiers échanges, les connaisseurs trouvent Bruno nerveux. Lui qui est si calme s’énerve d’un petit coup reçu. Il est perturbé. Mais le deuxième round est pour lui. A la troisième reprise, un direct au menton le fait tomber vers l’arrière. Bruno était légèrement sur les talons, sa tête heurte violemment le sol. Le boxeur peine à se relever, l’arbitre arrête le combat. Défaite par k.-o.
De retour dans la loge, Bruno Tavares est sonné. Pas par le coup reçu, mais par la défaite. Les entraîneurs prennent ce revers pour eux (lire ci-dessous).
Le Fribourgeois n’a pas gagné grand-chose pour ce meeting. Même s’il boxe en professionnel, il ne peut pas vivre de son sport. Une formation de maçon lui permet de gagner quelques sous, de temps en temps. Comme beaucoup d’athlètes en marge d’une réelle célébrité et de finances confortables, le boxeur poursuivra son entraînement presque dans l’anonymat, dans la salle souterraine de Villars-sur-Glâne. Chaque coup donné dans le sac suspendu au plafond le rapprochera, peut-être, d’un sacre continental. Il suffira d’une victoire, d’un geste décisif au bon moment, pour que sa carrière déjà prometteuse entre dans une autre dimension. Ce ne fut pas le cas samedi. Mais d’autres combats suivront, comme autant de chances de forcer le destin. A coups de poing. ■

 

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«D’habitude, je boxe davantage avec la tête»

Bruno Tavares n’avait donc plus perdu depuis 2010. Son palmarès impressionne: 30 combats amateurs (dont 25 victoires) et 12 combats pros (10 victoires, un nul et maintenant une défaite). Samedi à Berne, les organisateurs avaient réuni quasiment ce qui se fait de mieux dans la boxe suisse. Si certains combats ont marqué les esprits par le sang ou la violence d’un k.-o., presque tous les boxeurs – une ouate dans le nez pour Luka Pupek – se sont retrouvés en fin de soirée dans un bar chic situé à quelques pas du Kultur Casino.
Du côté du staff de Bruno Tavares, toujours dans la loge, on débriefait la défaite. «On a fait une connerie, maugrée Roberto Quaranta. Il s’est fait sonner une première fois et on l’a quand même incité à aller vers son adversaire. On aurait dû rester à distance les trois ou quatre premiers rounds, comme prévu.» Même analyse pour Michael Celeschi: «On s’est emballés. Bruno dominait, du coup on a changé de tactique. Dommage, parce que s’il passait les premiers rounds, on l’aurait eu au physique.»
Comment le boxeur explique-t-il ce résultat et sa nervosité inhabituelle? «J’ai été tendu toute la semaine, je ne sais pas pourquoi. Je sortais d’une grosse victoire au Danemark, j’ai été bombardé de messages sur les réseaux sociaux. Peut-être que je me suis un peu emballé, moi aussi.»
Quelle leçon doit-il retenir? «Qu’il ne faut pas se lancer bêtement, même si l’adversaire nous semble en difficulté. Je voulais réaliser une alignée de combats sans défaite, et voilà. Normalement, je boxe davantage avec la tête…»
L’athlète est laissé seul quelques instants. Le débriefing se poursuit dans le couloir. «Bruno était crispé. Boxer à l’étranger, c’est plus facile. Là, il avait beaucoup de connaissances dans la salle», remarque Michael Celeschi. Venu prendre des nouvelles du Fribourgeois, l’organisateur du meeting n’est pas tout à fait d’accord. «Si Bruno veut aller plus loin, il faudra qu’il s’y habitue, car il y aura toujours plus de monde dans les salles. Sportivement, cette défaite n’est vraiment pas grave. Il faut qu’il apprenne de ça.» Dans le sport, on dit qu’une défaite n’en est pas vraiment une si elle permet d’apprendre. L’avenir dira si, samedi, Bruno Tavares a juste perdu un combat, ou s’il a aussi gagné en expérience. KA

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