«Oh! que oui, c’est un beau village. Avec tout ce qu’il faut»

| jeu, 20. jui. 2017

Grandvillard, sa grotte et sa cascade, ses bâtisses historiques. Mais surtout ses habitants, qu’on croise facilement et qui vous racontent leur coin de pays. Des gens heureux d’habiter ce village qui ne manque de rien. Pas de souvenirs en tout cas.

PAR YANN GUERCHANIK

A toute allure sur la route cantonale qui longe la rive gauche de la Sarine, d’aucuns manquent de remarquer ce village blotti au pied des montagnes. On ne traverse pas Grandvillard. Il faut s’y rendre expressément. Par une route secondaire, une route qui préserve peut-être davantage qu’elle ne relie. C’est qu’à l’orée des bois définis par les premiers contreforts du Vanil-Noir, se cache un trésor: un village encore entier. Et des habitants heureux d’y vivre.
Ici, pas de maisons où les gens ne sont jamais. Ni de chemins qui ne vont nulle part. L’extraordinaire complexité du réseau de rues et de ruelles de Grandvillard mène de découverte en découverte. De maisons de style gothique tardif en fermes du XVIIIe siècle. Un patrimoine bâti exceptionnellement conservé, qui fait toujours sentir son pouvoir sur les nouveaux quartiers résidentiels.
Devant les façades, on voit de beaux emmarchements en pierre, des murets fleuris, des plantes en pots alignés, des bancs: les Granvillardins accrochent la vie au seuil de leur maison. Et lorsqu’on s’y arrête, ils vous saluent le plus naturellement du monde.
Lundi dernier, sous un ciel propice aux rencontres, on a garé la voiture à l’entrée du village, devant la place de jeux du Saudillet. A peine sorti, Lili nous faisait des signes depuis son balcon. Le café n’a pas tardé à fumer et la fringante dame de 82 ans s’est mise à nous éclairer: «Ici, je suis terriblement bien! Grandvillard, c’est quand même le plus beau village de la Gruyère.»
Et lorsque Lidwine Jaquet nous confia qu’elle avait repris jadis la maison d’un douanier, nous n’étions pas étonnés: le destin a voulu que la première maison du village soit occupée par une grand-mère qui accueille le visiteur à bras ouverts.


Les filles les plus jolies
Le temps d’un café et trois biscuits, nous savions désormais que Grandvillard «est bien» avec Albeuve. «Car beaucoup de garçons d’Albeuve ont épousé des filles de Grandvillard» et que tout ça, «c’est venu surtout du foot». L’évidence pour Lili, puisque même une chanson le dit: «Où allons-nous aux filles?/A Grandvillard, c’est là qu’elles sont les plus jolies», nous fredonna-t-elle.
De galanterie, il en fut aussi question avec la visite surprise de Paul Castella, de Neirivue. Paul des grandes crèches, venu demander à Lili ce qu’elle faisait pour le 1er Août. «Parce qu’on fait la soupe de chalet chez moi et qu’après on jouera aux cartes.»
Et puis, décidément, personne ne laisse Lili s’ennuyer: après Paul, ce fut un téléphone de son fils Léonard, établi à l’autre bout du village. Un coup de fil intercepté qui nous valut une invitation à dîner chez lui en moins de temps qu’il faut pour le demander.
En attendant, on est allés parcourir le centre du village. Nous n’y étions pas depuis une heure que déjà nous avions dit bonjour 18 fois et que, 18 fois, on nous salua en retour: 100% de réussite. «Pas comme à Bulle, nous confia une passante. Là-bas, quand vous dites bonjour, il y en a qui vous prennent pour une folle.» Pour tout dire, le chef-lieu gruérien ne fait guère figure d’exemple, par ici.
«Oh! que oui, Grandvillard est un beau village, nous certifia une dame devant l’église. Et bien habité avec ça! Faudrait arrêter de construire maintenant. Eviter de faire des verrues comme à Bulle. Mon Dieu! Bulle… ce que c’est devenu.»


Le retour des jeunes
Un peu plus loin, Yvette Baechler nous adressa un dix-neuvième bonjour des plus enthousiastes, parce que «dire bonjour, c’est le début de la convivialité». Puis, elle nous fit part d’une remarque qu’on entendra plus d’une fois au cours de la journée: «C’est étonnant à quel point les jeunes reviennent construire par ici.»
Alors on s’est mis à la recherche d’un jeune constructeur. Au détour d’une ferme gruérienne de 1636, on a croisé Logan et Lucas, 11 ans chacun, pas tout à fait l’âge recherché. On a quand même demandé à Logan s’il était bien à Grandvillard: «Ben oui, ça fait onze ans que je suis là, j’ai jamais déménagé.» Même que ça lui était bien égal de ne pas partir cet été. Entre le terrain de foot, les jeux au Saudillet et les animaux à voir dans la montagne, «y’a de quoi faire».
Du côté des Cressets – qui sont à Grandvillard ce que le Pays imaginaire est à Peter Pan – on a fini par trouver Lionel Scheurer sur sa terrasse. Contrairement à son frère qui a construit juste à côté, lui a racheté une maison. Il a 40 ans aujourd’hui: «J’ai longtemps loué un appartement au village. Puis, j’ai cherché à posséder quelque chose ailleurs. Mais financièrement, y’a pas photo: autant une maison à la campagne qu’un 3,5 pièces à Bulle.»
En haut du village, on rencontrera encore Fabrice Caille, 30 ans. Avec sa compagne, il vient de faire l’acquisition d’une ancienne demeure dont il rénove complètement l’intérieur. Le jeune menuisier-charpentier retape presque tout de ses propres mains. Il aime «ce qui a du cachet», les poutres taillées à la hache, les vieux murs en pierre. Et «les villages vivants où les gens ont le désir de conserver leur patrimoine».


Le bon temps
Avec sa laiterie, sa boucherie, sa boulangerie, ses deux cafés-restaurants, ses garages, sa scierie, sa pharmacienne qui livre à domicile et d’autres commerces encore, Grandvillard est un village entier. Comme partout ailleurs, on compte les jours du bureau de poste, mais pas ceux du fitness local, une «anomalie» dans un village, comme nous l’explique le proprio.
Nous étions donc chez lui pour dîner. Nous, sur une chaise de jardin. Lui, sur une chaise roulante. Dans ce pays de montagnes, Léonard Jaquet est un sommet de tolérance. Un type extra comme on en rencontre dans les chansons de Renaud. Léo, il dit: «Tu peux me donner un passeport camerounais ou argentin, mais tu ne m’enlèves pas mon bled.» Il parle par salves et s’interrompt souvent en mentionnant le nom d’un ancien qui «te raconterait ça mieux».
Léo, il place haut les figures du village sans se rendre compte qu’il s’est hissé dans la même ligue. Quand il plonge dans son enfance, il a du mal à refaire surface. «On était tellement libres, tellement heureux.» Cinquante-sept ans, ce n’est pas bien vieux. Mais assez pour parler du bon temps sans être sûr qu’il reviendra.


La guerre des coins
Dans ce temps-là, Grandvillard se divisait en trois: ceux du coin d’en haut, ceux du coin du milieu et ceux du coin d’en bas. A l’école, les équipes se formaient d’après cette répartition. Et le week-end, les mômes d’un coin allaient casser les cabanes des mômes d’un autre coin. La guerre des boutons même à la Fête-Dieu. Car il s’agissait alors de présenter le plus beau reposoir… ou de saboter le mieux celui des autres coins.
Léonard, il pense qu’internet retient trop les gens chez eux. Mais il est le premier à avouer qu’il joue à présent aux cartes sur un écran. Plus tard, Jean-Pierre Amey nous dira la même chose: «Les gens soupent avec des tablettes! Qu’est-ce que vous voulez faire? C’est devenu chacun pour soi. On a le trop et merde aux autres!»
Electricien à la retraite, mais toujours affairé, Jean-Pierre nous a aussi montré son plan du village «aux environs de 1750». Avec ses points cardinaux particuliers: la bise pour désigner le nord, le vent pour le sud, l’Occident pour l’ouest et l’Orient pour l’est.
Enfin, comment finir mieux la journée que sous le pommier d’un jardin, en compagnie de quatre octogénaires bien décidées à profiter du temps présent, d’autant plus qu’il est ensoleillé. On interrompit si bien leur partie de cartes qu’elles nous invitèrent à nous asseoir sur un Rollator.
S’ensuivit une délicieuse conversation avec Odette Musy, Yvonne Borcard, Jeannine Raboud et Marie-Ange Raboud. Elles nous racontèrent le Grandvillard qu’on ne trouve pas dans les livres. Et quand on fit remarquer à Marie-Ange qu’elle possédait un fort joli prénom, elle nous répondit aussi sec: «Pas joli, mais beau! Et bien porté avec ça.» Avant de lancer dans un éclat de rire: Gaba tè, nyon tè gabè (vante-toi, personne ne te vante).
Est-ce pour la même raison qu’on nous fit entendre depuis le début de la journée que Grandvillard était le plus beau village de la Gruyère? Sûrement pas. ■

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