Une place à part 80 ans durant

| jeu, 30. nov. 2017

Créé en 1937 par six jeunes de la Basse, le HC Fribourg-Gottéron fête demain jour pour jour ses huitante ans d’existence. De tout temps, le club a occupé une place à part et jouit d’une ferveur populaire unique dans tout le canton.

PAR QUENTIN DOUSSE

Pouvaient-ils se l’imaginer? S’ils ne sont plus là pour en parler, les six membres fondateurs du HC Gottéron – Eugène Jaeger, Albert et Joseph Jelf, Jean Mülhauser, Walter Schieferdecker et Alphonse Zahno – seraient sans doute ébahis de voir le rayonnement du club qu’ils ont créé ce 1er décembre 1937 depuis «leur» quartier de l’Auge. Ces jeunes de la Basse pensaient encore moins lancer une institution qui traverseraient les âges avec cet indéfectible soutien populaire. Si «l’esprit des copains» s’est estompé avec le déménagement à Saint-Léonard, «l’esprit Gottéron» a perduré et a sans doute permis ce 80e anniversaire fêté demain à l’occasion du match face à Kloten.
Après huit décennies de péripéties, de glorieuses et de défaites mortifiantes, impossible de rendre hommage à tous ces gens et ces petites mains qui ont bâti l’histoire. Il est dès lors intéressant de se pencher sur le fil rouge: de tout temps, en dépit des hauts et des bas au totomat, le HC Fribourg-Gottéron a joui d’une place à part dans le landerneau fribourgeois, occupé un rôle prépondérant dans sa société en même temps qu’il a façonné l’image du canton au-delà de ses frontières. La Gruyère a rencontré quatre acteurs représentant quatre époques différentes pour parler de l’impact de cette institution. L’occasion également d’ouvrir leur savoureux album souvenir et enfin de se projeter sur le Gottéron de demain avec Michel Volet, l’actuel capitaine du navire «dzo». ■

 

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Dano Waeber, joueur de la première de 1955 à 1973


Après Pierre Clément et Léon Jenny, il est le plus ancien témoin des débuts du club. Enfant de la vallée du Gottéron, Dano Waeber (77 ans) a presque tout fait dans l’organisation: à la patinoire des Augustins, il passait des nuits pour geler et donc préserver coûte que coûte cette glace d’abord naturelle, il aiguisait les patins des joueurs quand il n’entraînait pas les juniors du club. Mais surtout, Dano Waeber a évolué durant dix-huit saisons (de 1955 à 1973) au sein de la première équipe, alors en LNB. «Neuf ans au poste d’ailier droit, neuf ans en défense», précise le volubile ancien, capitaine durant ses dix derniers exercices.
L’homme a connu plus d’une aventure sous le maillot fribourgeois, dans un milieu amateur au confort tout relatif. Jamais pourtant Dano Waeber ne s’en est plaint. «Chez nous, seul l’entraîneur était payé. Je n’ai jamais gagné un seul sou grâce au hockey. Rentrer à 2 h du matin de Viège ne m’empêchait pas d’être au travail (n.d.l.r.: à l’usine comme cartonnier) à 7 h. Je n’ai profité d’aucun privilège en tant que joueur, mais j’étais heureux comme ça.» Son bonheur, il le puisait dans l’admiration des supporters. «Le public se déplaçait déjà en car et s’identifiait énormément à l’équipe. Les gens étaient exigeants, mais tout de même moins critiques qu’aujourd’hui envers les joueurs et les arbitres. Après, les soirs de défaite, c’est vrai qu’on osait à peine sortir», rigole ce père de deux enfants. Preuve que la pression populaire était déjà présente sur les épaules des joueurs. «Jamais toutefois je n’ai eu peur de perdre une rencontre, même lorsqu’il a fallu sauver sa peau en LNB dans des matches décisifs, contre Villars et Saint-Moritz. Après, il ne fallait pas “faire les cons”. Nous, les joueurs, avions conscience de faire partie de l’histoire et d’être des représentants de cette ville.»   
Fait particulier de son époque, le HC Fribourg-Gottéron n’était pas seul dans le paysage sportif du canton. Dans les années soixante, le hockey partageait la vedette avec le football et le FC Fribourg, qui évoluait en LNB et même en LNA lors de la saison 1960-1961. «Les deux disciplines avaient la même cote de popularité auprès des gens, qui vivaient d’abord pour le sport et enchaînaient les deux saisons», se souvient le Fribourgeois, lui-même footballeur durant l’été avec Central, en 1re ligue.
Dano Waeber, démissionnaire du comité en 1986, n’a jamais rompu avec «son» club de cœur dont il figure aujourd’hui parmi les membres d’honneur. Il se plaît désormais dans le rôle de spectateur anonyme et... silencieux. «J’observe sans dire un seul mot sur les joueurs!» La sagesse de l’ancien. QD


Christian Hofstetter, joueur de 1983 à 1997

L’ascension en Ligue A, ce fameux 4 mars 1980 face à Zurich, il l’a vécue à 12 ans perché sur le toit de la tribune des Augustins. Fils de Walter, président d’alors, Christian Hofstetter fête sa première en LNA en 1983 et gagne rapidement ses galons de titulaire. L’attaquant de Villars-sur-Glâne a traversé le pire comme le meilleur. Puisqu’il portait le maillot de capitaine durant les années russes, aux côtés du duo Slava Bykov/Andrei Khomutov. Christian Hofstetter retient cette «période inoubliable» malgré les trois finales perdues (1992-1993-1994). «Cette ère a permis au club de se faire un nom dans tout le pays. Gottéron est devenu un produit national et l’intérêt, des sponsors notamment, a subitement augmenté.»
Le succès de l’ère russe marque un premier tournant dans la mue de l’organisation. «Il y a eu un grand développement vers le business. Quand j’ai commencé, cinq ou six gars étaient pros. Là, le hockey devenait une profession à part entière», se souvient l’ancien numéro 4, qui menait en parallèle une vie d’étudiant en économie.
Si les deux tsars polarisaient tout ou partie de l’attention, c’est l’équipe dans son ensemble qui profitait de l’engouement populaire régnant dans le canton. Christian Hofstetter, 50 ans aujourd’hui, n’a rien oublié du rôle social joué par sa bande. «Ce qui m’a frappé, ce sont ces supporters qui venaient 2 h 30 avant la partie juste pour saluer les joueurs et avoir les meilleures places dans les gradins. A côté, les gens investissaient ce qu’ils pouvaient en mettant vraiment beaucoup de cœur à l’ouvrage. Et ça, ça m’a vraiment touché.» Touché fut également le club lors de cette saison 1987-1988, marquée par la collecte de fonds dans l’opération «Sauvez Gottéron». Un instant où l’ancien joueur a pris la pleine mesure de la place du club dans le quotidien des Fribourgeois. «Sans toutes ces personnes, l’histoire aurait pris une autre tournure.»
Junior du cru, Christian Hofstetter a porté le seul chandail orné du Dragon durant ses quatorze saisons disputées en LNA. Rare «clubisme». Un choix là encore dicté par le cœur. «Il n’a pas été question d’aller voir ailleurs, car je ressentais une responsabilité par rapport au club et à l’image qu’il véhiculait, poursuit le Fribourgeois établi à Zurich. Même quand les résultats ne suivaient pas, les gens étaient là. Et c’est vrai que notre statut de joueur nous a parfois ouvert les portes de... certains bars après le matche (rires).» Hofstetter, qui donne encore aujourd’hui son avis lorsqu’il est sollicité, garde un œil bienveillant sur les Dragons. «Le titre? Je suis confiant. Une chose est sûre: Gottéron peut survivre encore huitante ans sans le décrocher. Mais le veut-il vraiment?» QD


Daniel Baudin, président de 2006 à 2010

S’il réfute encore aujourd’hui l’étiquette, Daniel Baudin (66 ans) fut bel et bien le «président du redressement et du renouveau» à compter de sa prise de fonction, en 2006. Fribourg-Gottéron, qui avait conclu le précédent exercice avec près de deux millions de perte, se trouve alors au bord de la faillite et sans licence de jeu. «La flamme avait complètement disparu. Le public ne s’identifiait plus du tout et l’image était très mauvaise dans tout le canton, se souvient le Marlinois. Il fallait être un peu fou pour se lancer. Si je l’ai fait, c’était d’abord pour préserver ce rôle social du club, si cher aux Fribourgeois.»
Le patron de fiduciaire s’entoure de personnes de confiance, délègue et s’emploie à maintenir l’édifice avant de s’atteler à la reconstruction progressive de ses fondations. Durant son combat de président, Daniel Baudin ressent autant l’inquiétude générale que les soutiens de toutes parts. «Tout le monde cherchait à m’encourager. J’ai alors perçu le poids émotionnel auprès de la population. Fribourg-Gottéron était aussi une organisation estimée dans toute la Suisse. Les autres clubs tenaient à ce qu’on reste dans l’élite et étaient tous prêts à m’aider. Marc Lüthi (n.d.l.r.: le patron du CP Berne) m’avait d’ailleurs tout montré de son fonctionnement et je m’en suis largement inspiré.»
Sur la glace, les Dragons doivent batailler jusqu’en finale des play-out pour sauver leur place en LNA. Le renouveau général est pourtant en marche. «En une saison, la perception du public et l’écho auprès des sponsors avaient totalement changé. Le club est vraiment reparti en 2008 grâce à cet exploit en quart de finale des play-off, face au rival bernois. Les bases (administatives) manquaient encore, mais tout était relancé. D’un club amateur, on avait franchi la première étape vers des structures pros.»
Daniel Baudin passe la main en 2010 au Gruérien Laurent Haymoz. Le sentiment du devoir accompli et fortifié par l’expérience présidentielle. «Je n’imaginais pas l’importance que pouvait avoir Gottéron auprès du monde économique et politique. Je l’ai découvert au fil de mon mandat.» Toujours au fait de l’actualité du Dragon, il conclut plein de pragmatisme: «Il ne faut pas se leurrer: ce sera toujours difficile pour Gottéron qui, avec son budget, n’est pas prêt financièrement pour prétendre au titre. Reste qu’avec son âme, les surprises restent possibles.» Les épopées de 2008 et de 2009, sous l’ère Daniel Baudin, sont là pour le rappeler. QD


Michel Volet, président depuis 2013

Michel Volet a vécu le grand huit des émotions pour sa prise de fonction, en février 2013. Nommé président ad interim à la suite du décès tragique de Laurent Haymoz, le Broyard établi à Charmey a été propulsé dans l’euphorie de la finale perdue face à Berne. Le capital sympathie et les attentes, à leur apogée cette année-là, sont à la fois «appréciables et dangereux pour les dirigeants», selon Michel Volet. «Pour beaucoup, le succès de Fribourg est normal. Cette passion exacerbée a évidemment permis cette longévité rare du club au plus haut niveau. Mais je n’oublie pas mon rôle premier, à savoir garder la tête froide et le cap au-delà de trois matches perdus.»
A 51 ans, Michel Volet sait exactement où il entend mener son organisation. Quelle place imagine-t-il pour le Gottéron de demain? «La voie est tracée. Sportivement, nous devons nous installer dans le top 6. Si on y parvient, à la force d’un exploit, le titre devrait “mathématiquement” survenir. L’autre axe concerne la relève. Plus que le nombre de juniors intégrés chez les pros, l’objectif est d’élargir la base de la pyramide en collaborant avec les clubs du canton.»
Michel Volet tient également à rappeler que, malgré sa place incontestée de numéro un sur la scène cantonale, Fribourg-Gottéron veut tout entreprendre pour éviter de cannibaliser le marché. «Gottéron peut occuper davantage de place encore. Mais on se doit surtout de faire grandir le milieu du sport fribourgeois en mettant nos moyens supérieurs à disposition des autres. De par notre expérience et notre encadrement, on peut devenir leader d’un centre sportif de compétences.»
Au-delà des aspirations au sacre de champion, le Gruérien d’adoption entretient un autre rêve au fort accent dzodzet: «Il est utopique d’espérer régater financièrement avec Zurich, Berne ou Lugano. Vu la taille du canton, Fribourg gardera sa vocation de tremplin. Dès lors, je veux qu’on célèbre le centenaire du club avec cette même passion et ce même modèle économique, basé sur le soutien de partenaires du sérail fribourgeois. Ainsi pourrait-on d’ailleurs s’appeler officiellement “HC Fribourg-Gottéron AOP”.» D’ici là, Michel Volet aura sans doute passé le témoin et suivra les Dragons depuis les gradins de... la nouvelle patinoire. «Je m’étais initialement engagé dans l’idée de rester trois ans. Désormais, j’ai envie de mener à terme le dossier de la nouvelle patinoire et de l’inaugurer à l’automne 2020 dans le costume de président.» QD

 

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