Construire le ballon imaginé par le romancier Jules Verne

sam, 17. mar. 2018
Jeter l’ancre, dérouler l’échelle de corde et découvrir un lieu. L’aérostier Laurent Sciboz aimerait vivre le voyage en ballon tel que Jules Verne le décrit dans Cinq semaines en ballon. ELCY ÉDITIONS

PAR XAVIER XAVIER SCHALLER

En octobre dernier, Laurent Sciboz a parcouru, avec son compère Nicolas Tièche, 3666 kilomètres en 59 heures et 35 minutes. Un record pour un ballon de compétition de 1000 m3 comme le Fribourg Challenge. Maintenant, le Glânois rêve de voler encore plus longtemps, en construisant un aérostat deux fois et demie plus volumineux. De la taille du Victoria, le ballon du roman de Jules Verne Cinq semaines en ballon qui le faisait rêver lorsqu’il étudiait au Collège Saint-Michel, à Fribourg.

Dans le livre, le héros construit un engin capable de traverser l’Afrique d’est en ouest: «Il le disposa suivant cette forme allongée que l’on sait être préférable; le diamètre horizontal fut de 50 pieds et le diamètre vertical de 75; il obtint ainsi un sphéroïde dont la capacité s’élevait en chiffres ronds à 90 000 pieds cubes.» Soit près de 2550 m3.

Samuel Fergusson dévoile plus tard son secret pour voler des semaines durant: «Mes moyens d’ascension et de descente consistent uniquement à dilater ou à contracter par des températures diverses le gaz renfermé à l’intérieur de l’aérostat.» La nacelle emporte une forte pile Bunzen qui permet une électrolyse d’eau. L’hydrogène obtenu est ensuite brûlé pour réchauffer le gaz du ballon. «Le froid de l’altitude permet le refroidissement.»

«Un tel dispositif n’a jamais fonctionné, indique Laurent Sciboz. Il est beaucoup trop dangereux avec de l’hydrogène.» Lors de son tour du monde, le Breitling Orbiter utilisait un système hybride. Il chauffait l’air dans une enveloppe autour de celle qui contenait les 18 500 m3 d’hélium, un gaz ininflammable.

Le charme du voyage

Avec 2500 m3 d’hydrogène, Laurent Sciboz estime qu’il pourra voler une bonne semaine. «De quoi traverser l’Europe. De quoi atteindre la Chine. De quoi réécrire l’histoire en cinq fois une semaine, ou même descendre pour ravitailler en gaz et reprendre notre course. Nous sommes en train de consulter Jean Verne, le petit-fils de l’écrivain, pour savoir ce qu’il pense de notre projet.»

Aucun objectif de performance ni de record en vue. «Avec ce genre d’engin, nous sommes dans une autre dimension, celle du voyage. On peut sacrifier des mètres cubes de gaz pour s’approcher du sol, jeter l’ancre, descendre l’échelle de corde et rencontrer les gens.»

L’autonomie d’un tel ballon offre beaucoup de sécurité. «Tant qu’on vole, on peut attendre, comme lorsque nous avons parcouru les mille derniers kilomètres de taïga canadienne, lors de notre record.» Comme il n’est pas question de compétition, l’accent peut être mis sur la fiabilité et la durabilité lors de la conception.

D’autant qu’un ballon de 2500 m3 peut soulever une charge de 2 tonnes et demie, ce qui laisse beaucoup de marge en plus du lest. De quoi imaginer bien des projets, tant artistiques que scientifiques. «Emporter davantage de matériel permettra aussi de mieux raconter notre aventure. Ce que l’on n’arrive pas suffisamment à faire lors de la Coupe Gordon Bennett, le championnat du monde de vol longue distance.»

Pour un ballon aussi gros, deux grandes questions se posent: comment le construire et comment le piloter? Car les connaissances scientifiques en matière de ballons à gaz sont très lacunaires. «Le modèle mathématique prédictif de la Haute Ecole d’ingénierie de Fribourg nous a permis de battre le record du monde de distance avec Fribourg Challenge. Il sera extrêmement utile pour prévoir le comportement de ce nouveau ballon.» Avec un tel volume, cela peut aller très vite lorsqu’il commence à descendre (voir encadré).

L’expérience de Leys

Pour la construction, Laurent Sciboz a pensé à Vincent Leys, qui a remporté huit fois la Gordon Bennett avec des engins de sa conception. Le Français fabriquant des ballons à filets, l’enveloppe devrait être visuellement assez proche de celle du roman.

Le ballon pourrait être réalisé en une année. Le temps de confectionner le filet à la main, de commander le tissu, de le découper et de le coller. «Nous le ferons ensuite homologuer comme prototype. Pour un ballon commercial, construit par une entreprise professionnelle, l’homologation coûte une fortune, car les exigences sont équivalentes à celle d’un Airbus ou d’un hélicoptère.»

Maintenant ou jamais

Pour Laurent Sciboz, c’est maintenant ou jamais. «L’Europe restructure sa législation et la catégorie prototype pourrait disparaître d’ici cinq à dix ans. Les règles de sécurité et l’obsession du risque zéro vont tuer le ballon libre. D’autre part, nous avons l’expérience de vol et la technologie pour le faire. Et le record du monde que nous avons battu en Amérique nous offre une certaine notoriété.»

Est-ce que cela sera suffisant pour trouver les fonds nécessaires? «Pour bien construire ce ballon, nous sommes à la recherche de 120 000 francs. Ensuite, il faudra trouver de quoi le faire voler.» Or gonfler un ballon de 1000 m3 coûte déjà un millier de francs.

Pour produire l’hydrogène du Victoria dans le livre de Jules Verne, il faut «1870 gallons d’acide sulfurique, 16 050 livres de fer et 966 gallons d’eau.» L’opération dure près de huit heures.

«Nous, nous avons la chance d’avoir une station de gonflage à Domdidier, en face de l’usine Carbagas. Le week-end, nous pouvons nous connecter aux camions d’hydrogène parqués là.» Ce n’est pas un détail pour le projet. Il n’existe qu’un seul autre point de ravitaillement en Suisse et aucun en France ou en Italie.

En attendant de concrétiser son projet, Laurent Sciboz se prépare pour la prochaine Gordon Bennett, au départ de Berne en septembre. L’équipage Fribourg Challenge participera à la compétition pour la quatrième fois, la dernière avec le soutien des 4 Piliers de l’économie fribourgeoise. «Après, nous maintiendrons le ballon et l’infrastructure. Mais pour continuer la compétition au niveau international, nous cherchons de nouveaux partenaires pour environ 40 000 francs par an.» ■


Pas facile de piloter un ballon géant

En 1863, Félix Nadar a imaginé réaliser les premiers transports aériens. Il a conçu Legéant, un ballon de 45 mètres de haut (iciàgauche). D’une capacité de 6000 m3, il emportait une nacelle à deux étages. Ses deux premiers vols furent de cuisants échecs, car il fut incapable de maîtriser les changements d’altitude de son aéronef. Les atterrissages s’apparentèrent à des chutes et lors du deuxième essai, la nacelle fut traînée par le vent sur seize kilomètres.

Des ballons bien plus gros ont été ensuite construits, mais en mode captif. Lors de l’Exposition universelle de Paris de 1867, Henri Giffard fit voler un ballon captif de 5000 m3, puis un autre de 12 000 m3 à Londres deux ans plus tard. Pour l’Exposition universelle de Paris de 1878, il construisit un monstre de plus de 25 000 m3 (photodedroite).De quoi emmener une quarantaine de curieux à 500 m d’altitude. Un siècle plus tard, le DoubleeagleIIa été le premier ballon à traverser l’Atlantique, grâce à ses 4500 m3 d’hélium. XS

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