PAR FRANÇOIS PHARISA
En salade, en burger ou même en dessert. Au menu des fast-foods comme sur la carte des restaurants étoilés. Sur les étals des épiceries bio et dans les rayons des grandes surfaces. Le quinoa se déguste à toutes les sauces. En quelques années, cette plante originaire de l’Altiplano sudaméricain, riche en protéines et sans gluten, a conquis nos assiettes. En Suisse, il s’en consomme désormais mille tonnes par année. Des variétés principalement importées de Bolivie et du Pérou, les deux producteurs historiques, mais aussi depuis peu, du quinoa made in Switzerland.
L’association IP-Suisse est la pionnière de la culture du quinoa dans le pays. Elle comptera cette année 43 paysans producteurs, contre une petite trentaine l’an passé. Ceux-ci consacreront au «riz des Incas», comme on l’appelle parfois, un total de 65 hectares, contre 40 un an plus tôt. IP-Suisse espère ainsi une récolte avoisinant les 65 tonnes, soit une vingtaine de plus qu’en 2017 – la production mondiale dépasse les 200 000 tonnes.
Le marché helvétique reste certes embryonnaire, mais il est en croissance. «Depuis 2013, date de nos premières récoltes, les chiffres sont en constante progression», se réjouit Jacques Demierre, gérant romand d’IP-Suisse.
A-côté appréciable
Dans le canton de Fribourg, une poignée d’aventureux s’y sont mis. Le Glânois Jean-Fran- çois Wenger a été le premier à franchir le pas, le printemps dernier. «Un ami paysan de Moudon en cultivait. Il m’en a parlé et je me suis laissé convaincre. Le quinoa permet de diversifier mes cultures», relève l’agriculteur de 63 ans.
Sur son exploitation de 40 hectares qu’il gère avec son fils Damien, à Villangeaux, sur la commune d’Ecublens, il fait pousser de la betterave sucrière, du blé panifiable, du maïs et du colza. «A l’époque, quand je travaillais encore avec mon père, on nous payait entre 12 et 14 francs les trois kilos de betterave. On est maintenant entre 3 et 4 francs. Pour les céréales, c’est la même chose, on est payé au lance-pierre», déplore-t-il. Alors si le quinoa peut amener un peu d’argent au ménage, tant mieux. «Il ne remplacera certes jamais le lait ou le blé, mais il offre un petit à-côté qui peut être appréciable», reconnaît l’agriculteur.
IP-Suisse préfère rester discrete sur le prix au kilo qu’elle offre à ses paysans affiliés. Mais selon nos informations, le kilo de quinoa serait acheté aux producteurs environ dix fois plus cher que le kilo de blé.
Sus aux envahisseuses
Mais le quinoa n’est pas la plante miracle pour autant. Il nécessite pas mal de travail. Jean-François Wenger en a déjà fait l’amère expérience. Sa première récolte, l’été dernier, n’a pas été de tout repos. Sans y prendre garde, ses 50 ares de quinoa ont été envahis de mauvaises herbes. Qu’il a choisi de traiter sans produit phytosanitaire. IP-Suisse autorise l’utilisation d’un type précis d’herbicide homologué, mais interdit tout insecticide, fongicide et régulateur de croissance. Jean-François Wenger s’est donc bagarré contre ces satanées mauvaises herbes deux semaines durant du matin au soir, l’échine courbée. «C’était terrible. J’avais semé comme le blé. Les plantes étaient trop rapprochées l’une de l’autre et on ne pouvait pas intervenir avec la machine. On a dû les arracher une à une à la main», se souvient-il en en rigolant aujourd’hui.
Ses efforts lui ont néanmoins permis de ramasser 600 kg de graines. Un bilan qu’il qualifie de «moyen». «A l’hectare, cela ferait 1200 kg. Or, certains parviennent à tirer 2500 à 3000 kg à l’hectare.» Cultivé depuis des millénaires par les paysans boliviens, le quinoa ne l’est que depuis quelques années en Suisse. Alors ceux qui tentent l’expérience apprennent sur le tas, tâtonnent, font des essais, récolte après récolte. Et les rendements ne sont pas toujours optimaux. «On estime qu’il y a environ 20% de perte, une récolte sur cinq en gros, c’est beaucoup», souligne Jacques Demierre. Pour l’expliquer, il cite le manque d’expérience, les mauvaises herbes et la sélection de variétés pas encore parfaitement adaptées à nos latitudes.
Cette incertitude n’a pas empêché Frédéric Conus de lui aussi tenter sa chance. Installé à Siviriez, membre d’IP-Suisse, il recherchait une culture de printemps permettant de renouveler ses prairies. Il sèmera ainsi pour la première fois du quinoa ces prochains jours. Cinquante ares d’abord. «Pour commencer modestement, voir comment ça va avec les mauvaises herbes.»
D’autant plus que son quinoa poussera sur une parcelle de prairie. «Je dois être le seul loin à la ronde à ne pas semer sur des terres intégrées dans la rotation des cultures. Je sers un peu de cobaye à IP-Suisse», sourit le Glânois de 45 ans.
Par mesure préventive contre les herbes indésirables, il couvrira la moitié de la surface semée avec du trèfle. «D’autres ont essayé, les résultats étaient moyens, on verra bien. J’avance un peu dans le noir, comme tout le monde pour le moment.» ■
Mise en valeur des graines
Semé vers la fin mars et le mois d’avril, le quinoa se récolte entre août et septembre. En Suisse romande, les paysans IP-Suisse amènent leur quinoa au centre collecteur d’Orbe, où les graines sont séchées et prétriées, avant d’être acheminées à l’autre bout de la Suisse, à Weinfelden (TG), l’un des rares endroits possédant l’équipement nécessaire pour le tri optique de gros volumes. «Les récoltes de quinoa peuvent contenir des graines de mauvaises herbes à l’aspect qua si semblable», relève Jacques Demierre, responsable romand d’IP-Suisse. Notamment des graines de chénopode blanc, mauvaise herbe appartenant à la même famille que le quinoa, celle des chénopodiacés (comme l’épinard ou la betterave d’ailleurs). Minutieusement sélectionnées, les graines reviennent ensuite au moulin d’Yverdon. Là, elles sont mises en sachets, prêtes à être distribuées dans les épiceries en vrac, les magasins Landi et à la Migros. «IP-Suisse recommande un prix de 8 francs le sachet de 400 grammes», précise Jacques Demierre.
Un tarif que certains jugent trop bas. «On trouve du quinoa bio importé de Bolivie plus ou moins au même prix. C’est dommage. Après on se plaint que les paysans ne sont pas payés au juste prix», regrette Baptiste Chassot. Selon lui, les consommateurs accepteraient de dépenser un peu plus pour des produits locaux. Avec son frère Samuel, ils ont semé en début de semaine 80 ares de quinoa sur l’exploitation familiale à Villargiroud. L’année passée, ils avaient semé 35 ares comme ballon d’essai, «pour se diversifier». Jugée «bonne» pour une première, la récolte a atteint 400 kg.
Parmi les rares producteurs de quinoa non affiliés à IP-Suisse, les deux frères, qui possèdent également une entreprise de battage, se débrouillent donc par leurs propres moyens pour la mise en valeur des graines. Ils les sélectionnent à Villarlod chez un agriculteur possédant une trieuse optique. Puis ils assurent eux-mêmes l’emballage, le marketing et la distribution. Vendu 8 francs les 250 grammes, leur «quinoa du Gibloux» se trouve dans quelques épiceries en vrac et petits magasins de la région ainsi qu’en vente directe à la ferme familiale. FP
Commentaires
Francis Saucy (non vérifié)
jeu, 12 avr. 2018
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