Ces sportifs qui galèrent pour dénicher un soutien financier

jeu, 12. avr. 2018
Ici lors d’une épreuve de Coupe du monde, Pierre Bugnard a inscrit un gros point d’interrogation sur son casque, à l’endroit où se situe normalement le sponsor principal des skieurs.

PAR VALENTIN CASTELLA

La vie d’un sportif est faite d’entraînements, de compétitions et de résultats. Mais pas que… En effet, beaucoup d’athlètes doivent accorder du temps pour dénicher du soutien financier. C’est notamment le cas pour ceux qui pratiquent des disciplines individuelles.

En Suisse, il ne suffit pas de se distinguer pour bénéficier d’aides. L’argent, il faut aller le chercher et c’est souvent difficile. «C’est le nerf de la guerre», résume le Rochois Bastien Kolly (49e joueur suisse), qui s’est lancé dans le monde professionnel du tennis l’été dernier.

La recherche de sponsoring est une part importante de la vie d’un sportif qui se situe entre le niveau national et mondial. «Cela prend énormément d’énergie d’effectuer les recherches, de rencontrer les gens et de les convaincre, explique la plongeuse de Pont-la-Ville Madeline Coquoz, vicechampionne d’Europe juniors. Et puis, cela instaure une pression supplémentaire, car on veut leur montrer qu’ils ont bien fait de miser sur nous. J’ai la chance de pouvoir compter sur mes parents. Ma mère a choisi de s’atteler à ces tâches. Il s’agit d’un travail à 30%.»

Ayant participé à trois manches de Coupe du monde et figurant parmi les trente meilleurs skieurs de Coupe d’Europe, Pierre Bugnard recherche depuis plusieurs mois un «sponsor casque», soit un sponsor principal. «J’ai envoyé d’innombrables e-mails et courriers aux entreprises, sans compter les rendez-vous.»

Pour les sports collectifs

Difficile de convaincre, d’autant plus lorsque vous pratiquez une discipline individuelle. «La plupart des spon - sors soutiennent des manifestations ou des clubs afin de bénéficier d’un retour sur investissement, reprend Bastien Kolly. Mon problème, c’est que je ne suis pas visible. Les tournois auxquels je participe ne sont pas médiatisés et se déroulent à l’étranger. Les montants que je reçois sont davantage des sommes d’encouragement que du sponsoring.»

Pierre Bugnard complète: «Si vous ne bénéficiez pas de contacts ou si vous ne connaissez pas un patron passionné de sport, vos chances sont minces.» De plus, à Swiss-Ski, certaines conditions limitent le choix. «Comme BKW, Swisscom, Raiffeisen et Helvetia sont sponsors principaux, nous ne pouvons pas choisir des boîtes actives dans ces branches.»

Certains skieurs, comme Justin Murisier, sont soutenus par leur station… «Sauf qu’à Charmey, les dirigeants ont d’autres soucis en ce moment», sourit le membre du cadre B. Sans grande aide venue du monde privé, certains athlètes peuvent compter sur l’appui de leur fédération, du canton et d’associations. Madeline Coquoz et Bastien Kolly reçoivent de l’argent de la LoRo-Sport, soit du canton. Les deux bénéficient également de l’appui de l’association Vivre son rêve. Etudiant à l’étranger, la plongeuse voit également ses frais d’écolage diminuer grâce à l’Etat (une année passée en sport-étude en Angleterre lui revient à 30 000 francs). «L’année dernière, j’ai reçu environ 20 000 francs, sponsors et soutiens compris», énumère de son côté le tennisman.

D’autres ont moins de chance, ou beaucoup de malchance, c’est selon. C’est le cas de Pierre Bugnard, qui ne reçoit rien, mis à part une petite contribution de l’Association fribourgeoise de ski et snowboard. Aide sportive suisse? LoRo-Sport? Association? «Rien de tout ça. Comme j’ai réalisé des bons résultats plus tard que les autres, je n’ai pas participé à des championnats du monde juniors. Donc, je n’ai pas bénéficié de la carte réservée aux talents de Swiss Olympic. Je suis hors du système.» En effet, il possède un statut élite, qui se situe entre la carte bronze (contribution financière) et celle destinée aux talents (parrainage).

«Une injustice»

Une situation qui l’énerve: «Oui, car des mecs qui sont aujourd’hui moins bons que moi touchent plusieurs milliers de francs chaque année. Je suis passé devant eux au niveau des performances, mais il n’y a eu aucune adaptation. Au sein du cadre B, je suis un des seuls à ne rien toucher. Le système n’est pas bon. Je ne suis pas jaloux, mais énervé par cette injustice. Tu aimes ton sport, tu donnes tout et ce genre de bêtises peuvent vraiment te démotiver.»

Rien sans maman et papa

Pour couvrir un budget d’environ 50 000 francs, le Gruérien doit compter sur ses parents. «Je bosse un peu l’été pour gagner quelques sous. Mais, sinon, on n’a pas le choix. Heureusement que Swiss-Ski assume les frais d’hôtels, certains déplacements, les abonnements etc… Sinon, cela serait quasiment impossible. Il faut également penser aux jeunes qui se trouvent dans les NLZ. Leurs parents doivent tout assumer.»

Les parents: voilà la principale ressource financière. «L’école, les entraînements, les déplacements, tout coûte cher et ma fédération, même si elle fait ce qu’elle peut, n’a pas les ressources pour m’aider, poursuit Madeline Coquoz. C’est simple: sans ma famille, je ne pourrais pas faire de compétition.» Même son de cloche pour Bastien Kolly: «Une saison coûte environ 70 000 francs et je suis soutenu à hauteur de 20 000 francs. La différence, c’est la famille qui l’assume. Ce n’est pas avec les primes des tournois que je peux faire quelque chose, étant donné que je reçois environ 150 euros si je parviens à sortir des qualifications et à passer un tour. Des sommes dérisoires lorsque vous passez une semaine en Turquie pour participer à une compétition.»

L’argent est donc bien le nerf de la guerre pour ces athlètes, qui se situent entre le monde national et mondial. Ceux qui sont déjà au sommet, comme Mathilde Gremaud ou Rémi Bonnet, connaissent moins de problèmes. D’autres, par contre, «galèrent» comme ils disent. Avec le risque d’être, à force, démotivés. ■


«Beaucoup sont des smicards»

Collaborateur au sein du CIO et Fondateur de l’association vaudoise Cookie, qui a notamment soutenu Léa Sprunger, Philippe Furrer évoque le sujet.

L’aide aux sportifs est-elle suffisante en Suisse?

Certains athlètes sont moins bien lotis que dans d’autres pays. On peut s’insurger contre le fait que beaucoup d’entre eux sont des smicards et qu’ils ont besoin de leurs parents pour s’en sortir. Certains sont contraints d’arrêter, car ils n’ont pas eu les moyens d’exploiter tout leur potentiel.

Comment expliquez-vous ce manque de soutien?

Certaines entreprises usent de stratégies marketing datant de Mathusalem! Elles préfèrent payer pour une publicité sur un maillot ou pour une loge plutôt que d’investir pour des athlètes de demain. Il ne faut pas oublier que ces jeunes peuvent devenir ensuite des modèles pour la future génération. Mais le retour sur investissement est plus important.

Les athlètes sont-ils tous logés à la même enseigne?

Non. Il est plus facile de bénéficier d’un bon encadrement lorsqu’on pratique du hockey ou du football plutôt que du plongeon ou du tir à l’arc. Faute de moyens, certaines fédérations n’arrivent même pas à envoyer leurs athlètes aux championnats du monde juniors. C’est assez étonnant dans un pays aussi riche que le nôtre, non?

Les sportifs doivent-ils se résoudre à subir le système, ou peuvent-ils se débrouiller d’une autre manière?

Ils doivent apprendre à se mettre en scène. C’est notamment ce que nous leur apprenons au sein de l’association. Cette situation les force à se prendre en main, à devenir les entrepreneurs de leur propre carrière. Rapidement, ils comprennent que l’argent ne tombe pas du ciel, qu’il faut être proactifs, novateurs et proposer des choses à leurs partenaires. Cela les forme à beaucoup de choses. Ce n’est pas facile, mais il faut voir ce défi comme une chance. VAC


«Ouvrir la porte aux cas exceptionnels»

Selon une étude de l’Office fédéral du sport, près de 40% des athlètes bénéficient d’un revenu inférieur à 14000 francs par année. Un chiffre qui résume la difficulté de dénicher du financement. On l’a vu, le secteur privé peine à soutenir certains athlètes. Ces derniers doivent donc faire appel à des aides extérieures. Parmi elles: les cantons et l’Aide sportive suisse.

Au niveau cantonal, les sportifs dépendent de la LoRo-Sport. «La distribution des montants est basée sur les critères des différentes fédérations, explique Benoît Gisler, responsable du Service des sports. On reçoit une liste des sportifs qui doivent être soutenus.» Le total distribué se situe entre 2,5 et 3 millions. «Environ 100 000 francs sont versés directement aux athlètes, qui reçoivent entre 500 et 5000 francs. Un million est destiné aux associations cantonales, le reste aux infrastructures, ainsi qu’à l’organisation de camps et de cours.»

L’Aide sportive suisse, une fondation indépendante créée par Swiss Olympic soutient 885 sportifs pour un montant d’environ 5 millions. Les bénéficiaires sont ceux qui possèdent une carte Swiss Olympic. En 2017, seize Fribourgeois ont rempli les critères. «La fondation étudie les besoins de l’athlète et lui verse entre 6000 et 36 000 francs, résume Virginie Faivre, responsable pour la Suisse romande. Ces primes ont pour but de favoriser sa professionnalisation, afin qu’il puisse se consacrer à son sport.»

Les plus jeunes peuvent également recevoir un parrainage de 2000 francs. Lara Gut, Giulia Steingruber et Mathilde Gremaud en ont bénéficié. «Il ne s’agit pas seulement de soutiens financiers, mais parfois aussi de coaching», reprend l’ancienne multiple championne du monde de half-pipe.

Un système qui ne bénéficie malheureusement pas à tout le monde selon elle: «Il serait bien de pouvoir discuter de cas exceptionnels et d’ouvrir la porte aux sportifs qui ne remplissent pas les conditions. Lorsque des athlètes comme Pierre Bugnard se retrouvent dans des périodes charnières de leur carrière, avec un potentiel avéré et un besoin de soutien financier, nous devrions pouvoir également les accompagner vers le sommet.» VAC

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