«Ce procès ne doit pas être celui de la route de la mort»

mar, 12. juin. 2018
C’est sur cette route nationale près de Montbeugny qu’a eu lieu l’accident qui a fait 12 morts en mars 2016.

PAR FRANÇOIS PHARISA

Un jeune homme de 22 ans et son oncle, âgé de 44 ans, comparaîtront demain à la barre du Tribunal de grande instance de Moulins, dans l’Allier. Ils répondront tous les deux de plusieurs chefs d’inculpation, dont celui d’homicide involontaire, pour des faits remontant à la nuit du 24 au 25 mars 2016. Une nuit tragique, qui a fait douze victimes, âgées de 7 à 62 ans, toutes d’origine portugaise, habitant à Fribourg et à Granges-Marnand. Rappel des faits et enjeux du procès en cinq points.

L’ACCIDENT

Le drame se noue peu après 23 h 30, sur une route nationale bidirectionnelle (une voie dans chaque sens de la circulation), à hauteur de Montbeugny, une bourgade de 700 habitants. Cette route nationale est en fait une portion de la route Centre-Europe Atlantique (RCEA), appelée «route de la mort». Un surnom qui n’a rien d’usurpé. Jeudi dernier encore, elle faisait deux nouvelles victimes.

Ce jeudi 24 mars 2016 donc, avant-veille du week-end pascal, un fourgon Mercedes Sprinter, tirant une remorque, file à toute allure en direction du Portugal. Parti vers 20 h 30 de Romont, il transporte douze passagers en plus du chauffeur.

Après quelque 370 km, ce dernier se déporte sur la voie de gauche pour dépasser un camion, sans remarquer l’autre poids lourd arrivant dans l’autre sens. La collision tue les douze passagers. Le chauffeur, seul survivant, réussit à s’extraire du fourgon. Le conducteur du poids lourd et son collègue passager s’en tirent avec des blessures légères.

L’INSTRUCTION

Dans les jours qui suivent, les enquêteurs démontrent rapidement que le minibus était équipé de douze sièges passagers, alors qu’il était homologué pour n’en posséder que six, celui du chauffeur compris. Ce dernier ne dispose en outre pas du permis de transport en commun.

Placé en garde à vue, il déclare «n’avoir aucun souvenir des circonstances de l’accident» et ne parvient pas à décliner l’identité des passagers, ainsi que nous l’apprend l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel. Il explique travailler avec ses parents dans leur élevage de volailles et rendre quelques services à son oncle, en conduisant son fourgon pour acheminer marchandises et passagers entre la Suisse et le Portugal. Il dit effectuer le trajet deux ou trois fois par mois depuis six mois et recevoir une petite contrepartie financière de son oncle en échange: quelque 350 euros.

Selon lui, le fourgon avait toujours possédé trois rangées de sièges (soit neuf places assises). Ce n’était qu’au matin du 24 mars que son oncle en avait ajouté une quatrième, à l’arrière. Il faisait «totalement confiance à son oncle». Déclarations qu’il maintiendra plus tard devant le juge d’instruction.

Egalement questionné sur la présence de douze personnes à bord du fourgon, le propriétaire prétend d’abord avoir rencontré trois ressortissants portugais tombés en panne au bord de la route à Mâcon, avant de se rétracter. Il s’adonnait au transport de marchandises et de personnes, entre la Suisse (son pays de résidence principale) et le Portugal, depuis avril 2015. Un trafic non déclaré. Il demandait 100 euros par passager et 40 euros par colis. Le bouche à oreille au sein de la communauté portugaise lui amenait des clients.

Devant le juge d’instruction, il reconnaît avoir installé quatre personnes, dont une petite fille de 7 ans, sur la troisième banquette, pourtant pourvue de trois sièges. La quatrième banquette, elle, ne disposait même pas de ceintures de sécurité.

Son fourgon, comme le démontreront les enquêteurs, avait été verbalisé à 14 (!) reprises pour excès de vitesse entre juillet 2015 et le mois du drame. Par trois fois, son neveu se trouvait derrière le volant.

En mars dernier enfin, le Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) rend son rapport technique. Ses conclusions sont accablantes (La Gruyère du 24 mars).

«Sans avoir la visibilité suffisante», décrit le BEA-TT, le jeune homme a effectué «un dépassement à une vitesse excessive avec un véhicule dans un état déplorable (freins et pneumatiques usés…) et en surcharge, auquel était attelée une remorque également dans un état technique défaillant, et cela sur une route bidirectionnelle». Lors du choc, «seul le siège du conducteur est resté fixé». Les autres ont été arrachés.

Les conditions météorologiques ne sont pas en cause. Il faisait «un temps sec, frais et clair».

CE QU’ILS RISQUENT

Le chauffeur est poursuivi pour homicide et blessures involontaires, commis «en violation manifestement délibérée d’obligations particulières de prudence ou de sécurité» et, qui plus est, sans permis de conduire. Soit deux circonstances aggravantes. Et celles-ci ont leur importance. Plutôt que cinq ou sept ans d’emprisonnement, le jeune homme encourt jusqu’à dix ans de prison ferme ou avec sursis et 150 000 euros d’amende.

S’ajoutent à ces délits, encore trois contraventions au Code de la route: «dépassement irrégulier», «pneus lisses ou défectueux» et «défaut de maîtrise».

Le propriétaire est impliqué, lui, en tant qu’acteur indirect. «Son comportement particulièrement négligent et imprudent dans l’organisation du transport des passagers a été une des causes aggravantes des conséquences de l’accident et donc de la mort des douze victimes», décrit l’ordonnance de renvoi. La non-conformité du véhicule et l’usage de pneus défectueux constituent deux contraventions auxquelles il devra aussi répondre. Il risque une peine maximale d’emprisonnement ferme ou avec sursis de cinq ans, ainsi que 75 000 euros d’amende.

POUR L’EXEMPLE?

Ces jours prochains, la petite ville de Moulins sera à nouveau sous les feux de l’actualité. La presse locale, mais aussi des médias nationaux, suisses et portugais devraient couvrir le procès. Contacté hier, Antoine Portal, avocat du propriétaire du fourgon, craint un procès tronqué. «Compte tenu de la résonance médiatique, je redoute que ce procès soit celui de la RCEA et de ses multiples victimes, plutôt que celui de deux hommes impliqués dans un accident, aussi dramatique soit-il. Cela pour se soulager la conscience. A écouter certains, mon client et son neveu seraient des criminels de la route. Mais la situation est bien plus complexe qu’on ne veut la présenter.»

Selon Antoine Portal, la crise économique de 2008 au Portugal et la précarité qu’elle a engendrée ne doivent pas être oubliées. «On dit aux chômeurs d’aller voir ailleurs, de se débrouiller comme ils peuvent pour trouver du travail… En Suisse, mon client travaillait sur les chantiers, alors qu’il était dans les transports au Portugal. Avec ces voyages en minibus, il ne gagnait pas grand-chose, il voulait seulement redévelopper sa petite entreprise et transporter des gens qui n’ont pas tous les moyens de prendre l’avion.» ■

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