Ne pas mettre le patrimoine sous cloche, mais le faire vivre

mar, 26. juin. 2018
Devant le chalet de Parc-ès-Fayes, que sa famille exploite depuis 1974, Freddy Charrière explique aux excursionnistes de Patrimoine Gruyère-Veveyse la somme de travail que nécessite la tenue d’un alpage. C’est à ce prix que les paysages préalpins sont aussi beaux. PHOTOS RÉGINE GAPANY

PAR JEAN GODEL

Partager l’héritage. C’est cette thématique que Patrimoine Gruyère-Veveyse (PGV), la section locale de Patrimoine Suisse, a choisie pour célébrer 2018, Année européenne du patrimoine culturel. Samedi, pas moins d’une trentaine de participants sont montés au chalet de Parc-ès-Fayes, posé sur la crête qui monte à la Berra, sur les hauts de La Valsainte.

Situé sur la commune de Val-de-Charmey, Parc-ès-Fayes n’est pas un chalet d’apparat pour touristes en goguette. Au contraire, il est à bien des égards exemplaire de cette économie alpestre à nouveau bien vivante dans le canton, forte de plus de 35 chaudières alors qu’il n’en restait que cinq dans les années 1970.

Cette renaissance est le fruit de nombreux efforts: des propriétaires, de la filière fromagère, qui a réussi à revaloriser les fromages d’alpage, des autorités aussi. Mais d’abord des familles d’agriculteurs qui font encore le pari un peu fou de la montée à l’alpage, cette tradition inscrite à l’Inventaire fribourgeois du patrimoine immatériel. Au Parc-ès-Fayes, ce sont Freddy et Edith Charrière, ainsi que leur fils Stéphane, qui ont repris le domaine de la Grosse Grange, près de La Valsainte.

Somme de travail

Samedi, devant le chalet, Freddy a raconté sa vie de labeur à l’alpage. Une histoire qui remonte à 1974, quand son père a commencé à exploiter Parc-ès-Fayes, alors propriété de Raymond Rime, buraliste postal à Charmey et député. «Ils étaient contemporains et amis.»

Avant, il n’y avait que des génisses dans ce chalet isolé, sans accès, à 1549 mètres. Son nom énigmatique signifie d’ailleurs le parc aux moutons. Pas les meilleurs alpages, donc… «Aujourd’hui, voyez cette qualité d’herbe, ces fleurs! C’est grâce à l’immense travail des exploitants, soutenus par les propriétaires», s’est émerveillé Jean-Jacques Glasson. Membre du comité de PGV et luimême propriétaire d’alpages, l’ancien vétérinaire connaît tous ceux de la région pour les avoir parcourus des décennies durant.

Gruyère et vacherin AOP

Désormais vingt-huit vaches montent au chalet, mais aussi une trentaine de génisses, dix à douze veaux et une vingtaine de cochons. Ils font escale, plus bas, aux Petits Grenérets et à la Reliausa. «On est venus avec les vaches parce qu’on avait de la main-d’œuvre familiale, raconte Freddy Charrière: mes frangins et frangines ont tous donné un coup de main ici avant de partir fonder une famille. Ensuite, ça a été le tour de mes cinq fils, qui ont tous eu leur diplôme de gar- çon de chalet. Pendant qu’on fanait en bas, eux se débrouillaient seuls ici. Une bonne formation…»

Les Charrière ont obtenu des quotas de fabrication de gruyère AOP et de vacherin fribourgeois AOP. «C’est dur de fabriquer ici. Mais la qualité est là. On la retrouve au moment des taxations, en automne.»

L’un des éléments clés de ce succès, c’est la qualité de l’eau. Pourtant, l’alpage était assez sec, jusqu’à ce que les propriétaires installent un bélier hydraulique, en 1962, une année de grande sécheresse: «Soit ils l’installaient, soit ils abandonnaient l’alpage.»

Aidés par des subventions, les propriétaires actuels ont, depuis, assumé le coûteux renouvellement du captage et du local de fabrication. «On a maintenant une eau de très bonne qualité», confirme Freddy Charrière.

Mais les soucis ne manquent pas. Au Parc-ès-Fayes, ce n’est ni le lynx ni le loup qui posent problème, mais le sanglier. «Parfois, ils labourent toute la côte. Pour nous, ce sont des heures de remise en état. On nous dit d’électrifier les enclos, mais les sangliers sont malins: ils contournent les barrières.» Et les chasseurs, aussi: venus chaque jour durant la chasse, ils n’en ont pas vu un seul alors qu’une douzaine de sangliers traînent dans les parages…

On a aussi dit aux Charrière de réensemencer. «Mais à cette altitude, il n’y a que les 10% qui repoussent. Maintenant que les sangliers arrivent en ville, peut-être que ça fera réagir les autorités…» Pour ces deux dernières années, les Charrière ont reçu 400 francs de dédommagement. Pas pour les heures de travail, non, mais pour la perte estimée de fourrage.

Patrimoine fragile

Admirant le panorama à couper le souffle s’offrant depuis ce coin de paradis, Serge Rossier, vice-président de PGV, rappelle que ce paysage, déboisé et entretenu par Rien de mieux que de le faire vivre pour garantir sa pérennité. «Vous, les Charrière, êtes en plein dans cette vitalité de la tradition!»

Sa typicité, ce patrimoine paysager la doit beaucoup aux chalets d’alpage, insiste Jean-Jacques Glasson. Qui compare ce joyau aux vignobles du Lavaux, un paysage classé par l’Unesco Patrimoine mondial de l’humanité. «Or nos pâturages sont en danger, car tout le monde ne les entretient pas aussi bien que celui de Parcès-Fayes et la forêt s’étend. Il faut continuer à soutenir le travail des familles paysannes.» ■


«Notre vision est moins moraliste»

Mais que fait cette tôle ondulée au milieu du toit du chalet de Parc-ès-Fayes, refait en bardeaux il y a une quarantaine d’années? Patrimoine, ça? «Ces plaques, je les ai toujours vues», raconte Nicolas Rime, copropriétaire actuel du chalet avec sa sœur Claudine. Membre du comité de Patrimoine Gruyère-Veveyse, Jean-Jacques Glasson, qui en connaît un bout sur les alpages, rappelle que les bardeaux résistent moins bien quand, l’hiver, ils ne sont pas recouverts de neige: «L’alternance du sec et du mouillé les abîme.» Exploitant du chalet, Freddy Charrière confirme que l’hiver est très venteux ici et que le toit n’est pas toujours couvert de neige. Parfois, les bardeaux s’envolent par paquets.

Ces tôles sont donc liées à l’histoire du chalet, rafistolé au fil du temps, en conclut Denis Buchs, ancien conservateur du Musée gruérien et secrétaire de Patrimoine Gruyère-Veveyse (PGV): «Les propriétaires attendent la bonne occasion pour les remplacer.»

Changement de philosophie

Voilà qui illustre le changement de philosophie qu’ont opéré bien des défenseurs du patrimoine, dont ceux de PGV: «Nous ne défendons plus le maintien coûte que coûte des bâtiments, assure son président Steve Gallay. Nous sommes plus prompts à la conciliation et notre vision est plus constructive, moins moraliste.» Et puis, le patrimoine s’adapte à l’usage qu’on en fait. Visitant l’intérieur de Parc-ès-Fayes, avec ses deux chambres à coucher sobres, mais confortables, Denis Buchs fait remarquer que, jusqu’au milieu du XIXe siècle, les chalets n’étaient occupés que par des hommes. «Ils ont ensuite été adaptés pour les familles, ce qui a contribué à y relancer la fabrication du fromage. Or, rien n’est acquis, car les femmes ont de plus en plus un emploi en plaine…»

Pas vraiment un cadeau…

Nicolas Rime l’admet: cet alpage ne rapporte rien, au contraire. Adduction d’eau, local de fabrication, toit, route du syndicat d’alpage, les frais s’accumulent. «Ce n’est pas vraiment un cadeau», sourit le dentiste retraité. Qui apprécie du coup la bonne collaboration avec les Charrière. «Comme propriétaire du XXIe siècle, ma position est ambiguë. Mais, pour le moment, on garde ces montagnes. Emotionnellement, ça compte, un lien affectif s’est noué. Ma sœur et moi avons encore la volonté de préserver ce patrimoine.»

Parc-ès-Fayes est en de bonnes mains. A l’entrée du chalet, le mé, ce jeune hêtre placé par tradition devant la maison à la Fête-Dieu, veille aussi sur lui. JnG

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