Un artiste hors norme qui a marqué la région

| jeu, 23. aoû. 2018
Jacques Cesa en 2005, lors de son exposition Atlas à la ferme Fässler, à Belfaux. ARCH – C. DUTOIT

PAR JÉRÔME GACHET

HOMMAGE. Jacques Cesa n’a jamais laissé indifférent et ce journal est bien placé pour le savoir. Lorsqu’on effectue une recherche dans la collection de La Gruyère, son nom apparaît dans des dizaines et des dizaines d’articles. Pour parler de ses œuvres, de ses expositions. Mais aussi évoquer ses initiatives telles que la création de l’atelier Trace- Ecart en 1984 ou du festival Altitudes en 2000. Et encore pour raconter ses démarches singulières comme son voyage récent vers Lampedusa à la rencontre des migrants. Jacques Cesa, c’est aussi des coups de gueule mémorables… Nous y reviendrons.

Peintre, graveur, homme engagé, il s’est éteint hier matin à l’HFR Fribourg après une pénible maladie. ll avait 73 ans. Nos pensées vont à sa femme, Hélène, et à ses trois enfants, Battiste, Adrien et Céline.

Jacques Cesa est né le 12 juin 1945, à Cerniat. Son père est un immigré italien, peintre en lettres, d’un naturel enjoué. Sa mère une Gruérienne. Chez le jeune homme pointe rapidement une sensibilité artistique évidente. Il suit l’Ecole cantonale des beaux-arts de Lausanne où il excelle comme graveur.

Avec ses tripes

Diplôme en poche, il fourmille de projets. Le début d’une carrière marquée par des milliers d’œuvres touchant une multitude de thèmes et appliquant une grande variété de techniques. Il peint la Gruyère, sa faune, sa flore, ses paysages, il peint les hommes, les femmes, il peint les voyages, il peint la vie. Et surtout, il peint avec ses tripes.

«C’est un coloriste superbe. Ses paysages sont conçus comme une valeur mystique, avec le souffle constant des quatre éléments. Ses paysans, déformés par le travail, émergent de ses tableaux avec un supplément de dignité», commentera Etienne Chatton, ancien conservateur du château de Gruyères, dans ces colonnes en juin 2000.

Jacques Cesa est entier. Dans les années 1970, les guéguerres avec le système se multiplient. Très marqué à gauche, il dit ce qu’il pense. Ou alors, il l’écrit. En juillet 1974, lorsque la police abat un jeune évadé de Bochuz, Jacques Cesa sort de ses gonds. Avec deux amis, il spraye: «Flics, tueurs, fascistes» sur des murs de la région. Dont celui de ce journal, tenu à l’époque par le redoutable Gérard Glasson. Le rédacteur en chef ne le rate pas, mais les deux hommes finissent par se rabibocher autour d’un verre.

Ce ne sera pas son seul fait d’armes: démission de son poste d’enseignant pour divergences de vues avec le directeur, censure d’une de ses expositions, plaintes, procès… Les tensions atteignent leur paroxysme quand L’adieu à la terre, une peinture murale qui orne un mur de la Grand-Rue de Bulle, est frappé d’interdiction. On y voit un paysan qui traie sans joie sa vache. Les couleurs – jaune, verte et bleue – sont vives et le style moderne est bien loin du lyrisme habituel.

Sacrilège, s’écrie le Conseil communal de Bulle. Jacques Cesa le vit mal, il est blessé. «C’était une façon de me naître, de dire “j’habite ici”. Durant dix ans, j’ai cherché mon identité de peintre. En me raccrochant à ma famille, à mes enfants qui naissaient. Je me suis resserré sur moi-même», déclara-t-il en 2000.

Par la suite, les crispations retombées, il réalisera de nombreuses œuvres visibles dans la région, comme le mur peint de la gare de Bulle en compagnie de cinq autres artistes. Il montera d’ailleurs au front en 2016 lorsque cette œuvre sera menacée par un projet immobilier. Pareil pour les fresques du Moderne, saccagées lors d’une rénovation.

Il était comme cela, Jacques Cesa, vite en colère, vite prêt à enterrer la hache de guerre. «Quelqu’un de contrasté, qui adorait débattre. A la maison, on s’engueulait régulièrement, mais le lendemain, tout repartait comme si de rien n’était. Jacques avait une grande capacité à tisser des liens avec les gens, même avec ceux qui ne pensaient pas comme lui. Une personne charismatique, très généreuse», relève Battiste Cesa, son fils.

«Je devais crier»

Quelquefois dans l’excès, mais toujours droit et fidèle à ses idées. En 2000, dans le cadre d’un portrait que lui consacre LaGruyère, il dit avoir changé: «Aujourd’hui, je suis sûr de mon langage. Mon propre travail m’a pacifié. Auparavant, j’étais maladroit; je devais crier pour me faire entendre.»

L’habitant de Crésuz a vécu de son art, tout comme il a vécu son art. Ses œuvres reflètent ses combats, ses pensées, ses sentiments. L’homme et l’artiste ne font qu’un, même si lui se voyait plutôt comme un artisan qui, chaque matin, a une grosse journée de travail devant lui.

Quand il décide de raconter sa région, l’homme passe plusieurs étés comme armailli dans un alpage. Avec sa grande barbe, il ne détonne pas dans le paysage. Il connaît la Bible sur le bout des doigts, il voyage beaucoup, en particulier en Italie où la quête de ses origines est toujours présente. Et toujours un projet d’avenir en tête, parce que, disait-il, «je serai mort quand je n’en aurai plus».

«Le plus beau cadeau qu’il nous ait fait est de nous avoir transmis sa passion pour la peinture, pour l’opéra, pour l’art en général. Il nous a aussi appris la tolérance, à être nousmêmes, à être ouverts aux autres personnes et aux autres cultures», ajoute son fils.

Un dernier hommage lui sera rendu samedi à 10 h en l’église Saint-Pierre-aux-Liens, à Bulle. A sa femme, à ses enfants, à ses proches, à tous ceux que son départ laisse dans la peine, La Gruyère adresse ses sincères condoléances. ■

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