Mieux comprendre la rue de la Sionge pour mieux la repenser

mar, 04. sep. 2018

PAR CHRISTOPHE DUTOIT

«Pour bien comprendre la rue de la Sionge, il faut commencer par comprendre la Grand-Rue.» Samedi, une cinquantaine de curieux – artistes, amis du patrimoine ou propriétaires concernés – ont suivi religieusement la visite guidée organisée à Bulle dans le cadre des Journées européennes du patrimoine.

«Remontons le temps jusqu’au 2 avril 1805», raconte Denis Buchs, conservateur honoraire du Musée gruérien et secrétaire de Patrimoine Gruyère-Veveyse. «Un incendie ravage la ville aux quatre cinquièmes et laisse à une population ruinée le devoir de reconstruire la cité.» L’autorité communale décide de conserver le rectangle d’origine et édicte des règles très strictes, comme l’obligation d’édifier des murs mitoyens jusqu’aux faîtes, d’utiliser des tuiles et de bâtir au maximum deux étages sur rez. Certains propriétaires reconstruisent très rapidement, à l’image de l’ancienne pharmacie du Serpent (Grand-Rue 3), en témoigne l’inscription 1805 sur le haut de la porte. D’autres mettront près de cinquante ans pour achever leur chantier.

Lecture sociale de la Grand-Rue

Un coup d’œil attentif au côté impair de la Grand-Rue livre une indication précieuse: le nombre de fenêtres par corps de bâtiment. «Le nombre d’axes permet une lecture sociale de la Grand-Rue, explique l’historien et enseignant Serge Rossier, vice-président de Patrimoine Gruyère-Veveyse. Les maisons des artisans possèdent trois axes, celles des professions libérales, des notables ou des auberges quatre, voire cinq axes.»

Ces précisions, les deux historiens y sont parvenus après des recherches menées cet été dans diverses archives. «Ainsi, du côté impair, nous savons qu’il y avait jadis cinq boulangeries, deux forges, deux pharmacies, un potier et cinq auberges, note Serge Rossier. Pour eux, l’arrière des bâtiments était très important. Ils ont bâti des entrepôts pour stocker de grande quantité de bois sec et leurs matières premières, mais ils ont également construit des écuries pour accueillir les chevaux, à l’exemple de l’arrière de l’auberge du Tonnelier, dont la façade montre aujourd’hui quelques lézardes.»

«Façades destinées à être vues»

Le côté est de la rue de la Sionge sert donc principalement à l’activité économique de la ville. «Mais les propriétaires avaient déjà un souci architectural pour ce côté-ci, qui était destiné à être vu.» Jusqu’en 1868 et l’arrivée du train Romont-Bulle, les habitants ne voyaient pas l’intérêt de s’étendre du côté ouest, sur ce qu’on appelait alors la Crapaudière, une zone marécageuse. Avec la construction de la gare, on a percé des ouvertures dans la Grand-Rue et la rue de la Sionge a perdu son rôle de limite de ville.

Fort de ces constats, Patrimoine Gruyère-Veveyse s’oppose donc à la volonté communale de supprimer la protection de certaines façades, de démolir certains rez-de-chaussée pour agrandir les surfaces commerciales et de favoriser la construction de «boîtes qui s’encastrent à l’arrière de la Grand-Rue».

«Nous sommes favorables à la densification des centres-villes, analyse Serge Rossier. Mais deux étages sur rez, comme proposé dans le Plan d’aménagement local, c’est quand même un peu violent. Il faudrait réfléchir autrement: pourquoi ne pas mandater une université ou une école d’architecture pour repenser la rue de la Sionge. Ne pourrait-on pas imaginer un vrai front de rue, avec des cours intérieures? Cela éviterait de défigurer les façades actuelles.»

Présents lors de la visite guidée, les propriétaires de la Grand-Rue 15 ont évoqué leurs doutes avec les participants: «Nous avons réalisé une étude préalable pour un bâtiment sur notre cour. Sur un si petit espace, les locations envisagées équilibreraient à peine les frais de construction. En plus, cela risquerait de dévaloriser la maison.»

Cette position illustre bien le questionnement général sur l’avenir de la rue de la Sionge. «Actuellement, la planification est abstraite, note Steve Gallay, président de Patrimoine Gruyère-Veveyse. Il faut que les nouveaux projets puissent s’intégrer au centre-ville historique sans le dénaturer.» ■


Recours toujours pendant à la DAEC
A la suite de la mise à l’enquête de la modification du Plan d’aménagement local (PAL) de Bulle, en novembre 2017, l’association Patrimoine Gruyère-Veveyse (PGV) a déposé une opposition. Après une première séance de conciliation, la commune de Bulle a levé cette opposition, provoquant un recours de PGV à la Direction de l’aménagement, de l’environnement et des constructions (DAEC), toujours pendant.

Dans l’intervalle, la commune de Bulle a remis à l’enquête plusieurs modifications de son PAL, avec une nouvelle opposition à la clé de la part de PGV… «Une prochaine séance de conciliation est agendée, explique Serge Rossier, vice-président de PGV. Plusieurs points seront mis sur la table, notamment le passé agricole de Bulle, la radiation de certains sites protégés au centre-ville, l’avenir du bas de la rue de Vevey ou la question des PAD cadre.» D’autres interrogations posent aussi débat, comme la pertinence d’installer des toits végétalisés ou des panneaux photovoltaïques sur des bâtiments classés. «Nous avons récemment organisé une visite similaire à celle de samedi avec les autorités bulloises. Nous sommes en très bons termes avec la commune, nous ne sommes pas du tout en conflit, précise l’historien. Nous contestons certains points de détail, mais pas l’ensemble du PAL. Dans le même ordre d’idées, je trouve par exemple le projet du café de la Promenade très réussi.» Comme quoi, Patrimoine Gruyère-Veveyse n’est pas systématiquement dans l’opposition… CD

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