PAR JEAN GODEL
Jeudi dernier, le préfet de la Gruyère Patrice Borcard faisait interrompre le chantier de la Laiterie Moderne, à Bulle. Il venait d’être informé que des travaux soupçonnés illégaux de rénovation y avaient cours, soupçons confirmés par un rapport express d’Alexandre Malacorda, chef du Service de l’aménagement de la commune, dépêché sur place.
Raison de la mesure: alors que le bâtiment est protégé, aucun permis de construire n’a été délivré à son propriétaire, la Société coopérative des producteurs de lait de Bulle et environs. L’affaire est d’autant plus délicate que ladite coopérative est présidée par Jean-Noël Gobet, conseiller communal à Vuadens et membre de la commission d’aménagement. Surtout, son secrétaire n’est autre que Patrice Morand, conseiller communal bullois chargé de l’Aménagement.
Le préfet, qui s’est fait remettre les plans, n’a aucun doute sur la nécessité d’obtenir un permis de construire: «Il s’agit d’une modification substantielle qui, au surplus, aurait dû faire l’objet d’un examen préalable auprès du Service des biens culturels.» La semaine prochaine aura lieu une vision locale.
Situation initiale
Jean-Noël Gobet explique que ce bâtiment possédait à l’origine deux appartements au 1er étage. Dans les années 1980, l’exploitant de l’époque avait percé la cloison les séparant et installé un bureau dans la cuisine de l’un d’eux. Le chantier a pour but de retrouver la situation initiale, avec deux appartements distincts et rénovés. De nouvelles fenêtres en bois doivent aussi être posées et l’électricité remise aux normes. L’appartement du 2e, lui, n’est pas touché. En revanche, un balcon, en très mauvais état, a déjà été refait. «A l’identique, assure Jean-Noël Gobet. Aucune modification de l’enveloppe n’est prévue.» Lui plaide la bonne foi: son comité a demandé au secrétaire si un permis de construire était nécessaire. «D’après les informations qu’il a obtenues de ses services, ce n’était pas le cas. Nous n’avions aucune raison d’en douter.» Cela dit, le président se veut clair: le comité n’avait pas la moindre volonté d’échapper à une mise à l’enquête, «ne serait-ce que par le fait que l’un de nos membres est chargé de l’Aménagement à Bulle.»
Simple réhabilitation
Ce membre, c’est donc Patrice Morand. Depuis l’Australie, où il est actuellement, le conseiller communal explique avoir reçu un feu vert informel de ses services, sans indiquer qui le lui a donné. «Surtout, argumente-t-il, il s’agit d’une simple réhabilitation, d’un retour à la situation d’origine de ces appartements devenus extrêmement vétustes. Nous voulions remettre en ordre quelque chose en désordre. Cela relève du bon sens. Et nous étions de bonne foi.» Mais il insiste sur le fait qu’au final, c’est bien le comité qui a endossé la responsabilité de lancer les travaux sans permis de construire.
Chef des départements Technique et Urbanisme de la ville de Bulle, Jean Hohl confirme sans autre avoir eu, en début d’année, un entretien informel avec Patrice Morand au sujet de ce projet. Et affirme ne pas avoir pu en prendre la réelle mesure avec les informations qui lui ont alors été livrées. «En résumé, il s’agissait de mettre un lit à la place d’un bureau! Alors en effet, une mise à l’enquête n’est pas nécessaire.»
Mais après avoir récemment vu les plans, son avis est tout autre: «Ils prévoient de nombreuses modifications. Si je les avais vus, il est certain que j’aurais indiqué qu’une mise à l’enquête était nécessaire.»
Aucune pression subie
Une chose est sûre, le Service technique n’a reçu aucune mise à l’enquête formelle. Et dès qu’il a été averti du lancement des travaux la semaine dernière, il est intervenu immédiatement. «On ne peut pas reprocher à la ville de ne pas avoir voulu réagir», souligne Alexandre Malacorda. Qui ajoute n’avoir reçu aucune pression du Conseil communal: «Nous avons agi avec ce propriétaire comme avec n’importe quel autre.»
Directeur de Générale Architecture, à Treyvaux, mandaté par la coopérative, Daniel Roux reconnaît avoir commis une erreur: «Nous aurions dû obtenir un ordre écrit du propriétaire avant de lancer le chantier. Or là, on a foncé tête baissée. Nous avons été naïfs.» Il précise toutefois que, pour l’instant, seuls des sondages ont été faits. «Mais nous allons reprendre le dossier à zéro.» ■
Règles claires et accessibles
Avant d’engager des travaux, tout propriétaire est censé savoir si son bâtiment est protégé: le PAL l’indique alors que le règlement communal d’urbanisme (RCU) définit l’étendue de la mesure de protection. La Laiterie Moderne, à Bulle, est protégée en catégorie 2 (sur trois). «Il ne s’agit pas d’une protection majeure», juge Patrice Morand, gérant de la coopérative propriétaire et conseiller communal bullois.
Pas si sûr, à lire les informations disponibles en trois clics sur le site de l’Etat de Fribourg. En catégorie 2, sont protégés, entre autres, l’enveloppe du bâtiment, ses structures primaire et secondaire, le gros et le second œuvres, l’organisation générale des espaces intérieurs et les éléments essentiels des aménagements intérieurs. L’article 177 du RCU ajoute qu’avant toute intervention sur un objet protégé, le Service des biens culturels est consulté et la procédure d’examen préalable doit être mise en œuvre.
«On peut toujours plaider l’ignorance et prétexter de simples travaux d’entretien, mais les explications sont facilement accessibles et toute personne impliquée dans la rénovation le sait», souligne Anna Russo, directrice de l’entreprise Anna et Joseph Russo, spécialisée dans la rénovation de bâtiments anciens, à Fribourg. Surtout, il existe des procédures simplifiées pour les interventions de moindre envergure qui raccourcissent les délais, souvent très longs.
Patrice Morand assume: si erreur il y a, la coopérative propriétaire la reconnaît et fera désormais les choses en règle. «Même si les lois et les règlements sont parfois sujets à interprétation», se défend le responsable de l’aménagement bullois. JnG
Commentaires
Albert Barras (non vérifié)
jeu, 13 déc. 2018
Arnold Pasche (non vérifié)
jeu, 13 déc. 2018
Ajouter un commentaire