Perché dans le clocher, il fait chanter son carillon

jeu, 27. déc. 2018
Après avoir attaché les battants des dix cloches (photo du bas), Frank Aellen tape avec dextérité et finesse sur son carillon à leviers. PHOTOS ANTOINE VULLIOUD

PAR VALENTIN CASTELLA

CARILLON. Tous les habitants de Bulle l’ont au moins entendu une fois. En se promenant, en ouvrant les fenêtres ou sur le parvis de l’église Saint-Pierreaux-Liens. Mais rares sont ceux qui l’ont vu en action. Pourquoi? Parce que Frank Aellen exerce son art à l’abri des regards, dans le clocher. Sa mission: faire sonner les dix cloches et annoncer ainsi les grandes fêtes religieuses.

Noël fait partie des rendez-vous incontournables. Et le jardinier indépendant de 50 ans n’a pas chômé durant cette période. Messe des familles, messe de minuit et celle du 25 décembre au matin: ces derniers jours, le Gruérien a vécu dans son clocher.

Avec un enthousiasme communicatif, il décrit d’abord ses cloches avant de les faire sonner. Après avoir monté plusieurs étages, on arrive sous ces immenses instruments. «Le bourdon, la plus grosse pièce, pèse 3160 kilos, détaille-t-il. La plus petite, ajoutée en 2005 lors de la commémoration de l’incendie de 1805, pèse 260 kilos. Celles qui donnent les notes do et ré datent, elles, de 1809.»

Avant de partager son art avec la population, Frank Aellen prépare ses instruments. «Les plus grosses fonctionnent à la volée et mécaniquement. Pour jouer des mélodies, je dois attacher les battants avec des câbles, afin de les maîtriser. Ces câbles sont ensuite reliés au clavier, situé à l’étage inférieur.»

Ainsi, le Bullois attache les dix battants, empruntant vieilles échelles et planches de bois pour les atteindre. Une tâche qui lui prend à chaque fois entre quinze et trente minutes. «Il faut avoir une certaine condition physique et être toujours attentif et méthodique, afin de ne pas se blesser et surtout de ne pas abîmer les cloches et les installations.» Ils sont quatre carillonneurs en Gruyère.

Témoins de l’histoire

C’est qu’il les aime ses bébés. «La recette de fabrication n’a pas changé depuis des millénaires. Leurs sons ont marqué la vie de civilisations entières. Elles sont les témoins de l’histoire.»

Une fois les battants attachés, le membre de la Guilde des carillonneurs et campanologues de Suisse descend d’un étage pour retrouver son carillon à leviers, «ou manche de brouette, en raison de la forme des touches en bois». Il s’agit de l’un des derniers carillons de ce type en Suisse. Devant lui, dix «manches de brouette» faisant résonner autant de notes. «Aujourd’hui, on va évidemment interpréter des chansons de Noël. Sinon, je m’adapte aux différentes fêtes. A Pâques par exemple, je joue souvent les Quatre saisons de Vivaldi, pour célébrer le printemps.»

Les Bullois ont aussi parfois été surpris d’entendre d’autres mélodies. L’intéressé possède un répertoire de 300 chansons. Des religieuses, mais pas que… «J’essaie de varier et surtout de me faire plaisir, en intégrant aussi des airs modernes et de la chanson française. Etant musicien, j’adapte les partitions en les réécrivant.» Pink Floyd, Adèle, Yves Montand, Renaud… «Je me souviens de la première fois que j’ai interprété L’important c’est la rose, de Gilbert Bécaud. Sur le parvis de l’église, les gens étaient très surpris et surtout heureux. Beaucoup de personnes m’ont félicité.»

Faire passer des messages

S’il adore se retrouver seul dans son clocher, Frank Aellen fait surtout chanter ces monstres de bronze pour les habitants. «Je ne suis pas sur Whats-App ou sur les réseaux sociaux. Ces cloches sont ma manière de faire passer des messages, d’essayer de rendre les gens contents. Souvent, je pense aux résidents de la Maison bourgeoisiale, qui sont dans leur lit juste à côté de l’église. Je leur permets d’entendre de jolies mélodies. Et je joue toujours deux chansons pour mon épouse.»

En ce matin du 25 décembre, les Bullois ont eu droit à un «concert» de quarante minutes. Des airs connus de tous, dont quelques œuvres de l’abbé Bovet. Assis sur sa chaise, Frank Aellen frappe avec minutie, force, délicatesse et dextérité sur ses «manches de brouette». Comme un joueur de piano, il est habité par la mélodie, ferme parfois les yeux et hoche la tête, lorsqu’il se trompe sur une note. «C’est toujours du live, on ne peut pas s’entraîner. Ce ne serait pas très discret. Alors, je répète chez moi, sur un piano, et je me lance. J’ai appris sur le tas en compagnie de mon prédécesseur Albert Geinoz. Une année d’apprentissage, avant de devenir titulaire du poste, que j’occupe depuis dix-huit ans.» Sans aucune lassitude? «Ah non! Le plaisir est toujours le même. Me retrouver par exemple seul le soir du 24 décembre à minuit sous les cloches qui battent à la volée est un moment privilégié qui me procure toujours autant de joie.» ■

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