Le jeûne, ne plus manger pour mieux manger

mar, 15. Jan. 2019

PAR KARINE ALLEMANN

Eh oui! Il arrive que certaines résolutions de la nouvelle année soient suivies d’effets. On ne parle pas ici d’arrêter de se plaindre ou de limiter l’achat de chaussures, mais d’écouter la petite voix intérieure qui invite à prendre soin de soi. Pour de vrai. Par exemple en accordant une attention toute particulière au véhicule qui nous permet de traverser l’existence: notre corps.

Le mois de janvier sans alcool, un jour sans manger par semaine, la monodiète (un seul aliment consommé durant une période), le jeûne intermittent, la cure détox ou carrément le jeûne de plusieurs jours pratiqué seul ou en groupes, lors de stages organisés: chacun y trouve son compte dans la large palette proposée pour donner un peu d’air à un organisme mis à rude épreuve par les repas de fêtes. Entre Noël et Nouvel-An, c’est bien connu qu’on a tendance à alterner les menus trop riches en viande avec… une raclette ou une fondue.

Que l’on recherche un bien-être physique ou moral, voire émotionnel (témoignages ci-contre), le jeûne strict d’une ou plusieurs semaines est à la mode. La question est de savoir s’il fait vraiment du bien à l’organisme. Et pourquoi. Beaucoup de théories existent sur le sujet, les fausses croyances aussi. Pour décortiquer le vrai du faux, le docteur Vittorio Giusti livre son éclairage scientifique. Responsable du Centre métabolique à l’HFR Fribourg - Hopital cantonal, le médecin met en garde contre les excès en tout genre.

Un jeûne peut-il avoir un effet positif sur le corps?
OUI

Le spécialiste du métabolisme avertit: «L’impact de ce genre de démarche est très controversé dans le milieu médical. Mais le jeûne commence à être reconnu pour soigner certaines maladies et il peut avoir un effet positif sur le corps, dans certaines situations.»

Vittorio Giusti l’explique: un jeûne court (aucune consommation solide, uniquement de l’eau et des tisanes pendant 1 à 5 jours) peut avoir des effets positifs. Un jour sans manger permet d’évacuer une partie des graisses qui se sont accumulées à l’intérieur du foie. Si le jeûne se poursuit jusqu’à cinq jours, il active un système de défense dans l’organisme, et cela a un effet antioxydant. Car, sans apport calorique, le corps va commencer par éliminer les calories en excès. Le corps va se nettoyer en éliminant les cellules qui ne sont pas très bien. Aujourd’hui, le monde scientifique travaille beaucoup sur le jeûne en oncologie. Priver son corps de tout apport calorifique pendant un ou deux jours a un effet favorable sur les cellules cancéreuses, qui sont les premières à être éliminées.

Tout le monde peut-il jeûner?
NON

Une mise en garde: si le jeûne de quelques jours peut se pratiquer plusieurs fois par année et à n’importe quel moment, tout le monde ne peut pas le pratiquer: «Notamment les personnes âgées dénutries. Malheureusement, avec l’âge, souvent on ne mange pas suffisamment. Donc, quand il y a déjà des carences, il faut éviter les restrictions alimentaires trop sévères. Idem pour les diabétiques ou les personnes qui suivent un traitement médicamenteux. En présence d’une maladie chronique, il faut évaluer la situation et demander l’autorisation à son médecin.» Et, bien sûr, pendant un jeûne il est très important de boire en suffisance: de l’eau et des tisanes sans sucre.

Plus le jeûne est long, plus son impact positif est grand?
NON

«Un jeûne agit énormément sur les hormones. Après trois jours sans apport en sucre, l’organisme se met en état de cétoacidose, ce qui coupe l’appétit. Et, pour se protéger, le corps active des hormones, notamment l’adrénaline, qui provoque un état d’euphorie. L’endorphine est activée, la cortisone augmente: c’est la lune de miel du jeûne. Cette adrénaline commence à redescendre dès le cinquième ou sixième jour. Et là, des complications peuvent se produire: problèmes de carences, réduction des défenses immunitaires… L’organisme commence à utiliser les protéines des muscles. Dès lors, dès que la personne recommence à manger, l’organisme va stocker davantage de graisse.»

Interrogé sur la possibilité de vivre plusieurs années sans manger, nourri uniquement par l’énergie pranique (lire ci-contre), le scientifique est catégorique: «Ce n’est pas possible. L’organisme a besoin de se renouveler toutes les trois à quatre semaines. Et il ne peut le faire sans apport en aliments. Dès lors, nous ne pouvons pas vivre en restriction totale de nourriture au-delà de deux ou trois semaines.»

Le jeûne a-t-il un effet anti-inflammatoire?
OUI

«Absolument, même si on ne comprend pas encore totalement pourquoi.» Vittorio Giusti précise: «Aujourd’hui, la seule étude scientifique qui démontre un effet positif, c’est en oncologie. Mais des études sont en cours en rhumatologie. On sait qu’un ou deux jours de jeûne auront un effet anti-inflammatoire. Car l’organisme active un effet antistress extrêmement efficace pour atténuer les inflammations (n.d.l.r.: par exemple inflammations de l’intestin ou maladies chroniques du type arthrite, spondylarthrite…). Pour l’instant, on ne sait pas encore très bien pourquoi la restriction totale de nourriture a cet effet. Mais on commence à l’activer pour soigner certaines maladies.»

Une «cure détox» grâce à des aliments spécifiques est-elle efficace?
NON

pour préparer son été à la plage, les magazines proposent énormément de «cures détox», grâce notamment à des aliments détoxifiants. Pour Vittorio Giusti, il s’agit avant tout de marketing: «Il n’existe aucun aliment miracle. Boire du jus de citron le matin, ça ne fait pas de mal. Mais ça n’a rien de magique non plus. Bien sûr, certains aliments riches en fibre (petits pois, épinards, pommes de terre, lentilles, pois chiches, choux de Bruxelles, fruits…) sont efficaces pour nettoyer l’intestin. Comme d’autres permettent d’évacuer l’eau. Mais, le plus important, c’est d’avoir une alimentation variée, équilibrée, et pas trop riche en graisse.»

Le jeûne intermittent favorise-t-il la perte de poids?
NON

Durant toute l’interview, le spécialiste de l’obésité le martèle: il ne faut pas se lancer dans un jeûne en voulant perdre du poids. Non seulement la démarche est inefficace, mais dangereuse. «Se mettre dans un état de restriction et de frustration a pour résultat systématique une reprise de poids plus importante dès que le jeûne est terminé. C’est pareil pour les régimes», réaffirme Vittorio Giusti.

Reste que le jeûne intermittent (chaque jour, la personne peut manger pendant un laps de huit heures, puis ne mange rien du tout pendant seize heures pour laisser son système digestif au repos) peut avoir pour conséquence une perte de poids. «Ce sujet m’interpelle beaucoup, mais pour moi, il n’y a aucune évidence. N’oublions pas que la perte de poids doit toujours s’envisager sur le long terme, pas sur du court terme. Et puis, au niveau scientifique, nous n’avons pas encore toutes les réponses. Une alternance peut avoir un effet positif sur la stimulation des hormones. Mais, quand on le fait de manière répétée, l’organisme s’adapte. Donc l’effet est positif pendant une période, mais disparaît si cette alternance devient une routine.» ■


Ce qui se passe en cas d’excès pendant les fêtes

La fin de l’année est propice aux repas trop riches, accompagnés de bonnes bouteilles. Alors oui, cette période peut avoir un effet très concret sur notre organisme. «L’impact se situe surtout au niveau du foie, précise le docteur Giusti. Notamment quand la consommation d’alcool augmente ou en cas d’excès de calories. Cela favorise l’accumulation de graisse au niveau du foie, car c’est là que le corps stocke en premier ces excès. Si on faisait une prise de sang, on verrait que les valeurs hépatiques sont perturbées.»


 «Le corps se met en mode guerrier»

JEÛNE HYDRIQUE. Sa spécialité, c’est les organes. Ostéopathe à Bulle, Florian Walzinger (44 ans) enseigne l’ostéopathie viscérale à la Haute Ecole de santé Fribourg. La nutrition et le jeûne sont des sujets qu’il évoque avec ses élèves. D’autant plus que le Tourain pratique lui-même quatre fois par année: soit une semaine de jeûne par saison, avec pour seule consommation de l’eau et des tisanes. «Je suis persuadé des bienfaits du jeûne. D’ailleurs, il m’arrive de le conseiller à mes patients. Toutefois, je ne prétends pas être un spécialiste de la nutrition, ni du jeûne. Mais j’ai pu expérimenter les effets bénéfiques. Et quand un patient vient pour une consultation pendant ou juste après un jeûne, c’est impressionnant de voir à quel point son corps répond à chaque manipulation. Comme il n’est pas entravé par l’inflammation digestive, on peut travailler avec beaucoup d’efficacité.»

Pourquoi ça l’intéresse? «Parce que le jeûne existe depuis toujours et qu’il est présent dans toutes les religions. Hippocrate, le fondateur de la médecine, disait déjà que “des remèdes pouvaient être trouvés dans notre alimentation, mais que seul le jeûne avait des pouvoirs miraculeux de guérison”. La médecine actuelle ne s’y intéresse pas suffisamment, car ça ne coûte rien. Dans un reportage passionnant diffusé sur Arte, un médecin disait que s’il pouvait concentrer tous les résultats obtenus par le jeûne dans une pastille, son téléphone sonnerait sans arrêt pour l’acheter…»

L’idée de départ? «De par mon métier sans doute, j’avais envie de détoxifier et de nettoyer mon corps. Il existe énormément de bouquins ou de choses sur internet. Je me suis dit OK, je sais que je peux jeûner sans risque pendant une semaine, alors je vais y aller comme ça. Normalement, il faudrait se préparer avant,

et surtout gérer le retour à la normale. Ce que je n’ai pas le temps de faire. Pendant mon jeûne, je fais à manger aux enfants, je vais faire les courses, c’est déjà assez compliqué de tenir sur une semaine.»

Sa semaine de jeûne? «C’est un jeûne hydrique. Je bois de l’eau et j’en profite pour compléter avec des tisanes détoxifiantes ou bonnes pour le foie. Mais rien de nourrissant comme le bouillon de légumes ou les jus de fruits, très sucrés.

»Les deux premiers jours, on peut souffrir de maux de tête, car le corps manque de sucre et vit sur les réserves. Le troisième jour, le corps se met à puiser dans les réserves de graisses. C’est là que le jeûne commence. En général, c’est le jour le plus compliqué, car il y a un grand bouleversement. Dès le quatrième jour, l’intestin est au repos, notre corps commence à se nettoyer et il se met en mode guerrier. C’est là que ça devient intéressant, car on se sent vraiment plus fort. Le matin, j’ai l’impression d’avoir acheté des nouvelles lunettes et que j’ai une vision en haute définition.

»A la fin de la semaine, je suis tellement bien que je n’ai pas envie d’encrasser mon corps. Naturellement, je vais le nourrir de choses saines. Et, mentalement, il y a un côté très jouissif dans le fait de contrôler son réflexe primaire qui est de manger.»

A quel rythme? «Moi, j’ai choisi de le faire une fois par saison, soit quatre fois par année. Parce que je sens qu’après trois mois, j’en ai à nouveau besoin. Beaucoup de gens veulent le faire après les fêtes, pour éliminer les excès. Mais le jeûne hivernal est le plus difficile: il fait froid, il y a moins de soleil, on a tous moins d’énergie. Au printemps, quand tout s’éveille, c’est beaucoup plus facile.»

Pour bien accompagner le jeûne? «Tout ce qui est activité thermale, bains, sauna, hammam… c’est vraiment génial. Et quelque chose de très intéressant, mais qui n’est pas facile d’abord pour les gens, c’est une hydrothérapie du colon, c’est-à-dire se faire nettoyer le gros intestin à l’eau, chez un professionnel. C’est absolument basique et sans douleur. Avec cela, en complément à un jeûne, on est vraiment dans la détoxication du corps.» KA


«Un nettoyage émotionnel»

JEÛNE PRANIQUE. Elisabeth Scheuplein, bientôt 64 ans, a pratiqué différents jeûnes ces vingt dernières années. En mars dernier, la Charmeysanne a découvert la «pause alimentaire» prônée par les adeptes du Prana. Le Prana étant, pour les participants, le souffle d’énergie, ou vital, que l’on retrouve en toute chose: le soleil, les plantes, l’air… Concrètement, Elisabeth Scheuplein n’a absorbé que de l’eau et des tisanes pendant trois semaines.

Pourquoi un jeûne? «La première fois, c’était très clairement pour perdre du poids. Ce qui est idiot, car ce poids perdu, on le reprend immédiatement, et même plus. Maintenant, ma démarche est plus spirituelle, j’ai fait du chemin. En 2016, on m’a diagnostiqué un cancer du sein avec opération obligatoire. J’ai décidé de faire un jeûne de cinq jours juste avant. Pour moi, il était évident que je devais faire une coupure avant de commencer le processus. Et ça m’a beaucoup aidée, je suis passée au travers très rapidement.»

La cure Prana, comment ça marche? «La première semaine, je suis restée à la maison. J’avais un contact téléphonique matin et soir avec le Français Gabriel Lesquoy, qui organise des séjours de jeûne pranique. Ensemble, on faisait un peu de méditation. Les trois ou quatre premiers jours sont assez difficiles. On sent que le corps se vide, se nettoie. Ça allait mieux par la suite. France, avec 15 autres personnes qui participaient au stage avec le même guide. Nous pratiquions la méditation matin et soir, et la journée nous pouvions nous promener ou participer à des réunions. Je me sentais vraiment bien. Après un nettoyage plutôt physique la première semaine, pendant le stage, il s’agissait plutôt d’un nettoyage émotionnel, avec quelques hauts et quelques bas. C’est une sorte de retour sur soi, un voyage intérieur. Je n’étais pas sûre de tenir les trois semaines. Mais je me sentais tellement bien que j’ai poursuivi chez moi pour sept jours de plus, à nouveau avec les contacts téléphoniques avec le guide. Ne rien manger pendant toute cette période n’a pas été difficile. D’ailleurs, mon fils, qui n’avait jamais pratiqué le jeûne, est venu avec moi en France et il a facilement effectué cette semaine sans manger.»

La «nourriture pranique», c’est quoi? «C’est comme de la visualisation. Pendant la méditation ou en promenade, on prend conscience que la nourriture n’est pas forcément matérielle. On aspire de l’énergie. Comme les plantes, qui se nourrissent du soleil et de l’eau contenue dans l’air.»

Le risque de passer pour une illuminée? «C’est sûr! La plupart des gens ne veulent pas croire que notre coach ne mange plus depuis 2014. Mais ça m’est égal. J’avais effectué des recherches avant de me lancer. Comme je fais beaucoup de développement personnel depuis plusieurs années, j’ai vu de tout. Là, il s’agit d’un infirmier qui a complètement les pieds sur terre. Et puis, cette démarche, je la réalise pour moi, je ne cherche pas à convaincre qui que ce soit. De toute façon, même si on explique à quelqu’un qu’un jeûne lui ferait un bien énorme pour sa santé, ça ne sert à rien. Pour se lancer, il faut une sorte d’appel intérieur. Et se dire, après tout pourquoi pas?»

Quels effets sur le long terme? «Cette expérience offre une certaine liberté, car j’ai pu me rendre compte qu’il était possible de ne pas manger pendant trois semaines. Et non seulement on n’est pas mal, mais on est mieux que d’habitude. Je me suis sentie plus vivante. Je vais d’ailleurs refaire ce stage en mars.» KA

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