«Il n’y a pas un jour où l’on ne remercie pas Marguerite Bays»

jeu, 14. fév. 2019
Norbert et Virginie Baudois, 88 et 22 ans, feront le déplacement jusqu’à Rome cet automne pour la cérémonie de canonisation de Marguerite Bays. ANTOINE VULLIOUD

PAR CLAIRE PASQUIER

Pour atteindre la ferme des Baudois à Siviriez, on emprunte la route de La Pierraz. La Pierraz, c’est le lieu-dit où Marguerite Bays a vécu toute sa vie, de 1815 à 1879. A un kilomètre et demi de ce lieu mystique, la grande demeure familiale se dresse dans le blanc de l’hiver. Le chien accueille fougueusement les visiteurs, la famille, chaleureusement.

«Il n’y a pas un jour où l’on ne remercie pas Marguerite Bays.» Assis à la table de la cuisine, Norbert Baudois, sa petite-fille Virginie et sa bellefille Eliane reviennent sur cet accident, ce «moment douloureux», qui, en toute logique, n’aurait pas dû avoir l’issue qu’on lui connaît aujourd’hui. Reconnu comme tel, ce miracle permettra la canonisation de la bienheureuse (lire cidessous).

L’événement remonte au 6 mars 1998. Avec quatre de ses petits-enfants, Norbert Baudois retire les barrières pare-neige sur le domaine familial. Virginie, 22 mois, et sa sœur âgée de 8 ans, sont assises sur le tracteur lorsque la petite chute. Le grand-papa ne peut la dégager à temps. La roue l’écrase alors sur toute sa longueur, tête comprise. Il la ramasse inerte… Mais quelques secondes plus tard, Virginie commence à pleurer dans ses bras. Il remercie immédiatement Marguerite Bays à haute voix. «Elle devait être écrabouillée morte. Cela ne pouvait pas être autre chose qu’un miracle», affirme-t-il, les yeux humides en direction de sa petitefille. Pourquoi avoir invoqué la bienheureuse? L’agriculteur et sa femme Yvonne la prient chaque soir pour protéger leurs petits-enfants. «Depuis le jour où j’ai vu un tableau représentant Marguerite Bays entourée d’enfants.»

L’un de ses cinq garçons emmène immédiatement Virginie à l’hôpital de Billens, les parents étant au Salon de l’agriculture à Paris. «J’ai été convoqué à l’hôpital pour expliquer ce qu’il s’était passé. Les médecins ne voulaient pas y croire.»

«C’était inconcevable»

Eliane Baudois rentre le lendemain avec le premier TGV. «J’avais reçu de bonnes nouvelles. Mais en voyant mon beau-père tout démuni à la maison et la combinaison de ma fille sur laquelle on voyait clairement les traces de roues, je ne savais pas comment j’allais la retrouver.»

A Billens, on lui annonce que Virginie n’a absolument rien: ni les organes internes ni le squelette ne sont touchés. Seuls quelques bleus causés par la chute sont visibles. «C’était inconcevable.» La petite fille est gardée trois jours en observation. «Mais je n’étais pas rassurée, je l’ai emmenée faire d’autres tests chez des ostéopathes.» Le grand-papa demande aussi l’avis de son médecin: «Il me disait que les os à cet âge-là sont souples. Raison de plus pour qu’elle se fasse complètement écraser, non?»

Le jour même, il se rend sur les lieux de l’accident avec l’un de ses fils: «On voyait les traces de la roue sur le sol, puis plus rien sur 80 centimètres et les traces qui continuaient après.» Les jours suivants, Norbert Baudois s’agace de lire la presse. «On racontait que la petite avait été enfoncée dans le sol soi-disant boueux», retrace-t-il, encore affecté par ces «fake news» de l’époque.

La Fondation Marguerite Bays et son président Jean-Paul Conus mis au courant, tout s’enchaîne. «Comme un miracle n’arrive pas chaque semaine dans chaque paroisse, la procédure pour le faire reconnaître a dû être reprise plusieurs fois pour correspondre au cadre voulu par Rome», indique Eliane Baudois. Ellemême a dû témoigner et jurer la vérité sur la Bible. La sœur de Virginie a aussi dû raconter sa version malgré son jeune âge, ainsi que son beau-frère qui l’a conduite à l’hôpital.

Le tracteur analysé

Mais celui qui a témoigné maintes fois devant le tribunal diocésain, c’est Norbert Baudois: «Les juges reviennent sur tout pour être sûr que l’on n’invente rien. Il y a tellement de gens qui ont déclaré de faux miracles.» Un jour, un Monseigneur se rend sur l’exploitation avec un spécialiste des tracteurs. «Il a tout passé au peigne fin: la plate-forme, la hauteur et la largeur des roues. Même la largeur entre les crampons des pneus pour s’assurer qu’elle n’était pas passée entre les crampons.»

En 2016, Virginie Baudois passe des tests médicaux pour le dossier de canonisation. «C’était simplement pour contrôler ma respiration, ma mobilité. Pour attester que je n’avais rien», retrace la jeune femme.

Voyage à Rome

A l’annonce de la canonisation de Marguerite Bays, Norbert Baudois s’est senti heureux pour elle, avant tout: «Elle le mérite. C’était déjà une sainte avant sa mort.» La famille se rendra bien entendu à Rome pour la cérémonie en automne prochain. «Ce sera exceptionnel de vivre cela. C’est particulier de connaître le dénouement de l’affaire. En principe, cela arrive des années plus tard», note Eliane Baudois. La famille qui pratique sa foi dans la même discrétion que la bienheureuse la prie chaque jour et se rend aux messes d’action de grâces les 27 du mois, jour de sa mort. «Le miracle n’a pas modifié mes pratiques et mes croyances. Je ne m’expose pas et ne demande pas à tout le village d’y croire», confie la maman.

Quant au grand-père pieux, il se rend tous les vendredis dans la maison de Marguerite Bays, où il récite le chapelet avec d’autres fidèles. «Ce sera la première laïque suisse à devenir sainte, vous savez», relève-t-il avec une pointe de fierté. ■


«Miraculée, mais pas spéciale»

Virginie Baudois est une jeune femme de 22 ans «comme tout le monde». Yeux verts maquillés avec soin (elle travaille comme esthéticienne dans un institut bullois), longs cheveux lissés, la jeune femme au caractère entier répond à nos questions avec assurance, sans prendre de pincettes. «Faut pas idéaliser le truc», argue-t-elle. Trop petite pour se souvenir de l’événement, elle a tout de même grandi marquée par cette protection divine.

Derrière ce titre de miraculée, qui est Virginie Baudois?

Virginie Baudois. D’abord ce n’est pas parce que je suis miraculée que je suis quelqu’un de spécial. Moi, je vis ma vie de tous les jours (rires). Comme les jeunes de 22 ans, je regarde des séries, je sors le week-end, je suis membre de la société de jeunesse, j’aime bien me balader…

Comment grandit-on avec une histoire pareille?

Depuis petite, je suis «la» Virginie de l’accident, mais je ne réalisais pas l’importance de l’histoire. Je savais que j’avais de la chance, mais c’était trop abstrait. Et puis j’ai grandi. Parfois des clients font le rapprochement entre mon nom et d’où je viens, Siviriez, alors je leur dis que c’est moi. Je ne le cache pas, mais je ne m’en vante pas non plus. C’est une chance que d’autres n’ont pas eue. Il y a eu une phase de questionnement: pourquoi moi et pas un autre? Aujourd’hui, je dis juste merci.

Est-ce que ça donne un sentiment d’invincibilité?

Je ne peux pas dire, non. Par contre, les copains me disaient souvent: «Tu peux faire ce que tu veux, tu es protégée. Que tu ailles en bob, que tu prennes la voiture, le boguet, il ne pourra rien t’arriver.» Je sais que j’ai un ange audessus de moi, mais ça ne veut pas dire que je suis épargnée à vie.

Qu’en pensent vos amis d’ailleurs?

Je n’en sais rien. Mes amis sont ceux que je côtoie depuis l’école primaire, donc ils connaissent l’histoire. Qu’ils y croient ou non ça m’est égal. En revanche, mon copain y croit. C’était important qu’il soit croyant. Ça fait partie de moi, alors soit tu prends soit tu pars (rires).

Qu’est-ce que vous inspire la figure de Marguerite Bays?

Elle a toujours fait partie de notre famille. C’est ma protection. Dès que je me confie à Dieu, c’est d’abord à elle que je pense. C’est elle que j’invoque. Je me rends aussi aux messes tous les 27 du mois. J’ai lu un livre sur sa vie. Il faut que je lise les autres d’ailleurs (sourire). CP


Deux miracles certifiés pour devenir sainte

Le miracle survenu à la famille Baudois a permis la prochaine canonisation de Marguerite Bays (LaGruyèredu 17 janvier). «L’Eglise a besoin de deux miracles pour promulguer une canonisation», explique Norbert Baudois. Le premier date de 1940: un abbé avait survécu à un accident de montagne à la Dent-de-Lys qui avait coûté la vie à ses compagnons. L’intercession a été reconnue 53 ans plus tard. La bienheureuse de Siviriez deviendra la première sainte du canton. CP

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