Une gravière qui refait surface crée des remous à Botterens

mar, 16. avr. 2019
Le périmètre principal de la gravière de Champ-Vuarin (en hachuré violet) se situe au sud de la zone d’activité. Enserré par celle-ci sur son flanc ouest, un second périmètre, plus petit, domine l’ancienne gravière de la Fin-du-Chêne, comblée durant les années 1980. INFOGRAPHIE ADMIN.CH / LA GRUYÈRE - PHOTO ANTOINE VULLIOUD

PAR JEAN GODEL

POLÉMIQUE. C’est au dernier Carnaval de Broc que des habitants du quartier du Chamois, à Botterens, ont appris par hasard qu’une gravière allait s’ouvrir à côté de chez eux. La plupart n’en reviennent toujours pas. Ils n’avaient jamais entendu parler de la mise en exploitation, prévue en 2020, de la gravière de Champ-Vuarin, à l’entrée sud du village.

En mal d’explications et inquiets, 42 villageois ont donc signé une lettre demandant au Conseil communal d’organiser une séance d’information. Les autorités ont accédé à la demande et cette séance publique aura lieu ce soir à 19 h, à la salle communale de Villarbeney. Organisée par la commune, elle sera conduite par l’entreprise Grisoni-Zaugg SA, exploitante de la future gravière.

Communication défaillante

En fait, ces citoyens – qui ont lancé un groupe WhatsApp et tiennent à ne pas être nommés séparément – jugent défaillante la communication des autorités communales. «Avant de s’installer, plusieurs arrivants se sont inquiétés auprès de la commune d’éventuelles nouvelles nuisances, raconte l’un d’eux. Or, on leur a répondu que rien n’était prévu.»

Encore en mars 2017, lors de la séance d’information sur la révision générale du plan d’aménagement local (PAL), aucune mention n’a été faite de la gravière de Champ-Vuarin: «On y était tous, la salle était bondée, mais les autorités n’ont rien dit.» Certes, un paragraphe du dossier final d’approbation du PAL était consacré aux gravières en général. Mais, pour autant qu’on l’ait lu, personne n’y a prêté attention: «Après la séance d’information, on était confiants.»

Au Plan sectoriel d’exploitation des matériaux, Champ-Vuarin est étonnamment mentionné en tant que gravière en exploitation. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, son périmètre n’a jamais été qu’un vaste champ, où se sont d’ailleurs déroulées les dernières Rencontres des jeunesses gruériennes d’hiver, en février. Voilà qui pourrait expliquer une certaine confusion. «Des anciens du village ont cru qu’on parlait de l’ancienne gravière de la Fin-du-Chêne», assure un des signataires. Ouverte à la fin des années 1960 en aval de Champ-Vuarin, celle-ci a été comblée durant les années 1980. «Or on attend de nos élus une information transparente.»

Première étude en 1992

Champ-Vuarin ne date pas d’hier: la première étude préliminaire remonte à 1992. En 1997, Grisoni-Zaugg fait établir un rapport d’impact, validé par le canton en 2000. La même année, le périmètre passe en zone de gravière et le permis de construire est délivré par la Préfecture.

Dans sa première version, Champ-Vuarin se divisait en trois secteurs: l’un (le principal) entre la station de transformation électrique et l’usine Mecaplast, l’autre en bordure de la zone artisanale, en amont de l’ancienne gravière de la Findu-Chêne, le troisième enfin entre Mecaplast et les premiers immeubles, le long de la route cantonale.

Ce dernier secteur a été retiré du projet en 2006 pour passer en zone d’activité. D’où une modification du permis de construire autorisée par la Préfecture cette même année. Depuis, plus rien. Si ce n’est l’apparition de maisons à la route du Villard et dans les quartiers du Chamois et de la Rochetta, qui dominent le site.

Questions en suspens

Les signataires insistent sur le fait qu’ils ne remettent pas en cause la légalité de la gravière. Mais ils se posent plusieurs questions. D’abord: comment se fait-il qu’un permis d’exploiter reste valable dix-neuf ans sans qu’aucune exploitation réelle n’ait été constatée? Qu’en est-il du trafic de camions, sachant que le gravier sera acheminé en grande partie à la centrale de traitement de Sorens?

Plus globalement, qu’en estil de la validité d’une étude d’impact établie il y a vingtdeux ans? Entre-temps, la population de Botterens et des villages traversés par les futurs camions a crû de 65% en moyenne. Selon qu’ils passeront par Corbières ou Broc et la H189 – dans les cartons en 1997 – c’est à chaque fois plus de 6000 personnes qui seront impactées, a calculé un habitant: à Botterens, Villarvolard, Corbières, Echarlens, Riaz, Vuippens et Broc.

En outre, en 2009, la Confédération a élevé au rang de réserve d’oiseaux d’eau et de migrateurs d’importance nationale la zone alluviale de Broc, sur le lac de la Gruyère, à 100 m de la future gravière. Autant de motifs qui poussent ces habitants à exiger une nouvelle étude d’impact.

Sécurité des enfants

«La vraie question est celle de la sécurité, notamment de nos enfants et de ceux des villages voisins», résume l’un d’eux. Tous insistent pourtant sur un point: il n’est pas question de partir en guerre contre ce projet, encore moins de briser «l’excellente ambiance» qui règne au village.

«Nous sommes extrêmement attachés à Botterens. Mais nous voulons être sûrs que toutes les mesures seront prises pour réduire au maximum les nuisances liées à l’exploitation de cette gravière et garantir une sécurité totale. Or, pour cela, nous avons besoin de la coopération et du soutien entiers de nos élus.» ■


Un site toujours à l’état de champ

Ce vieux projet de gravière à Botterens soulève plusieurs questions.

VALIDITÉ DU PERMIS

Quelle est la durée de validité du permis de construire en main du futur exploitant, Grisoni-Zaugg SA? Le premier a été délivré par la Préfecture de la Gruyère le 21 juin 2000 avec, dans la foulée, le permis d’exploiter qui lui est lié. Le 3 mai 2006, ce dernier était modifié pour tenir compte d’une réduction de périmètre.

Selon la Loi sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATeC), un permis de construire est valable deux ans (un an en 2000 et 2006, sous l’ancienne législation). Les travaux doivent donc commencer dans les vingt-quatre mois suivant sa délivrance. Cependant, il est renouvelable deux fois deux ans. Soit une validité de six ans au maximum.

Deux conditions pourtant. Le renouvellement doit être demandé pour justes motifs. Et il ne peut être accordé que si les conditions d’octroi n’ont pas changé, notamment au niveau des normes légales.

RÉALITÉ DE L’ACTIVITÉ

Dès lors, l’activité a-t-elle réellement commencé à Champ-Vuarin? Selon l’article 100 du Règlement d’exécution de la LATeC, c’est le cas «lorsqu’il y a commencement concret et sérieux de travaux d’une certaine ampleur démontrant que le propriétaire a engagé des frais importants pour leur début et leur poursuite». Par exemple, «d’importants travaux de terrassement, d’exécution de fondations, de démolition d’un bâtiment en vue d’une nouvelle construction, d’exécution de canalisation».

Sur site, force est de constater que le secteur est toujours à l’état de champ utilisé par l’agriculture. Contacté, le syndic de Botterens, Dominique Macheret, rappelle que Grisoni-Zaugg SA, sitôt le permis de construire délivré, avait ouvert un accès depuis la route cantonale, le long de l’usine Mecaplast. Pour le reste, le syndic s’en remet aux explications qui seront fournies ce soir par l’entreprise elle-même. «Mais tout est légal», assure-t-il.

ACTUALITÉ DE L’ÉTUDE D’IMPACT

Réalisée en 1997 et liée au permis de construire, l’étude d’impact estime le trafic à 25 000 camions par an pour un volume d’exploitation annuel de 100 000 mètres cubes «au grand maximum». Et ce durant neuf ans environ. Ce qui, par jour ouvrable prévisible (125 jours par an, 8 h 45 par jour), correspond à 23 camions par heure. Soit un toutes les 2 minutes 36 secondes. Toutefois, le rapport prévoyait un rythme d’exploitation «probablement inférieur» (70% des valeurs maximales). A noter que l’étude préconisait toutes sortes de mesures de protection contre le bruit, les poussières et les atteintes au paysage.

SOUS QUEL PLAN SECTORIEL

Enfin, à quel plan sectoriel la gravière est-elle soumise? Car en 2000, le canton était sous le régime du PSAME, le Plan sectoriel des aires de matériaux exploitables, datant de 1994. Or, au milieu des années 2000, celui-ci a été jugé inadapté à l’évolution du cadre légal. En outre, les secteurs exploitables définis étaient jugés trop nombreux, prévoyant des réserves pour plus de 100 ans.

Le PSAME a donc été remplacé en 2011 par le PSEM, le Plan sectoriel d’exploitation des matériaux, plus restrictif. «Force est de constater, est-il écrit dans son introduction, que le fait d’être retenu dans un secteur prioritaire au PSAME de 1994 n’est plus un critère d’entrée en matière suffisant à lui seul pour ouvrir une exploitation.» Dès lors, si un nouveau permis de construire devait être établi, au cas où l’ancien serait déclaré caduc, il le serait conformément au nouveau plan sectoriel et à la législation actuelle, confirme Corinne Rebetez, porte-parole de la Direction de l’aménagement, de l’environnement et des constructions (DAEC). JnG


Rien à signaler depuis 2006

Grisoni-Zaugg SA, futur exploitant de la gravière de Champ-Vuarin, n’a pas répondu à nos sollicitations. Quant au préfet de la Gruyère, Patrice Borcard, il confirme qu’aucune demande de nouveau permis de construire ni de renouvellement de l’ancien n’est parvenue à la Préfecture depuis 2006.

En revanche, en 2015, dans le cadre de la révision générale du PAL de Botterens, le canton a demandé à la Préfecture de la Gruyère si le permis de construire de 2006 avait été utilisé. Contactés pour se déterminer, tant Grisoni-Zaugg que la commune ont alors assuré que tel était le cas étant donné trois faits: d’une part, une partie du terrain avait été décapée, d’autre part une desserte avait été réalisée, enfin une grange avait été démolie sur le périmètre. Le préfet, qui ne s’est pas rendu sur place, a transmis la réponse au Service des constructions et de l’aménagement «qui en a conclu à la validité du permis de construire». A noter que sur les cartes Swisstopo, une route d’accès et le creusement d’un périmètre à l’ouest du secteur, devenu depuis une aire de stockage, apparaissent dès 1998. La grange, elle, disparaît en 2004. JnG

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