«Rien ne sert de fabriquer si on n’arrive pas à vendre»

| jeu, 25. jui. 2019
A La Richerne, la relève est assurée: Nicolas Brodard (au centre) voit comme une évidence de poursuivre le travail entamé par ses parents, Marie et Laurent Brodard. PHOTOS CHRISTOPHE DUTOIT

PAR CHRISTOPHE DUTOIT

ALPAGE. Dans les années 1970, beaucoup craignaient la fin des alpages. Le travail était dur, le personnel manquait, la maind’œuvre étrangère n’était pas encore courante et il existait peu de subventions. Cinquante ans plus tard, trente-trois fabricants produisent plus de 90 tonnes de vacherins fribourgeois d’alpage AOP, ce petit frère du gruyère lui aussi AOP. Qu’en est-il aujourd’hui? La relève estelle prête à assurer l’avenir de cette production en montagne?

«Rien ne sert de fabriquer si on n’arrive pas à vendre, on deviendrait vite pauvres», affirme Romain Castella, directeur de l’Interprofession du vacherin fribourgeois, qui a son siège à Bulle. «Dans le terme économie alpestre, il y a le mot économie. Il faut que les gens puissent y gagner quelque chose. Aujourd’hui, la situation est bonne: le vacherin fribourgeois AOP se vend. Ne pas brader les prix en février est un signal positif pour la nouvelle saison.»

Produit de niche

L’an dernier, il s’est produit 91 tonnes de vacherins fribourgeois d’alpage AOP, sur un total de 2900 tonnes, soit environ 3%. «Autant d’alpages que de bio village, explicite Romain Castella. Tous deux sont des produits de niche et se retrouvent souvent en catégorie premium dans les enseignes suisses et étrangères.»

Gagner leur vie

«En pourcentage, la progression du fromage d’alpage est plus flagrante que celle de plaine, explique le Gruérien. Mais nous devons garder une ligne avec le reste de la production.»

L’Interprofession utilise le vacherin fribourgeois d’alpage AOP pour «vendre» une image d’authenticité, surtout à l’exportation. «Mais la fabrication en montagne n’est pas qu’un décor folklorique. Les producteurs d’alpage doivent pouvoir gagner leur vie, martèle Romain Castella. Et ils doivent nous aider à véhiculer cette bonne image. Car ils sont notre première carte de visite. Nous accueillons des commerciaux étrangers chaque été. Ils sont stupéfaits du travail et de la qualité qu’ils voient sur les alpages.»

Eviter la surproduction

Qui dit hausse de la production dit augmentation des quotas. «Nous veillons à répartir les quantités entre les nouvelles chaudières et celles qui sont déjà installées.» Avec toujours un but fondamental pour l’Interprofession: éviter la surproduction et, par conséquent, la chute des prix. «Et aussi maintenir la meilleure qualité possible, notamment grâce à des contrôles et avec l’aide de Casei, le centre de conseil en production et fabrication.» Romain Castella reconnaît que le subventionnement de l’économie alpestre s’est désormais amélioré. «Beaucoup d’alpages sont aux mains de propriétaires privés et ce ne sont pas eux qui investissent le moins…» Surtout, il faut continuer de créer des infrastructures pour donner «quelques commodités» aux fabricants d’alpage. «La vie reste rude, sans congé durant toute la saison. Il faut évidemment faciliter les accès, mais aussi améliorer les logements et les moyens de communication, en installant par exemple le wi-fi, pour que les travailleurs puissent communiquer avec leur famille.»

Aux yeux de l’Interprofession, le plus grand défi des alpagistes reste l’engagement du personnel. Depuis l’année passée, le canton de Vaud a, par exemple, lancé un diplôme cantonal en conduite d’alpage. «Nous devons mieux former la relève, notamment à la vente, pour qu’elle ne se berce pas d’illusions. Aujourd’hui, les jeunes sont là, ils ont le feu sacré. Nous avons une petite liste d’attente. Mais il faut que toutes les conditions – économiques, sociales, familiales – restent réunies pour que cela continue.» ■


On s’est dit:  «Pourquoi pas!»

Depuis plusieurs saisons, Joël Gachet fabrique du vacherin fribourgeois AOP d’alpage à La Progena, au-dessus de la pinte du Pralet, dans la vallée du Motélon. «On avait toujours trop de lait pour la fromagerie en bas», raconte le jeune agriculteur. Une discussion avec André Remy, l’ancien président de la Coopérative fribourgeoise des producteurs de fromages d’alpage, suffit à le convaincre. «On s’est dit: “Pourquoi pas!” Avec mon père, nous ne savions pas trop à quoi nous attendre et nous avons été surpris en bien. Nous avons reçu assez facilement un quota.» Joël Gachet apprend la fabrication chez un collègue et produit dès lors deux tonnes de vacherins fribourgeois AOP la première année, puis trois tonnes les suivantes. Et, très vite, le Charmeysan obtient de très bons résultats. «En tout cas, ça donne envie de continuer», lâche-t-il en toute modestie. CD


Trois générations au travail à La Richerne

L’alpage de La Richerne a beau se situer à quelques centaines de mètres du Gîte d’Allières, il n’est accessible que grâce à un monorail, indispensable à la vie au chalet depuis plus de vingt-cinq ans. Là-haut au-dessus de La Roche, la famille Brodard produit l’un des meilleurs fromages d’alpage AOP. «Quand on va au Salon de l’agriculture à Paris, on prend tes fromages», avoue Fran- çois Raemy à Laurent Brodard. Entre le fromager/inspecteur des alpages retraité et le fabricant d’alpage âgé de 71 ans, le courant passe depuis très longtemps. En patois, pour que le journaliste du jour ne comprenne pas toutes les subtilités de leurs discussions… «Il y a trente ans, quand je montais, Laurent alignait ses cinq enfants devant le chalet. Et il me disait à chaque fois: “Donne-moi du quota!” Sous-entendu: j’ai toutes ces bouches à nourrir.»

«Toujours une évidence»

«On a commencé avec neuf vaches, ce n’était pas facile», se souvient Laurent Brodard, bon pied bon œil derrière ses chaudières. Il adresse un clin d’œil à son épouse Marie, «qui fait tout le boulot qui n’a pas de nom». A l’arrière, leur fils Nicolas s’apprête à sortir les fromages. A 45 ans, il vit sa 44e saison à l’alpage. «Comme je suis né en juin, on ne m’a pas pris le premier été», rigole-t-il. Pour lui, poursuivre la fabrication à l’alpage a toujours été une évidence. «Nous sommes en limite de charge, sourit-il. Le plus gros de notre quota, on le fait jusqu’à la mi-juin.» D’ailleurs, lors de notre visite, les vacherins fribourgeois portaient déjà la marque #250. «Parfois, on fabrique même deux fois par jour.» Et le travail ne manque pas: dix vaches sont prêtes à vêler. De quoi compenser la baisse des quantités de lait due aux chaleurs de ces derniers jours.

Déjà le pied à l’étrier

Malgré le manque d’accès en véhicule, la famille Brodard continue de fabriquer dans le trintsâbyo de La Richerne. Puis elle se déplacera à la Guignarda, fin juillet début août. Trois générations travaillent désormais main dans la main. Sous le regard de Nathalie, leur maman, Chloé, Damien et Matthieu poutsent l’écurie. Pas de doute, la relève a déjà le pied à l’étrier. CD

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