PAR THIBAUD GUISAN
C’est un bébé de la Nouvelle politique régionale (NPR). Fondé en 2009, le Pôle scientifique et technologique du canton de Fribourg (PST-FR) s’inscrit dans ce programme lancé en 2008 par la Confédération pour promouvoir l’innovation dans les régions périphériques.
La semaine dernière, l’association tenait ses assises annuelles à Bulle. L’occasion d’un bilan avec son vice-président, Jacques Pasquier. Le Bullois de 57 ans est aussi directeur adjoint de l’Ecole d’ingénieurs de Fribourg. Interview.
Le Pôle scientifique et technologique a été fondé en 2009. Quel est son but?
L’objectif principal est de favoriser l’innovation. Le cœur de notre organisme est constitué par trois clusters: des réseaux thématiques, qui associent des entreprises actives dans un même secteur avec des partenaires académiques. Le Réseau plasturgie a été fondé en 2005, le Cluster IT-Valley (système de d’information et sécurité informatique) en 2007 et le Réseau énergie et bâtiment en 2009.
Au sein d’un cluster, on collabore entre concurrents. N’est-ce pas une petite révolution industrielle?
C’est vrai qu’il a fallu un certain temps pour convaincre les patrons. Ils étaient habitués à se côtoyer dans le cadre d’associations professionnelles, pour parler formation ou recrutement, par exemple. Dans un cluster, on se focalise sur l’innovation et l’amélioration de la productivité. Les partenaires se dévoilent donc plus intimement.
Par le biais de la NPR, le PST-FR a bénéficié de 3,4 millions de francs de 2009 à 2011. Comment avez-vous utilisé ce montant, amené à parts égales par la Confédération et le canton?
Environ 80% ont servi à financer des projets de recherche collaboratifs au sein des trois clusters. A chaque fois, quatre ou cinq industriels ont œuvré avec un partenaire académique, souvent l’Ecole d’ingénieurs de Fribourg (lire ci-dessous). Le solde de l’enveloppe a servi à soutenir les autres entités du PST-FR, notamment deux centres de compétence, qui s’adressent à toutes les entreprises du canton. Le Réseau nanotechnologie favorise l’accès aux nanotechnologies, et Fri-SAM propose des services mathématiques, comme de la modélisation.
Peut-on mesurer l’impact de ces projets collaboratifs sur les entreprises participantes?
C’est d’abord de la valeur ajoutée. Après, les entreprises estiment une hausse de leur chiffre d’affaires de 3 à 4%. L’emploi a aussi augmenté, de 2% en moyenne. Il ressort enfin que les sociétés n’auraient pas voulu ou pas pu conduire des projets similaires seules. Ces résultats sont issus de l’analyse de 14 projets du PST-FR par le bureau de consulting bâlois BSS Volkswirtschaftliche Beratung.
Comment évolue le nombre de partenaires au sein des clusters ?
La tendance est à la hausse avec un total de 216 membres, dont plus de la moitié est fribourgeoise. Fin 2011, le Réseau plasturgie comptait 77 membres: on en espère plus de 100 d’ici à 2015. Le Cluster IT-Valley et le Réseau énergie et bâtiment sont de taille similaire (68 et 71 partenaires). Le premier n’est pas loin de son développement maximal. Quant au second, il devrait rapidement de devenir le plus grand, avec bientôt plus de 100 membres. En règle générale, à partir de 70 ou 80 partenaires, on a déjà une masse critique suffisante pour lancer des projets.
D’autres clusters vont-ils voir le jour dans le canton?
Pour démarrer un réseau, il faut une dizaine de partenaires actifs dans un même domaine, mais avec le potentiel d’en réunir une centaine à une heure de voiture. Partant de là, on pourrait envisager deux clusters supplémentaires: un premier dans l’électronique – précisément dans le domaine des senseurs – et un second dans le secteur des technologies alimentaires.
Une nouvelle enveloppe, de 3,5 millions de francs, vous est octroyée pour la période 2012 à 2015 par la NPR. Quelle en sera l’utilisation ?
La priorité restera le financement de projets collaboratifs au sein des clusters existants. Nous devrions pouvoir en soutenir une vingtaine. Nous voulons aussi lancer des ateliers temporaires pour répondre à un besoin spécifique. Par exemple, une société qui rencontre des problèmes de productivité, présente son cas à d’autres. Ensemble, on réfléchit à une solution, sur deux ou trois séances.
Les clusters seront-ils un jour autonomes?
C’est le but, même si le Secrétariat à l’économie de la Confédération (Seco) est en train d’étudier une prolongation de la NPR. On estime qu’il faut une dizaine d’années pour qu’un cluster soit autonome. Les cotisations de ses membres (n.d.l.r.: entre 500 et 1000 francs par an) permettent de financer son administration, la mise sur pied de conférences ou d’autres événements servant l’innovation. Par contre, des fonds publics resteront nécessaires pour lancer des projets collaboratifs d’envergure. L’expérience le montre au niveau européen.
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Construction métallique active
La mise au point de moules autonettoyants pour l’injection plastique, l’amélioration des performances écologiques d’éléments de façade en béton ou la création d’un Observatoire de la sécurité chargé d’anticiper les cyber-attaques contre les PME. Au total, 17 projets ont été lancés dans les trois clusters fribourgeois, de 2009 à 2011. Une douzaine d’entre eux sont terminés.
Ces recherches, d’une durée maximale de deux ans, reposent sur un budget variant entre 50000 et 200000 francs, financé à hauteur de 20% par les entreprises participantes. Pour la période 2012 à 2015, cette proportion passera à 30%.
Nouvelle méthode de calcul
Ainsi, parmi les entreprises gruériennes du Réseau énergie et bâtiment, le constructeur métallique R. Morand & Fils SA a investi 4000 à 5000 francs dans le projet Alyance. Objectif: expérimenter une nouvelle méthode de calcul – dite «de second ordre» – pour la conception de halles industrielles. «Cette méthode, beaucoup utilisée à l’étranger, pourrait permettre d’économiser jusqu’à 10% de matériau dans une structure métallique, expose Jean-François Suchet, directeur technique. Le résultat de ce projet servira avant tout aux bureaux d’ingénieurs. Mais, si cela améliore la productivité de notre branche, nous serons aussi gagnants.»
En plus de l’entreprise de La Tour-de-Trême, Alyance réunit le département génie civil de l’Ecole d’ingénieurs de Fribourg, le Centre suisse de la construction métallique, Sottas SA à Bulle et Zwahlen & Mayr SA à Aigle. Lancé l’automne dernier, le projet devrait durer une année. «Nous avons proposé des cas à étudier et nous assurerons une vérification technique des résultats», complète Jean-François Suchet.
R. Morand & Fils SA fait partie des membres fondateurs du Réseau Energie et bâtiment. «Les projets sont intéressants, note Gérard Strickler, directeur. Le projet Alyance est le premier auquel nous participons activement: nous avons suivi les autres comme auditeurs. Nous n’aurions pas les ressources en personnel pour mener ces recherches seuls. Le petit revers de la médaille, c’est que les choses prennent du temps. Mais nous n’attendons pas de retour direct sur investissement. C’est un retour à long terme.»
Objectif à tenir
A l’inverse, le chef de projet (souvent de l’Ecole d’ingénieurs de Fribourg) doit veiller à ce que la recherche reste alignée sur l’objectif de départ. «Les entreprises n’investissent pas beaucoup, mais, logiquement, elles peuvent être vite exigeantes, constate Jacques Pasquier, vice-président du Pôle scientifique et technologique fribourgeois. Il ne faudrait pas qu’un partenaire tire la couverture à lui.» TG
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