PAR DOMINIQUE MEYLAN

Quand l’Université de Fribourg s’intéresse au football, c’est davantage sous l’angle politique et social. Les enjeux de l’Euro 2012 en Pologne et en Ukraine dépassent largement le sport. Deux semaines avant le début de la manifestation, un symposium réunissant des experts des deux pays a été organisé à l’alma mater jeudi et vendredi dernier. Si ces deux Etats se sont rapprochés avec le football, ils ont été longtemps ennemis. Leur situation est encore différente aujourd’hui: la Pologne fait partie de l’Union européenne. L’Ukraine voudrait y adhérer, mais elle doit impérativement rassurer ses futurs partenaires.
Les menaces de boycott, ces dernières semaines, ont remis cette thématique sur le devant de la scène. «Les politiciens européens font cela pour de mauvaises raisons. C’est aussi une manière de freiner l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne», estime Andrzej Szeptycki, de l’Institut des relations internationales de Varsovie. Les menaces de la chancelière allemande Angela Merkel, mais aussi du président de la Commission européenne José Manuel Barroso, ne font qu’accentuer l’image d’un Etat instable.

Européanisation polonaise
Quant à la Pologne, grâce à ce championnat d’Europe de football, elle se tourne définitivement du côté de l’UE. La Russie n’est plus son premier partenaire, c’est Bruxelles qui l’est devenue. «Nous sommes en train de nous européaniser», résume Andrzej Szeptycki. Pour la Pologne qui appartient à l’UE depuis 2004, l’enjeu est davantage de prouver que son économie est digne de figurer aux côtés des poids lourds de l’Europe de l’Ouest.
Les relations entre la Pologne et l’Ukraine pourraient se trouver modifiées après cet événement sportif majeur. De par leur proximité, ces Etats sont naturellement appelés à collaborer. Mais leur histoire est traversée de conflits et de guerres jusqu’au XX^e siècle. «Organiser l’Euro ensemble est déjà une grande réussite en soi», estime Andrzej Szeptycki. Pour Aleksandra Hnatiuk, de l’Université de Kiev en Ukraine, «les règles du jeu se sont modifiées. La politique polonaise a changé.» Toutefois, seul l’avenir dira si cette évolution est durable.

Changer d’image
Que ce soit la Pologne ou l’Ukraine, l’Euro est utilisé comme un outil de promotion. Selon Aleksandra Hnatiuk, l’image de l’Ukraine se serait détériorée depuis les années1990. La chercheuse remet en doute le vernis que pourrait apporter l’Euro. Sa compatriote Katya Gorchinskaya se montre encore plus pessimiste. «Tout le monde connaît maintenant chaque problème de l’Ukraine, que ce soit la prostitution, le sida ou les intrigues politiques. D’une certaine manière, c’est un désastre.»
Les propos des officiels sont plus modérés. L’ambassadeur d’Ukraine en Suisse relève avec fierté que Michel Platini, président de l’UEFA, a récemment confirmé que les deux pays étaient prêts pour l’Euro. Pour Ihor Dir, le football doit reprendre sa place dans ce débat. «Les supporters ne viennent pas pour lire les journaux. Ils vont voir des matches, boire des bières et s’amuser. J’espère que cet événement permettra de bien promouvoir l’Ukraine.»
Pour la Pologne, la question de l’image est davantage touristique. «C’est une bonne occasion de faire découvrir le pays», souligne Andrzej Szeptycki. Même si les critiques, en particulier sur le prix des hôtels, n’ont pas attendu le début de la manifestation pour surgir.

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Conséquences du boycott
L’organisateur de ce symposium n’est autre que le président de la Société ukrainienne en Suisse, Andrej N. Lushnycky, également collaborateur à l’Université de Fribourg. Il jette un regard critique sur les protestations émises par quelques responsables politiques européens en réponse à la détention de l’ancienne Premier ministre Ioulia Timochenko.

Ces menaces de boycott, notamment de la part de la chancelière allemande Angela Merkel, sont-elles justifiées selon vous?
Ces menaces de boycott sont des prétextes. Certains pays ont trouvé une mouche à piquer. Ils utilisent l’emprisonnement de Ioulia Timochenko pour freiner les tentatives d’adhésion de l’Ukraine à l’Europe. N’allez pas croire que je défende cet emprisonnement. Mais, il y a la loi, une loi qui date certes de l’ère soviétique, mais c’est quand même la loi. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que si l’équipe d’Allemagne est qualifiée pour la finale de l’Euro, Angela Merkel continue dans cette même voie.

Y aura-t-il des conséquences à ce boycott?
Est-ce que les politiciens sont écoutés aujourd’hui? Si les membres de la Commission européenne ne viennent pas en Ukraine, je pense que cela n’aura pas une grande influence. Les gens qui vont aller à l’Euro viendront pour le football. Mais c’est dommage. Cet événement devait montrer la cohésion nationale et la cohésion européenne. Au lieu de cela, on se concentre sur les personnes et on ne parle pas des nations. On a perdu l’esprit d’un événement sportif. Est-ce qu’il y a eu les mêmes réactions lors des jeux Olympiques en Chine ou en perspective des JO en Russie?

Est-ce que la Pologne se désolidarise de l’Ukraine?
Non, la Pologne est aussi concernée. C’est un rêve européen qui devient cauchemar. Cet événement est censé montrer les points communs des deux pays et non leurs différences. Mais l’espoir est toujours là.

Qu’apporte l’Euro à l’Ukraine?
Il faut se rendre compte que c’est la première fois que l’Ukraine organise un tel événement au niveau européen. La barre est haute. Il n’est pas facile d’atteindre les standards européens. Les investissements sont énormes. L’Ukraine a mis de sa poche plus de 13 milliards de dollars. Ces investissements vont rester. Les routes avaient besoin d’être reconstruites. Les stades seront utilisés. L’Euro a donné l’occasion à l’Ukraine de faire ces investissements. DM