PAR VICTORIEN KISSLING
«Je ne peux pas regarder de vidéos sur internet, je ne peux pas envoyer de radiographies par e-mail et je dois parfois attendre une heure pour ouvrir une photographie reçue d’un client. C’est invivable.» Cette énumération, Iris Challande-Kathmann la partage avec les autres entreprises de la zone artisanale de la Rougève, située à moins d’un kilomètre du village de Semsales.
Selon les jours, le débit de connexion internet oscille entre 0 et 250 kilobits par seconde, alors que la limite légale est fixée à 1000 kbits/s. En d’autres termes, les entreprises de la Rougève doivent attendre quatre fois plus longtemps pour le chargement d’une page internet que le seuil fixé par une Ordonnance fédérale sur les services de télécommunications!
Directrice de la clinique vétérinaire Indika, Iris Challande-Kathmann juge cette situation «injuste»: «Il y a une inégalité de traitement, car mon mari, qui a un bureau dans le village de Semsales, a une connexion par fibre optique et, par conséquent, une vitesse de connexion maximale et constante.» La fibre optique permet d’atteindre 2 gigabits par seconde, soit un débit jusqu’à 2000 fois plus rapide que le minimum légal.
Cinquante emplois touchés
«A cause de cette inégalité de traitement, c’est une cinquantaine d’emplois qui sont menacés à la Rougève!» Le Semsalois Yvan Hunziker, député PLR au Grand conseil, exagère volontairement cette menace.
Pour l’heure, aucune des entreprises n’envisage de délocaliser à cause de son manque de débit. «Mais l’économie de la région est quand même touchée. J’ai le sentiment qu’on se plierait en quatre s’il s’agissait de grandes entreprises», regrette le député en citant l’exemple d’autres sociétés basées à Semsales et qui sont, elles, reliées à la fibre optique.
Et si la Rougève, pourtant à moins d’un kilomètre du village, n’a pas été connectée c’est, selon Yvan Hunziker, à cause d’un «chantage» de Swisscom. «Celle-ci ne voulait pas assumer les frais pour atteindre cette zone certainement jugée non rentable. Elle était d’accord de réaliser les travaux, mais il fallait que la commune ou les entreprises prennent à leur charge les 80000 francs nécessaires.»
La commune, de son côté, estime que ce n’est pas à elle de mettre la main au porte-monnaie. «Swisscom cherche à faire payer des travaux dont elle serait la seule à retirer des bénéfices ensuite», déplore Pascal Grivet, syndic de Semsales.
Swisscom ne peut «pas être partout»
L’entreprise de télécommunications se défend, elle, de ne «pas pouvoir être partout». «Nous sommes libres d’aller là où on le veut et notre développement est forcément dicté par la concurrence, notamment des câblo-opérateurs. Comme la fibre optique est liée à de gros travaux préparatoires, nous ne pouvons pas les faire partout en même temps», nuance Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom.
Celui-ci précise toutefois que le canton de Fribourg mise actuellement sur le projet FTTH (lire encadré) afin d’élargir le réseau de fibre optique à l’ensemble du territoire, dans une perspective de dix à quinze ans. «Nous suivons en effet ce dossier avec intérêt, car il n’y a pas d’autre solution pour l’instant», confirme le syndic de Semsales Pascal Grivet.
Dans l’intervalle, Swisscom est tout de même tenue de proposer le débit minimum. «Si une entreprise constate qu’elle est en dessous du seuil de 1000 kbits/s, elle peut nous contacter pour que nous puissions trouver une solution alternative, comme la connexion satellitaire, les réseaux mobiles ou les lignes de cuivre», précise Christian Neuhaus.
C’est ce qu’a d’ailleurs fait Francis Sonney, directeur de l’entreprise de menuiserie-charpente Construbat S.àr.l. à la Rougève. «Il m’arrivait parfois de ne pas pouvoir passer des commandes de marchandises par internet ou de ne pas pouvoir envoyer des devis par e-mail», se souvient-il.
Après de longs mois, à coups de lettres et de téléphones, les choses ont bougé. «Finalement, j’ai réussi à obtenir un débit suffisant, mais je trouve inacceptable que ce soit aux entreprises de faire les démarches. Après tout, on ne demande pas un luxe comme la télévision connectée. Nous, tout ce qu’on veut, c’est pouvoir travailler…»
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«On veut couvrir tout le territoire»
Le projet FTTH, défendu par le canton en partenariat avec Swisscom et Groupe E, pourrait être soumis au Grand Conseil cet automne. Président du Conseil d’Etat et directeur des Finances, Georges Godel est en charge de ce dossier.
Quel est le but de ce projet?
Nous voulons que le canton dispose d’infrastructures modernes et performantes pour répondre aux besoins croissants des entreprises et des particuliers. Avoir un tel réseau est non seulement nécessaire dans notre politique de promotion du canton pour l’implantation de grandes entreprises, mais également pour développer les conditions cadres de la cyberadministration et d’aide à la formation. Raisons pour lesquelles il est indispensable de couvrir l’entier du territoire, grandes villes ou régions excentrées.
Mais Swisscom reste une entreprise qui travaille pour atteindre un seuil de rentabilité. Elle ne voudra pas investir dans des zones où elle n’en dégagerait aucun profit…
En effet. Raison pour laquelle nous établissons des zones de rentabilité. Nous estimons que Swisscom peut prendre à son compte les investissements nécessaires dans les communes «rentables» où elle aurait de toute façon implanté la fibre optique. L’Etat investira les sommes nécessaires pour connecter les autres communes.
A quelle hauteur?
Impossible de donner un chiffre tant que le projet est à l’étude. Mais je précise que l’Etat investira pour la création des infrastructures, donc des tubes pour la fibre optique, en mandatant des entreprises régionales pour les travaux. Ce sera ensuite aux opérateurs de financer la connexion proprement dite et d’en assurer l’exploitation.
Il y a donc le risque qu’une région soit quand même délaissée si aucun opérateur ne s’y intéresse?
Comme il y a un risque que le client refuse de payer pour bénéficier de cette amélioration technique, en effet. Mais c’est impossible de prévoir pour l’instant. En tout cas, l’Etat va défendre son idée de couverture totale du territoire. VK
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