PAR DOMINIQUE MEYLAN
Une commission d’enquête parlementaire (CEP) se penchera sur les surcoûts du pont de la Poya. La décision n’est pas anodine. Même la route de contournement de Bulle n’avait pas eu droit à un tel traitement. Un tel organe, indépendant du Conseil d’Etat, devra apporter un regard critique sur ces dépassements.
Le groupe socialiste et l’alliance centre gauche, ainsi que l’UDC, ont mené la fronde pour l’instauration de cette CEP. Ils avaient chacun déposé une requête en début de session parlementaire. Ils sont parvenus sans difficultés à leurs fins. La commission a été acceptée par 49 voix contre 19 et 22 abstentions. Les refus sont venus essentiellement du PLR. Les députés démocrates-chrétiens se sont majoritairement abstenus.
Guerre des abstentions
Le débat n’en a pas moins été intense, d’autant que le groupe PDC-PBD proposait une autre solution pour étudier les surcoûts. Son postulat urgent n’a pas atteint la majorité qualifiée. Il lui aurait fallu 56 voix. Le texte n’en a recueilli que 47. A l’instar du vote sur la CEP, de nombreux députés, 19 au total, se sont abstenus en réponse peut-être au PDC. Sans l’urgence, le rapport voulu par ce postulat pourrait arriver en même temps que celui de la CEP.
Les arguments pour l’instauration d’une commission d’enquête parlementaire avaient déjà été largement développés lors du dépôt des requêtes. Tout est parti de l’annonce, fin mai, d’une facture finale de 211 mio pour le pont de la Poya. Il y a six mois encore, le canton estimait son coût à 189 millions. Et surtout, le peuple avait accepté un projet devisé à 120 millions en 2006.
Pour les partisans de la commission d’enquête parlementaire, il est essentiel de rétablir la confiance. «Les citoyens ont le droit de savoir ce qui s’est vraiment passé, a affirmé Pierre Mauron (ps, Riaz). Il faut corriger le tir si nécessaire et tirer les conséquences, pour que cela ne se reproduise plus.»
Le souvenir de la H189 demeure dans tous les esprits. Benoît Rey (acg, Fribourg) a même retenu les promesses du Conseil d’Etat, qui s’exprimait alors sur le futur pont de la Poya: «Le projet est maîtrisé, nous disait-on. Les services ont été rendus attentifs au fait qu’ils se doivent de tenir le budget.»
De grands projets routiers attendent encore le canton. Le contournement de Guin ou la route Marly-Matran en sont deux exemples. «Je crains qu’on ne se trouve dans une situation de blocage à l’avenir», a souligné David Bonny (ps, Prez-vers-Noréaz).
Image ternie du canton
Le PDC et le PLR, appuyés par quelques dissidents d’autres partis, ont répliqué fortement. Pour Bruno Boschung (pdc, Wünnewil), ce vendredi est un jour noir pour le canton. Michel Losey (udc, Sévaz), minoritaire dans son groupe, ne s’est pas montré moins virulent: «Nous allons être la risée de la Suisse.» Le député craint avant tout pour l’image du canton.
Pour la majorité des démocrates-chrétiens et des libéraux-radicaux, l’instrument choisi n’est pas adéquat. Le postulat urgent aurait permis une réponse rapide. Selon Jean-Pierre Siggen (pdc, Fribourg), il aurait mieux valu attendre cette première échéance, avant de décider l’instauration d’une CEP.
Les réponses pourraient être décevantes, estiment également les opposants à une CEP. «Chaque franc dépensé est justifiable, a estimé Jean-Daniel Wicht (plr, Givisiez). Il n’y a aucune malversation, aucun but de cacher quoi que ce soit.»
Les motifs politiques et la stratégie qui ont accompagné les demandes d’une CEP ont été vivement critiqués par plusieurs députés. «Les vraies raisons de ces requêtes doivent peut-être être recherchées ailleurs», a laissé entendre Markus Ith (plr, Morat), n’hésitant pas à menacer l’Hôpital fribourgeois d’une autre CEP. «Il ne s’agit pas d’une chasse aux sorcières, ni d’une volonté de faire tomber des têtes», s’en est défendu Pierre Mauron.
Le directeur de l’Aménagement, de l’environnement et des constructions Maurice Ropraz est resté très calme. «Le Conseil d’Etat entend respecter le choix des députés.» Cela ne l’a pas empêché de remettre en doute l’utilité d’une telle CEP et d’en fustiger la lourdeur. «J’aurais préféré consacrer mon temps ces prochains mois à d’autres défis importants, plutôt que d’expliquer à une commission d’enquête parlementaire ou dans un postulat, ce qui s’est passé ces dernières années.» Maurice Ropraz a aussi rappelé qu’un premier audit, indépendant, mené par un bureau bernois réputé, avait conclu en 2008 à un coût final de 137 mio. «Même le meilleur audit n’est pas une garantie de maîtrise financière du projet.»
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