PAR FRANK-OLIVIER BAECHLER
Laurier-cerise, arbre aux papillons ou chèvrefeuille du Japon, autant de plantes dont les noms sonnent familièrement aux oreilles de nombreux jardiniers amateurs. Mais le succès qu’elles connaissent dans nos contrées, malgré leur origine asiatique, n’est pas sans poser problème. Car elles se multiplient et se répandent de manière massive, aux dépens des espèces indigènes, ce qui leur vaut le qualificatif d’envahissantes.
Dans un communiqué publié hier, la section fribourgeoise de Pro Natura s’inquiète de la situation actuelle: «Parmi les 3000 espèces végétales sauvages que l’on trouve en Suisse, 350 sont des plantes exotiques (ou néophytes), le plus souvent en provenance d’un autre continent. Près de 10% de ces dernières sont considérées comme envahissantes.»
En s’échappant des jardins d’agrément, les néophytes envahissantes exerceraient ainsi une pression considérable sur les habitats naturels. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), elles constitueraient même le deuxième facteur de recul de la diversité biologique, après la modification des habitats par l'homme.
Interdites de vente
En avril 2007, la Commission suisse pour la conservation des plantes sauvages (CPS) établissait alors une liste noire, regroupant une vingtaine d’espèces dommageables dont il s’agissait «d’empêcher la présence et l’expansion». Six d’entre elles, comme l’élodée de Nutall, le sumac ou le solidage, ont même été interdites de vente au niveau national.
Une initiative payante? Pour en avoir le cœur net, Pro Natura Fribourg a sondé, pendant le mois de mai, 13 garden centres du canton. En faisant le constat suivant: trois établissements vendaient au moins une plante interdite, en l’occurrence le sumac ou le solidage. De plus, sept autres plantes de la liste noire étaient vendues «sans aucune information aux acheteurs, contrairement à ce qu’exige l’Ordonnance fédérale sur la dissémination dans l’environnement». Sur les 13 garden centres visités, 10 proposaient le laurier-cerise et sept l’arbre aux papillons, appelé aussi buddleia. Suivaient ensuite le chèvrefeuille du Japon, le robinier faux acacia, le faux arum, le faux vernis du Japon et la peste d'eau.
Professionnels à sensibiliser
Pour Yolande Peisl-Gaillet, chargée d’affaires de Pro Natura Fribourg, ces résultats démontrent que la problématique des néophytes envahissantes n’est pas prise au sérieux par les professionnels de la branche. «Sans pour autant les mettre au pilori, nous allons prendre contact avec eux pour les sensibiliser à cette question. Par contre, les commerces qui proposent des plantes interdites seront dénoncés, s’ils ne les retirent pas de la vente.»
La Gruyère a approché, au hasard, trois établissements du Sud fribourgeois: le garden centre de la Gruyère, à La Tour-de-Trême, le Jumbo Markt, à Bulle, et le garden center Kaech, à Romont. Tous ont admis vendre des espèces – tolérées – figurant sur la liste noire.
Polémique pas nouvelle
Leur discours se veut toutefois moins alarmiste. «L’arbre aux papillons n’a pas vraiment tendance à ressemer plus que d’autres, dans notre région. Et beaucoup n’ont pas passé l’hiver», nuance Christelle Wicht, pépiniériste au garden center Kaech, à Romont. «La polémique entourant cet arbuste n’est pas nouvelle. Les ventes sont d’ailleurs en baisse depuis deux ou trois ans. Mais certains clients l’apprécient toujours pour sa floraison tardive, même si nous les informons du problème.»
Christophe Oberson, responsable du garden centre de la Gruyère, tient un discours similaire: «Le buddleia a largement colonisé les bords des autoroutes vaudoises et genevoises. Chez nous, il fait trop froid. Cela dit, j’estime qu’une législation fédérale plus sévère devrait être adoptée. Aujourd’hui, chaque canton fait sa petite cuisine. Certaines plantes sont montrées du doigt, mais sans être interdites.»
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