La Vierge est en morceaux, mais l’esprit demeure intact

| mar, 16. oct. 2012
La statue de Notre-Dame, dans la forêt de Chésalles, a été vandalisée. Joseph Ansermot la rénovera, comme son père et bien d’autres avant lui. La Vierge veille sur les forestiers depuis 1901.

PAR YANN GUERCHANIK



Sur l’établi, ce ne sont que quelques morceaux de plâtre disséminés. Dans les yeux de Joseph Ansermot, c’est une montagne de tristesse et d’incompréhension. Ils ont brisé la statue de Notre-Dame de Chésalles. Celle qui veille depuis plus de cent ans, dans la forêt au-dessus de Pringy. Ils? «Des passants agressifs», résume laconiquement le Gruérien.
Un petit désordre ordinaire. Une mésaventure banale dont la portée paraît s’arrêter à l’orée d’un bois. Mais l’histoire est plus longue qu’il n’y paraît, plus belle aussi. Joseph Ansermot nous en fait le récit.
«Mon père s’est occupé de cette statue depuis 1922. D’autres le faisaient avant lui puisqu’elle date de 1901. Peut-être des Rime ou des Gachet?» s’interroge le citoyen de Gruyères, du haut de ses 80 ans. Joseph Ansermot conduit la conversation et tout un cortège de personnages. A chaque bâtisse, à chaque coin de terre, il accroche un nom et une histoire.


Elle protège les forestiers
«Là-bas, dans la forêt de Chésalles, il y avait la pépinière. On y trouvait les forestiers de Gruyères. Entre autres, les Rime et les Gachet, mais aussi les Bussard et les Pasquier. De grands bûcherons, des amoureux de la nature. Dans une maisonnette perchée sur un arbre, la statue de Notre-Dame était chargée de protéger ces travailleurs.»
Au fil du temps et des arbres abattus, la statue est «respectueusement déplacée». Elle a ensuite vu arriver «la concurrence» dans sa petite clairière. Dans les années 1980, une Vierge portant l’Enfant a en effet été érigée dans une loge bien plus somptueuse. Cette dernière a le toupet de voler la vedette à sa voisine Notre-Dame de Chésalles, ce qui a le don de navrer Joseph Ansermot.
Le Gruérien a pour ainsi dire vécu avec cette statue. Son père menuisier ébéniste la ramenait à la maison. «On l’appelait Ferdinand Auguste du Château, n’est-ce pas beau? Parce qu’il a vu le jour au château, mon père, en 1897. D’ailleurs, mon oncle Louis est le dernier enfant né là-bas. A l’époque, la maison des Ansermot se trouvait à l’entrée, entre le bourg Saint-Germain et le château.»
Quand il ne courait pas les fermes pour distribuer L’Abeille, La Patrie suisse et La femme d’aujourd’hui, le petit Joseph admirait son père rendre à Notre-Dame de Chésalles tout son apparat. «Il fallait la nettoyer, la repeindre. Il faisait cela pour ses amis forestiers.» Ferdinand Ansermot s’est éteint centenaire, Marcel Pasquier prit alors le relais en collaboration avec un autre Joseph Ansermot, un homonyme de Pringy.


De main en main
Les petites mains réparatrices changeaient, tandis que la Vierge demeurait fidèle au poste. «C’est un lieu de prière depuis des générations. Beaucoup de gens viennent s’y recueillir. On confie ses pensées. Pour certains, c’est même un véritable lieu de pèlerinage.» Jusqu’à ce dimanche de la semaine passée, où l’on prévient Joseph de la déprédation.
L’émotion est d’autant plus grande que Joseph Ansermot s’était occupé de la statue pour la première fois cet été: «Je la voulais belle pour le 15 août, jour de l’Assomption.» Jusqu’alors, il s’était contenté de petites retouches que lui laissait entreprendre son père quand il était enfant.
«En arrivant sur place, j’ai pensé au mauvais état du Vieux-Chalet de Crésuz, à ces croix que l’on a sciées, à un oratoire également abîmé dans la forêt de Maules. Mais qu’est-ce qui se passe dans la mentalité des gens?»
«Mon épouse a bien vu que cela me tracassait. Elle m’a proposé d’en acheter une nouvelle. J’ai dit non! on va rebâtir!» Peu importent les fissures dans le bois ou le plâtre, pourvu que l’esprit demeure. Joseph Ansermot a prévu de recoller les morceaux.
Dans son atelier, l’ancien mécanicien de précision se penchera sur Notre-Dame de Chésalles comme son père et bien d’autres avant lui. «Je l’ai déjà dit à l’un de mes fils: après moi, c’est toi. Et, si ce n’est plus toi, ce sera tes enfants. Sans cet enracinement, tout cela n’a pas de valeur.»

 

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